L’entretien confession de Jean-Michel Javaux: “Je pars de Noshaq fier et sans amertume”

former Green politician | Ancien politicien Ecolo 09/07/2025caption © BELGA/BELPRESS
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le président écologiste de l’”invest” liégeois quitte son mandat avant terme, fin novembre, poussé dans le dos par le MR. Il salue toutefois le “respect humain” et défend surtout le bilan d’un outil économique qui a connu une forte croissance. “Je referme l’un des plus beaux livres de ma vie professionnelle”, confie-t-il.

Jean-Michel Javaux quitte la présidence du conseil d’administration de Noshaq de façon anticipée. Il sera remplacé en cette fin du mois de novembre par le libéral Michaël Vanloubbeeck. C’est la conséquence de la lourde défaite d’Ecolo aux élections de juin 2024 et le fruit d’une volonté de changement affichée par le MR. Après plus de 12 années passées à la tête de l’invest liégeois, l’ancien coprésident des verts ne souhaite pas polémiquer bien qu’il soit poussé vers la sortie, tant il ne veut pas nuire à l’outil. Dans un long entretien accordé à plusieurs médias, dont Trends-Tendances, il revient sur ce long mandat au cours duquel l’ancien Meusinvest a pris un autre visage.

TRENDS-TENDANCES. Quel est votre sentiment en quittant Noshaq ?

JEAN-MICHEL JAVAUX. C’est comme quand vous lisez un roman et que vous n’avez pas envie de tourner la dernière page, tant vous y êtes accroché. Noshaq a été l’un des plus beaux livres de ma vie professionnelle. J’avoue que je ne m’y attendais pas en arrivant. Mais je tiens à bien le refermer, que ce soit à l’égard de l’outil, des équipes, de nos partenaires…

Pourquoi était-il particulièrement beau ?

Parce que l’outil a évolué de façon incroyable, dans la lignée de ce qui avait été initié par le président précédent, Josly Piette. Quand je suis arrivé, en 2013, j’ai immédiatement noué un duo magique et très complémentaire avec Gaëtan Servais à la direction générale, avec ses 14 idées par jour et son côté à la fois très inspirant et très professionnel. Nous sommes passés de 20 personnes à 62 aujourd’hui, avec davantage de femmes que d’hommes.

Il y a souvent un cliché selon lequel les invests seraient politisés, mais je vous défie de mettre une étiquette sur 98% de ces gens. En outre, Noshaq dégage de l’argent et rapporte des dividendes de 4% en moyenne à la Région depuis cinq ans. Nous en sommes à 200 millions de fonds propres et 800 millions d’actifs gérés. Je tiens à insister aussi sur le fait que les trois conseils d’administration que j’ai présidés étaient très complémentaires et diversifiés.

“Noshaq dégage de l’argent et rapporte des dividendes de 4 % en moyenne à la Région depuis cinq ans.”

Durant ces années, Noshaq n’est-il pas surtout devenu davantage que le simple outil de financement liégeois qu’était Meusinvest ?

C’est une évolution très importante, c’est vrai. Le premier plan stratégique se concentrait sur la volonté de devenir un guichet unique concentrant tous les services aux entreprises. Les deux plans stratégiques suivants ont fixé des priorités plus fortes, sur certains secteurs comme les biotechs évidemment, mais aussi l’énergie, les industries créatives et culturelles qui créent beaucoup d’emplois. Nous venons d’y ajouter l’agroalimentaire et nous avons fait exploser l’immobilier en soutien à tous ces écosystèmes. Quand on voit ce que devient le LégiaPark, par exemple, qui attire même des acteurs flamands, c’est fantastique. Nous sommes devenus un véritable acteur de transformation territoriale, plus uniquement un service aux entreprises.

Et plus uniquement à Liège ?

C’est toujours le cas à Liège, mais de plus en plus à Verviers et à Huy, et cela dépasse même les frontières de la province. Dès 2019, Gaëtan et moi sommes allés boire des trappistes avec Fabien Pinckaers (le CEO d’Odoo, ndlr), qui représentait 300 millions de valorisation à l’époque et qui en vaut 5 milliards aujourd’hui. C’était cohérent d’investir dans une entreprise comme celle-là parce que cela avait un effet d’entraînement plus large avec d’autres sociétés de notre portefeuille comme NSI et NRB, en phase avec l’explosion de ce secteur.

Même chose avec Fabrice Brion d’I-care et la maintenance prédictive industrielle. Ce sont des rencontres humaines et des coups de foudre professionnels. C’est aussi très inspirant parce qu’ils font désormais partie des grands patrons belges. Tout cela dépasse la vieille guerre des bassins et le saupoudrage que l’on a trop longtemps reproché à la Wallonie. Nous avons souvent travaillé en partenariat avec d’autres invests parce que nous avons besoin d’ambition et d’une taille suffisante.

“Nous avons souvent travaillé en partenariat avec d’autres invests parce que nous avons besoin d’ambition et d’une taille suffisante.”

