Les exportateurs gardent (un peu) le moral
La confiance des exportateurs chute mais demeure positive, indique le 7e baromètre des exportateurs, réalisé par Roularta et Credendo. L’énergie impacte lourdement les exportations, plus que la guerre en Ukraine.
L’effondrement attendu n’est pas venu. La confiance des exportateurs atteint certes son niveau le plus bas en sept baromètres Credendo-Roularta mais l’indice reste au-dessus de la barrière symbolique du 5/10 et il est à peine plus bas qu’en 2016 et 2020. Face à la croissance des prix énergétiques, aux rupture d’approvisionnement de certaines matières, à la plus forte inflation depuis les années 70 et, bien entendu, au déclenchement d’une guerre aux portes de l’Europe, cette note de 5,5/10 paraît finalement plus qu’encourageante.
“Sur les foires et salons, dans les missions économiques, nous ressentons cet esprit offensif de nos exportateurs, confie la CEO de l’Agence wallonne à l’exportation Pascale Delcomminette. L’économie se contracte et cela sans doute encore le cas l’an prochain mais ils se projettent déjà au-delà et s’investissent pour conquérir de nouveaux marchés.” Les répondants à notre baromètre sont ainsi un peu moins nombreux que ces dernières années à craindre une stagnation des exportations d’ici 2025. Ils ne tablent pas sur des hausses exceptionnelles mais ils sont bien dans une optique de croissance.
“Quand tant de problèmes s’accumulent, soit on s’effondre, soit on finit par se dire que ça va passer, qu’il y a toujours une solution à tout, abonde Olivier Willocx, CEO de Beci. Je sens un peu de cela dans le climat actuel. Après la guerre, à un moment donné, il y a la paix et certains anticipent peut-être les opportunités.” Serait-ce donc pour cela que 4% des répondants estiment que la Russie offre de belles opportunités pour les exportateurs belges ?
Olivier Willocx invite toutefois à la prudence dans la lecture statistique : le 5,5 est une moyenne et un quart des répondants ont mis un indice de confiance entre 1 et 4. “Ce sont des entreprises qui ne savent pas très bien vers où l’on va, dit-il. Voir que 25% des entreprises sont dans cet état d’esprit, c’est inquiétant.”
Trop dépendant de la pharma ?
Les sciences du vivant continuent de caracoler en tête de notre baromètre : la biotechnologie, la pharmacie et la chimie sont les trois secteurs à présenter le meilleur potentiel à l’export, selon les répondants. C’est particulièrement précieux ces derniers temps car ces domaines ont été moins impactés que d’autres par les crises successives. Ne serait-il pas temps, toutefois, que d’autres secteurs viennent titiller les sciences du vivant ? L’économie belge ne risque-t-elle pas une forme de pharmacodépendance ? “Etre dans le top mondial pour un tel secteur, on ne va pas s’en plaindre, répond Edward Roosens, économiste en chef à la FEB. Dans la construction ou l’alimentation, nous avons aussi des entreprises de niveau mondial.”
La CEO de l’Awex Pascale Delcomminette y ajouterait volontiers le génie mécanique et les cleantech. Elle souligne l’apport de la politique dite S3 des Domaines d’innovation stratégiques, entrepris par le gouvernement wallon et en particulier le ministre de l’Economie Willy Borsus (MR). “Le S3 est davantage orienté que les filières que sur des secteurs, souvent un peu trop silotés, dit-elle. Les équipes analysent vingt filières stratégiques sur toute la chaîne de valeur, avant de les aider à se consolider, à se déployer. Tous les domaines sont abordés de la logistique au marketing en passant par l’approvisionnement ou les RH.Cela doit conduire à des croisements entre les secteurs.”
L’impact de l’énergie
Le septième baromètre met bien entendu le focus sur l’impact de la hausse des prix énergétiques : 83% des exportateurs estiment subir un impact négatif des prix énergétiques et 40% ont même dû renoncer à des projets d’exportation à cause de cela. Deux répondants sur trois disent avoir pu répercuter une partie de la hausse du coût énergétique dans leurs prix et un quart envisagent de le faire.
Bref, à peu près tout le monde compte revoir ses prix. “Je lis cela comme une illustration du pragmatisme belge, nuance Olivier Willocx. Ça veut juste dire “on va essayer”. “Tout dépend vraiment de qui sont vos clients, ajoute Edward Roosens. Essayez donc de dire à Walmart ou à Teso que vous augmentez vos prix de 20%, vous n’aurez plus beaucoup de commandes. Ce sera très compliqué de répercuter les surcoûts dans les prix.” Surtout si vous voulez aussi répercuter l’impact de l’indexation des salaires. Trois répondants sur quatre confirment que l’indexation impactera leurs perspectives à l’exportation. 11% parlent même d’un impact “énorme” et 37% d’un impact “significatif”.
Le retour du risque politique
Si l’an dernier, les formalités administratives étaient pointées comme premier frein aux exportations belges, en 2022 les coûts de production reprennent la première place pour cette question récurrente de notre baromètre (35%). Il est intéressant de constater la nette progression des risques de non payement (26%), des risques politiques (19%) ou des risques de change (14%).
“Le risque politique revient clairement à l’avant-plan, analyse Nabil Jijakli. Cela se voit à travers la question sur les dommages subis à l’exportation, parmi lesquelles on retrouve en bonne place les variations des taux de change, les guerres ou révolutions, les ruptures arbitraires de contrat.” Et en bonne logique avec ce constat, les exportateurs concèdent chercher un peu plus d’aide qu’auparavant auprès de leur banquier (29%) ou de leur assureur-crédit (13%).
Climat : les entreprises prêtes à agir
Même si d’autres éléments impactent plus leur business à court terme, les entreprises exportatrices confirment leurs préoccupations climatiques. Elles estiment, à une quasi unanimité, qu’elles doivent agir sans attendre des réglementations politiques. “Il faut inciter et aider les entreprises à investir dans la transition mais il faudra aussi des contraintes, affirme Nabil Jijakli (Credendo). Les deux vont de pair.” Il se réjouit de la présence de gros acteurs en Belgique comme John Cockerill dans l’hydrogène ou Deme dans l’éolien et salue le fait que “la lutte contre le réchauffement demeure une constante du baromètre, même si elle est moins mise en avant cette année”. “L’action climatique devient de plus en plus une orientation claire dans les business plans, ajoute Pascale Delcomminette (Awex). Certes, ce ne sont encore parfois que de petits pas mais le déclic est là. Le développement durable est au coeur de l’action de l’Awex, nous avons des entreprises de pointe dans les technologies environnementales, le traitement de l’eau ou des déchets.”
Enquête en ligne réalisée par Roularta du 24 octobre au 9 novembre auprès de 894 entreprises belges. 35% des répondants sont des CEO et 21% des membres de comité de direction.
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