Ce n’est encore qu’une estimation, mais le centre de réflexion I4CE observe qu’entre 2023 et 2024, les investissements dans les pompes à chaleur, la rénovation des logements, les véhicules électriques, l’énergie renouvelable ont baissé.
I4CE – Institut de l’économie pour le climat (Institute for Climate Economics) – est un think tank supporté par l’Etat français (il est soutenu par la Caisse des Dépôts et l’Agence Française de Développement). Et son dernier rapport sur les investissements climatiques pointe deux choses. Primo, on est encore loin du compte de ce qu’il faudrait faire. Secundo, la dynamique elle-même s’essouffle.
Un déficit d’investissement de 344 milliards
Sur ce qu’il faudrait faire, il manque en effet près de 350 milliards d’investissement par an. Le calcul est simple : en 2023, les investissements climatiques dans l’UE ont atteint 498 milliards d’euros, ils ont été effectués dans les secteurs de l’énergie, des bâtiments, des transports et de la fabrication de technologies propres et représentent soit 2,9 % du PIB de l’UE. Or, pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union pour 2030, il aurait fallu investir 842 milliards, soit 4,9% du PIB européen. Le déficit est donc de 344 milliards d’euros.
C’est d’autant plus préoccupant que les premières projections pour 2024 suggèrent que des secteurs clés comme l’énergie éolienne, la rénovation des bâtiments et les véhicules électriques semblent décliner. Selon les premières estimations de I4CE, ces investissements climatiques auraient diminué en 2024 de 7,2% pour l’électricité renouvelable, de 6,3% pour la rénovation énergétique des bâtiments, de 26,9% pour les pompes à chaleur et de 2,9% pour les véhicules électriques. Les investissements dans l’énergie solaire auraient diminué de 5 % en 2024, et ceux dans la fabrication de batteries de 11 %.
Les investissements dans la fabrication de technologies propres progressent, mais la production des installations européennes de technologies propres ne répond pas à la demande, ce qui rend ces investissements précaires.
Le coût du retard
Déjà, en 2023, on avait assisté à une quasi-stagnation : après des années de forte croissance, les 498 milliards d’investissements réalisés cette année-là ne représentent qu’une augmentation de 1,5 % par rapport à 2022. Ce ralentissement est principalement dû à une contraction des investissements dans la construction de nouveaux bâtiments, explique I4CE. Le secteur du bâtiment a également souffert d’un déclin de l’activité de rénovation et des ventes de pompes à chaleur. « Une politique climatique sans investissements suffisants ne produira pas de résultats, et le coût du retard ne fera qu’augmenter », avertit I4CE qui observe que le sous-investissement se fait aussi sentir dans les dépenses de sécurité et d’infrastructure.
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Or, le cadre budgétaire des Etats-membres risque de se compliquer un peu plus encore ces prochaines années : plusieurs États membres, dont la Belgique, la France,… font l’objet d’une procédure pour déficit excessif et sont sous pression pour réduire leurs dépenses publiques. De plus, le mécanisme pour la reprise et la résilience doit expirer d’ici fin 2026, et le remboursement des subventions et prêts alloués dans le cadre de NextGenerationEU devrait commencer en 2028, ajoutant une pression supplémentaire sur les capacités de dépense dans l’UE.
Faire le marché européen de l’électricité rapporterait 40 milliards par an
On ne peut s’empêcher de mettre en relation ce sous-investissement pointé par I4CE avec le constat que fait Ottmar Edenhofer , ancien jésuite et ancien conseiller d’Angela Merkel, qui préside aujourd’hui l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam (PIK). Il conseille le gouvernement allemand sur la transition énergétique et la Commission européenne sur le Pacte vert.
Dans un entretien donné au site « Follow the Money », Ottmar Edenhofer souligne que « les dommages climatiques représentent une menace fondamentale pour notre économie et notre prospérité. De nombreux politiciens ne le comprennent pas ainsi et pensent que la politique climatique est un luxe accessoire que l’on peut mettre en œuvre lorsque l’économie va bien. Mais il s’agit ni plus ni moins de protéger la création. On pourrait s’attendre à ce que les chrétiens s’en préoccupent également. »
Le président du PIK souligne par exemple que l’on reproche à tort que le manque de compétitivité européenne proviendrait du handicap qu’ont les entreprises du continent devoir investir dans la décarbonation. « Je pense que c’est une fausse contradiction. Je ne nie pas que l’économie européenne a un problème de compétitivité. Mais nos problèmes économiques n’ont pas grand-chose à voir avec la politique climatique. La productivité du travail en Europe est relativement faible et notre marché des capitaux est très fragmenté. Pour les entreprises, cela représente un défi bien plus important », dit-il.
Ottmar Edenhofer ajoute : « Un autre gros problème est que nous n’avons toujours pas un marché commun de l’électricité. Les prix de l’énergie baisseraient considérablement si nous pouvions proposer l’énergie solaire espagnole et l’énergie éolienne scandinave sur un réseau électrique européen. Cela permettrait de compenser les pénuries et les excédents à travers les frontières, et les prix diminueraient. Selon le FMI, un marché énergétique intégré permettrait à l’UE d’économiser 40 milliards d’euros par an. Ce serait très bénéfique pour la compétitivité européenne. »