Vous ne prônez pas la fusion des “invests” pour autant, mais la structuration actuelle a-t-elle encore une raison d’être ?

Il reste des spécialisations dans certains secteurs. Nous venons d’évaluer le dernier plan stratégique de Noshaq et nous avons investi dans 94% des secteurs définis à l’avance. Je préconise les partenariats comme nous les avons menés. Je n’ai pas envie d’être dans la polémique en tournant la page. Le ministre de l’Économie fera son évaluation. Ce qui se passe dans les autres provinces, cela ne me regarde pas directement. Une autre fierté de notre travail d’équipe réalisé à Noshaq, c’est que nous avons en permanence essayé d’anticiper ce qui va arriver.

Noshaq peut-il être un modèle ?

Je n’aime pas être un donneur de leçons, il y a de très belles réussites dans les autres provinces. Quand je parle d’anticipation, je fais notamment référence à la gouvernance. En 2013, plusieurs administrateurs ont mis en garde contre des réglementations européennes à venir et il a rapidement été clair que nous devions être carrés dans nos procédures de compliance, de conflits d’intérêts, de comités de rémunération… Je suis fier que nous ayons respecté ces règles, tout en dégageant des dividendes dès 2019. Cette année-là, à la fin du premier plan stratégique, c’était la première fois que nous dépassions les 100 millions d’investissements avec 420 sociétés en portefeuille, ce qui n’était pas rien.

Malgré l’arrivée du covid, suivie des investissements dans la province de Liège et la crise énergétique, nous avons continué à dépasser les 100 millions. Nous avons ouvert la Grand Poste (tiers-lieu mêlant food market, espaces de coworking, bureaux, événementiel, etc., ndlr) durant cette période, ce qui était une grosse prise de risque. Ensuite, pour le dernier plan stratégique, nous avons décidé de ne plus faire plus, mais de faire mieux, c’est-à-dire de monter davantage dans les tickets d’investissement et d’exercer davantage de rotations.

C’était un choix, dites-vous, mais cela n’a-t-il pas également été dicté par les conditions de marché ?

C’est vrai. Mais j’adore dire par ailleurs que Noshaq est une société anonyme de droit privé avec un ADN public. Nous fonctionnons vraiment comme un fonds de private equity, en visant de la profitabilité, mais en continuant à avoir un impact sur le territoire et à faire des dossiers que les fonds privés ne feraient pas. C’est typiquement le cas de notre projet de communauté d’énergie pour les entreprises, qui est en phase pilote. Nous voulons aider les entreprises à se décarboner : même si ce n’est plus forcément dans l’air du temps, les industriels continuent à en faire une priorité.

Nous voulons diminuer le risque. C’était d’ailleurs cela aussi la raison de notre stratégie immobilière : dans certaines entreprises, il n’y avait plus assez d’argent pour grandir en raison de ce coût et du risque. L’année dernière, nous en étions à plus d’un milliard investi, du nouveau bâtiment de NSI à la reconversion de certaines friches en passant par le LégiaPark. Ce devrait être un point important du plan stratégique futur, avec le renforcement de certains écosystèmes dont les biotechs ou la montée en puissance de la défense, mais aussi de l’autonomie stratégique au sens large, y compris énergétique. Ce sera pour le prochain président, que je connais bien puisque c’est un ami de 20 ans.

Regrettez-vous votre départ anticipé ?

C’était prévu, avec la fin du plan stratégique programmée pour juin 2026. Une nouvelle période de financement doit avoir lieu l’an prochain et la rédaction du prochain plan est en cours : c’était sans doute le bon moment pour me retirer.

Pourquoi ne pas avoir attendu 2028 comme cela était initialement prévu ?

J’ai assez d’expérience pour savoir l’impact des élections.

Y avait-il une volonté de revanche de la part du MR ?

Il y a en tout cas eu une accélération de la fin de plusieurs mandats dans plusieurs outils, dont Wallonie Entreprendre, l’ONE ou ailleurs. Mais Pierre-Yves Jeholet a été assez correct, il m’a prévenu assez longtemps à l’avance.

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Ce n’était donc pas un souhait de votre part…

Je n’aurais évidemment pas continué après ce mandat-ci, il ne faut pas exagérer. Ma philosophie aujourd’hui consiste à dire merci pour toutes ces années. Je l’ai dit d’emblée, je n’ai pas envie de partir sur de l’amertume ou de la déception. Il y a eu une évolution politique, c’est la réalité. Je n’ai pas aimé la façon dont l’information est sortie dans la presse, c’est vrai, parce que l’on évoquait un grand nettoyage…

Ce n’est pas le cas ?

Il y a un respect humain des deux côtés. Les résultats de Noshaq sont bons, il reste sept mois avant la fin du plan stratégique et nous avons atteint tous nos objectifs. J’ai envie que la transition soit positive pour l’outil, pour les équipes, pour le directeur général et pour le conseil d’administration dont 80% des membres vont rester. Ce sont souvent des périodes difficiles à gérer, je ne veux pas en rajouter. On sous-estime souvent l’importance d’avoir un conseil d’administration soutenant, challengeant, mais aussi au sein duquel règne la confiance. J’estime avoir une responsabilité à ce que cela se passe bien.

