Encore marginale, la mouvance des « citoyens souverains » gagne en visibilité en Europe et à l’international. Opposé à toute autorité étatique, elle inquiète aussi.
Les « citoyens souverains » refusent de se soumettre aux institutions publiques, affirmant que l’État est une entité illégitime. Le mouvement mêle plusieurs influences : rejet du fédéralisme, contestation fiscale, théories complotistes et recours à un pseudo-droit. Ce dernier consiste à invoquer des règles juridiques inventées, présentées comme supérieures aux lois en vigueur.
Au centre de cette vision se trouve la conviction que les États n’existeraient pas en tant qu’entités publiques, mais seraient en réalité des sociétés commerciales enregistrées à Washington. Toujours d’après cette croyance, chaque individu serait transformé à sa naissance en une sorte de « fiducie », sans qu’il en ait conscience ni consentement. L’acte de naissance ne serait qu’une tromperie et ferait de l’enfant une franchise appartenant à l’« État-entreprise ». Les adeptes parlent ainsi régulièrement de « fraude au nom de naissance » pour désigner ce mécanisme imaginaire.
Si cela peut sembler complètement farfelu, ce n’est pas anodin pour autant.
Des origines américaines à l’expansion internationale
Le mouvement est apparu aux États-Unis dans les années 1970. La crise agricole des années 1980 a accéléré son développement. Ils seraient aujourd’hui entre 350.000 et 400.000. Il s’est aussi exporté vers d’autres pays, dont la France, l’Allemagne, le Canada, l’Australie ou la Russie. Parmi les groupes emblématiques figurent les « Freemen on the land » au Canada et les « Reichsbürger » en Allemagne.
En France, la mouvance a pris de l’ampleur pendant la pandémie de COVID-19 et suite au mouvement des gilets jaunes. La viralité des vidéos sur les réseaux sociaux et l’émergence de figures comme Alice Pazalmar ont contribué à populariser l’idéologie.
Mais c’est surtout une vidéo d’avril 2024 vue des millions de fois qui va attirer l’attention des médias. On y voit un couple refusant un contrôle de gendarmerie en scandant « Je ne contracte pas ». Le geste ne restera pas sans suite et se soldera par une condamnation pénale en avril 2025.
Et en Belgique ?
Le mouvement des citoyens souverains en Belgique reste marginal, mais il connaît une certaine visibilité, notamment via les réseaux sociaux. Des individus ont été identifiés comme adhérant à cette idéologie, bien que leur nombre exact soit difficile à déterminer. Des groupes tels que “One Nation”, un mouvement complotiste français, ont été signalés comme actifs en Belgique depuis 2021. Ce groupe partage des croyances similaires à celles des citoyens souverains américains
Pratiques et croyances radicales
Ils se considèrent comme des personnes morales autonomes, libres d’établir leurs propres règles contractuelles, que ce soit avec leur fournisseur d’énergie, l’administration fiscale, la police ou encore la justice. Hors de ce qu’ils appellent le « système », ils refusent impôts, justice, contrôles routiers et parfois même services de santé ou d’éducation, s’appuyant sur des arguments pseudo-juridiques et des interprétations fallacieuses du droit.
Ainsi l’existence d’un numéro de SIRET en France est souvent citée comme preuve de « l’entreprise privée qu’est l’État », alors qu’il ne s’agit que d’un outil administratif. Le SIREN et le SIRET, est l’équivalent français de notre numéro d’entreprise. Le SIREN identifie l’entreprise dans son ensemble, le SIRET identifie un établissement précis. Rien à voir avec une « société privée de l’État », contrairement à ce que prétendent les citoyens souverains.
Ce côté électron libre, n’empêche pas certains d’organiser leur indépendance via des structures comme la « Commen Law Court » en Écosse. Là-bas sont créés des cartes d’identité ou des passeports censés officialiser leur souveraineté, bien que ces documents ne soient reconnus par aucun État. A 35 euros la carte d’identité et 120 euros le passeport ou plus de 300 euros la plaque d’immatriculation qui ne servent à rien sauf à prouver qu’ils « existent », on n’est guère loin de l’arnaque.
Une défiance radicale et ses conséquences
Pour les autorités, le mouvement représente avant tout un risque de violence.
L’idéologie s’inscrivant dans un rejet global des institutions et de l’ordre établi, elle nourrit un discours complotiste et antisystème. Elle attire des individus en marge de la société, souvent vulnérables à des croyances radicales.
Foncièrement opposés à l’État, les citoyens souverains considèrent ce dernier comme illégitime et contrôlé par une élite corrompue. Cette défiance peut se traduire par des comportements violents et des affrontements avec les forces de l’ordre.
Aux États-Unis, des partisans de cette mouvance ont participé à l’assaut du Capitole en janvier 2021. Selon une chercheuse américaine, 75 incidents liés aux citoyens souverains ont entraîné la mort de 27 policiers aux Etats-Unis entre 1983 et 2020.
Deux policiers ont été tué en Australie en décembre 2022. Fin août 2025, un homme adepte du mouvement aurait encore tué deux autres policiers dans les Alpes australiennes. En France, début 2025, un homme et une femme se revendiquant de la mouvance ont été mis en examen pour terrorisme, soulignant le potentiel dangereux du mouvement.
Une mouvance surveillée et en expansion
En Europe et ailleurs, les citoyens souverains restent relativement marginaux, mais leur visibilité est croissante. Grâce aux réseaux sociaux, ils diffusent massivement leurs idées et peuvent mobiliser rapidement des sympathisants, accentuant les tensions sociales et politiques.
Néanmoins, pour l’instant, les principales victimes de la mouvance sont les adeptes eux-mêmes. Convaincus de leur autonomie absolue, certains vont jusqu’à s’extraire de la société. Sauf qu’en se présentant comme des résistants face à un État « illégitime », la réalité est souvent plus dure pour eux-mêmes. En rejetant les institutions publiques, ils s’exposent à des sanctions légales, des amendes, des contrôles policiers et parfois à des peines de prison. Leur mode de vie « hors système » entraîne aussi des conséquences pratiques.
Refuser impôts, sécurité sociale, soins médicaux ou scolarisation expose à des difficultés financières, à des problèmes de santé non pris en charge et à une marginalisation sociale. Les citoyens souverains multiplient ainsi les contentieux avec l’administration fiscale ou les fournisseurs souvent pour des factures qu’ils refusent de payer. Leur « émancipation» se traduit donc, dans les faits, le plus souvent par un isolement et une vulnérabilité accrue.
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