Le vrai malade longue durée, c’est notre système de santé

Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, souhaite que les employeurs contribuent plus longtemps au financement des leurs collaborateurs en arrête maladie malades. Mais les experts estiment que la responsabilité de cette hausse du nombre de malades de longue durée ne repose pas uniquement sur les entreprises.

Peu de dossiers font l’unanimité au sein du gouvernement fédéral. La gestion des malades de longue durée fait exception : tous s’accordent à dire que la hausse doit être enrayée et qu’un maximum de personnes actuellement inactives doit être réintégrées sur le marché du travail.

Entre 2010 et 2025, le nombre de malades de longue durée a doublé. L’INAMI en recense 526.507 et, selon le Bureau du Plan, ils seront 600.000 en 2035. « En réalité, ils sont encore beaucoup plus nombreux, car les fonctionnaires statutaires ne sont pas inclus dans ces chiffres », a déclaré récemment le docteur Jan Van Meirhaeghe, président de l’Ordre des Médecins flamands (VAV), lors d’un symposium organisé par son organisation avec l’Aktiokomitee-Vlaamse Sociale Zekerheid (AK-VSZ).

« Peut-on poser une question parlementaire pour savoir si les membres du personnel des services publics fédéraux, de la police, des administrations locales et de l’enseignement qui sont absents de longue durée sont inclus dans ces chiffres ? Il n’existe d’ailleurs pas de chiffres exacts sur le nombre de personnes qui percevront une pension d’invalidité cette année. Les dernières statistiques de l’INAMI donnent une image de la situation à la fin de l’année 2023. »

Un coût de 11,1 milliards d’euros

Le coût des allocations pour les malades de longue durée s’élève à 11,1 milliards d’euros. Si l’on y ajoute les personnes en incapacité de travail depuis moins d’un an, le montant atteint 14,6 milliards d’euros. « C’est une hausse de 50 % par rapport à il y a cinq ans. Les allocations d’invalidité ont également augmenté beaucoup plus fortement que le budget de la santé ou celui consacré aux médecins et aux médicaments », constate Van Meirhaeghe. « Près d’un quart des moyens alloués à la santé est destiné à des personnes incapables de travailler. À terme, le système deviendra inabordable. Plus d’un sur quatre malades de longue durée reçoit une allocation depuis dix ans ou plus. Environ 31.000 personnes sont malades depuis vingt ans. »

« Près d’un quart des moyens alloués à la santé est destiné à des personnes incapables de travailler. À terme, le système deviendra inabordable » – Jan Van Meirhaeghe

Accroître la responsabilité des entreprises

Le gouvernement fédéral veut économiser 1,8 milliard d’euros en activant les malades de longue durée et en évitant que les salariés ne tombent dans ce régime. La semaine dernière, il a été révélé que le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), souhaite accroître la responsabilité des entreprises en les faisant contribuer plus longtemps pour leurs salariés malades. À l’avenir, une entreprise ne devrait pas seulement garantir le salaire d’un salarié pendant deux semaines (pour une majorité de travailleurs), mais pendant un mois entier.

Vandenbroucke souhaite également prolonger la contribution de solidarité que les entreprises versent actuellement au cours du deuxième et troisième mois de maladie jusqu’au sixième mois. Cela devrait rapporter 280 millions d’euros, même si une réduction de charges serait accordée en contrepartie. Vandenbroucke espère que les entreprises investiront davantage dans une politique de prévention.

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Situation actuelle

Propositions de Frank Vandenbroucke

Ouvrier – Maintien du salaire par l’employeur pendant 30 jours (100 % jours 1‑7, 86,93 % jours 8‑14, 26,93 % jours 15‑30). – Prolongation de la période de maintien du salaire par l’employeur jusqu’à un mois.
– Après 30 jours, indemnités versées par l’INAMI selon le statut et le degré d’invalidité. – Extension de la contribution de solidarité (2e‑3e mois → 6e mois) pour inciter à la prévention et à la réintégration.
– Allocations pouvant durer jusqu’à la retraite pour les malades de longue durée.  
Employé – Maintien du salaire par l’employeur pendant 30 jours. – Même mesures que pour les ouvriers : prolongation de la période de maintien du salaire et extension de la contribution de solidarité.
– Ensuite, indemnités INAMI selon le statut et le degré d’invalidité. – Objectif : responsabiliser l’employeur et activer la réintégration dans le marché du travail.
– Allocations pouvant aller jusqu’à l’âge de la retraite.  
Objectifs globaux – Soutien financier initial assuré par l’employeur, puis par l’INAMI. – Encourager la prévention et la réintégration.
– Risque de prestations prolongées jusqu’à la retraite. – Responsabiliser employeurs, mutualités et médecins.
– Faible activation et responsabilisation des employeurs et des malades. – Réduire les prestations longues et limiter la dépendance prolongée au système.