Quitte à prendre sur vous ?

Je prends sur moi, mais je me rends compte aussi que j’ai fait trois mandats, ce que peu de personnes ont eu la chance de faire. J’ai d’ailleurs été renouvelé à des moments où Ecolo n’était plus nulle part. Je n’ai jamais eu à rendre des comptes à un parti.

C’est donc un départ anticipé, mais… normal ?

C’est un excellent résumé. En tout cas, ils m’ont laissé le temps de finir l’évaluation du plan stratégique, de dire au revoir aux équipes… Nous avons fait plusieurs réunions de transition avec le nouveau président et nous avons rencontré les actionnaires. Il fut une époque où tous les mandats allaient jusqu’au bout, mais ce n’est pas choquant. Je ne pense pas non plus qu’il y ait quoi que ce soit de personnel dans la décision, c’est en tout cas ce que j’ai compris.

Y a-t-il une volonté de montrer la rupture de la part des libéraux ?

Je ne sais pas si ce sera une rupture. La communication de mon successeur, Michaël Vanloubbeeck, consistait à dire qu’il s’inscrirait dans la continuité. Par ailleurs, cette période à Noshaq fut très émotionnelle pour moi, mais je suis aussi quelqu’un qui aime les nouveaux défis. Il se fait qu’il y a un an, après avoir décidé de ne plus être bourgmestre d’Amay, j’ai rejoint l’équipe du bureau de communication Gosselin & de Walque, qui est actif dans le conseil en stratégie et en risque réputationnel.

S’agit-il là de votre prochain défi ?

Monter en puissance, oui. Le bureau a fusionné avec les Flamands de FINN, avec un groupe européen qui investit : nous devenons la plus grosse agence de communication stratégique du pays avec 55 collaborateurs. C’est un beau défi, avec des gens que j’ai croisés à d’autres moments de ma carrière comme Bruno Colmant, Jean-Marc Meilleur en plus de Guillaume de Walque et Ermeline Gosselin. Il faut continuer à avancer. Je suis fier de ces 13 années au cours desquelles j’ai pu montrer que quelqu’un de très étiqueté Ecolo pouvait gérer très bien un outil public.

Vous sentez-vous toujours ‘homme politique’ ? Avez-vous toujours votre carte chez Ecolo ?

Oui, je suis toujours membre du parti Ecolo et j’y ai fatalement beaucoup d’amis. Je reste au conseil communal, dans l’opposition. Paradoxalement, j’ai davantage le temps de lire tout sur les sujets politiques, mais pas uniquement. Je suis intimement convaincu que l’on vieillit quand on n’est plus curieux et quand on reste dans sa zone de confort. Oui, bien sûr, je serais bien allé jusqu’au bout du mandat, mais je prends aussi cela comme un signal pour ne pas tomber dans la routine. C’est peut-être bien aussi pour Noshaq d’avoir de nouvelles impulsions, on verra.

Outre mon mandat chez Gosselin & de Walque, je compte par ailleurs m’investir davantage dans des mandats gratuits : j’ai rejoint le PO d’une école, je m’investis dans l’accueil de l’enfance et dans l’aide à la jeunesse… Si je peux transmettre un peu d’expérience, je le ferai. Ce sera aussi, pour moi, l’occasion de mieux articuler vie professionnelle et vie privée.

“L’Europe et le monde ont besoin d’écologie politique. Plus que jamais.”

Êtes-vous inquiet de la crise traversée par Ecolo ?

Je suis à disposition pour transmettre mes conseils. La situation est très difficile en Belgique et en Europe. Je retrouve un peu le même contexte qu’après les attentats terroristes de 2001, quand les priorités avaient complètement changé du jour au lendemain. Lorsque j’ai repris la tête d’Ecolo en 2003, toutefois, Al Gore arrivait aux États-Unis et Nicolas Hulot était ultra-populaire en France. Il y avait une vraie prise de conscience. Aujourd’hui, on doit absolument refaire du débat public et avoir le courage de remettre ces enjeux fondamentaux sur le devant de la scène. On ne se rend pas encore compte de l’impact du téléphone mobile, des réseaux sociaux ou de l’IA… sur la politique et la solidarité.

Au début de mon mandat chez Ecolo, je me souviens que l’on me disait que je n’étais pas assez agressif. Mais non, je ne pense pas, je crois que l’on peut être gentil, correct, respecter ses accords et faire des propositions. On va devoir reprendre le temps de ce respect-là. Mais est-ce que cela m’inquiète ? Oui, évidemment, parce que je pense que la Belgique, l’Europe et le monde ont besoin d’écologie politique. Plus que jamais.

BIO EXPRESS

● 1967 : Naissance à Liège
● 1999-2003 : Député wallon
● 2003-2012 : Secrétaire fédéral d’Ecolo
● 2006-2024 : Bourgmestre d’Amay
● 2012-2025 : Présidence de Noshaq

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