Les employeurs se sentent visés

Le président du VBO, Pieter Timmermans, n’est pas convaincu. Sur X, il a déclaré que Vandenbroucke « fait tourner les employeurs en bourrique ». « Il augmente les coûts pour les entreprises, mais via une réduction de charges, elles les récupèrent », explique Timmermans. « Dans l’accord de gouvernement, cette réduction fiscale visait à renforcer la compétitivité. »

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Les employeurs se sentent visés, mais le gouvernement De Wever veut entraîner tout le monde dans la réforme. La responsabilité des employeurs, des malades, des services de placement, des médecins et des mutualités est le fil rouge. Les malades de longue durée qui ne collaborent pas à leur réintégration risquent de perdre une partie de leur allocation. Mais Jan Van Meirhaeghe avertit qu’il restera toujours facile pour certains de passer entre les mailles du filet. « En 2023, 11.717 malades de longue durée étaient officiellement domiciliés à l’étranger. La moitié percevait une allocation depuis plus de quatre ans », constate-t-il. « Cela ne facilite pas la réintégration sur le marché du travail et ouvre la porte aux abus. »

« Limiter le problème aux seuls malades est une erreur. Les employeurs ne sont pas suffisamment incités à contribuer activement à une reprise du travail », souligne le Dr Bart Garmyn, directeur médical chez Securex.

Des vases communicants

Denys trouve préoccupant que le nombre d’inactifs pour raison de maladie ou d’invalidité ait fortement augmenté en Belgique au cours des quinze dernières années, plus que dans le reste de l’Europe. Il n’y voit aucune explication objective liée à la démographie, à la médecine ou aux ressources humaines. « Ni l’état réel de santé des Belges, ni leur âge – les Belges ne sont pas plus âgés que les habitants d’autres pays de l’UE – ni la qualité du travail ne suffisent à expliquer cette hausse », indique-t-il.

Ou cela pourrait-il résulter de l’effet des soi-disant vases communicants ? Une diminution dans un système due à une approche plus stricte – comme l’introduction de l’allocation chômage dégressive ou la suppression du préretraite ou du SWT – provoquerait alors une hausse dans un autre système. « Mais ces vases communicants ne sont pas une loi naturelle », insiste Jan Denys. « Il existe des pays de l’UE où cet effet est absent ou beaucoup moins marqué. »

« Les vases communicants sont un choix politique. Un simple benchmark avec d’autres pays de l’UE montre que c’est surtout le système de santé belge qui est malade », souligne-t-il encore. « Il n’y a ni contrôle, ni activation, ni responsabilisation. »

Accompagnement et contrôle vont de pair

En Wallonie, le nombre de malades de longue durée est passé de 4,6 % à 9,6 % des 20-65 ans entre 2012 et 2023, à Bruxelles de 3,7 % à 6,6 %.

La Flandre compte certes le plus grand nombre de malades de longue durée – près de 270.000 contre 198.000 en Wallonie – mais la progression y a été beaucoup plus limitée au cours de la dernière décennie : de 5 % à 6,1 %.

Pour comparaison : au niveau de l’UE, seulement 4,3 % des 20-65 ans sont malades de longue durée.

Part des malades de longue durée : la hausse la plus rapide en Wallonie

Personnes âgées de 20 à 65 ans, non actives pour cause de maladie ou d’invalidité (en %)

Source : INR / Denys

Le système actuel des certificats médicaux doit changer

Selon Bart Garmyn, la politique doit aller au-delà des sanctions et des contrôles : « Les recherches montrent que le soutien sur le lieu de travail, le management centré sur l’humain et la motivation du salarié sont cruciaux. La réintégration ne réussit que si les personnes croient à nouveau en leurs compétences et se sentent soutenues. »

Lode Godderis, professeur de médecine du travail à la KU Leuven et CEO du service de prévention Idewe, partage le même point de vue. Il souligne que la probabilité d’une reprise réussie diminue déjà après trois mois d’absence. Lode Godderis critique le système actuel des certificats médicaux : « Le certificat médical est comme un médicament, dont l’usage fréquent ou prolongé a des effets secondaires qui compliquent la guérison et le retour au travail », constate-t-il. « Il faut considérer le travail comme une partie du processus de rétablissement et non comme le point final. »

Jan Van Meirhaeghe, ancien chirurgien orthopédiste, sait par expérience que cela n’est pas facile : « Je peux citer des patients dont le patron leur a dit qu’il ne voulait les revoir que lorsqu’ils seraient 100 % opérationnels. »

L’organisation patronale flamande Voka a récemment proposé qu’un médecin généraliste puisse délivrer un certificat pour une absence maximale d’un mois. Pour les périodes plus longues, le médecin du travail serait le spécialiste compétent. Il établirait alors avec le salarié et l’employeur un plan de réintégration personnalisé. Au lieu des certificats médicaux, il serait utilisé un fit note, indiquant ce que le salarié malade peut encore accomplir.

Meilleure circulation des données

Heidi Reynders, médecin-directrice de la Fédération des Mutualités neutres, souligne la réalisation de plusieurs progrès déjà. « Nous attendons d’autres réformes au cours de 2026, comme la limitation de la durée de validité des certificats médicaux à trois mois », indique-t-elle. « Le financement des mutualités sera davantage axé sur les résultats. Les mutualités seront financièrement responsables de leur contribution à une réintégration réussie des personnes en incapacité de travail. »

Par ailleurs, il y a eu le lancement de la plateforme TRIO. Il s’agit d’un outil numérique facilitant l’échange de données entre le médecin traitant, le médecin généraliste, le médecin du travail et le médecin-conseil. « Bien que la plateforme soit encore en phase de développement, elle est considérée comme un instrument prometteur qui favorisera la réintégration », conclut Heidi Reynders.

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