Sur les 10 prochaines années, la planète comptera davantage d’Indiens que de Chinois. Les conditions sont aujourd’hui réunies pour que l’Inde devienne la nouvelle puissance asiatique.
L’éléphant indien peut-il dépasser le dragon chinois ? L’idée a longtemps paru extravagante. La croissance annuelle du PIB chinois ayant excédé celle du PIB indien ces 40 dernières années, l’économie chinoise pèse aujourd’hui cinq fois plus que celle de son voisin indien. La balance commerciale entre les deux géants asiatiques est embarrassante : les exportations indiennes vers la Chine (en grande majorité des matières premières) représentent à peine un sixième de ses importations (principalement des produits finis).
Mais la situation commence à s’inverser. Depuis deux ans, la croissance de l’économie indienne a dépassé celle de l’activité chinoise, et ce sera toujours le cas en 2017. La population indienne augmente elle aussi plus vite que celle de la Chine. Sur les 10 prochaines années, la planète comptera davantage d’Indiens que de Chinois. Et alors que la Chine aura une population vieillissante, l’Inde continuera de toucher un dividende démographique, avec un nombre croissant d’actifs ayant relativement peu de personnes à charge.
Depuis deux ans, la croissance de l’économie indienne dépasse celle de l’activité chinoise.
L’Inde aura davantage de difficultés à distancer la Chine dans d’autres domaines : elle vient tout juste d’atteindre le taux d’alphabétisation de 70 % que la Chine connaît depuis les années 1980 et le revenu par habitant auquel celle-ci a accédé au début des années 2000. Mais l’Inde est passée à la vitesse supérieure et, en 2017, le pays montrera qu’il peut maintenir ce rythme et même l’accélérer.
L’Inde est un pays où des voix dissonantes s’élèvent beaucoup plus qu’en Chine et où le débat économique est plus animé. Tous les économistes s’accordent sur le fait que l’Inde bénéficie aujourd’hui de conditions idéales. La chute des prix du pétrole et l’abondance des précipitations contribuent à redresser l’économie rurale, tandis que la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt est favorable à la consommation des citadins. Urjit Patel, le nouveau gouverneur de la Banque centrale indienne, poursuivra probablement une politique de maintien de l’inflation au plus bas. Le gouvernement de Narendra Modi n’a peut-être pas pleinement tenu sa promesse électorale d’un avenir radieux, mais il ne lui reste aucun défi majeur à relever jusqu’aux élections générales de 2019. Même ses détracteurs reconnaissent qu’il a réduit la corruption, amélioré les infrastructures et accompli une série de réformes prometteuses.
Antagonismes internes
Pendant quelque temps encore, l’Inde restera un pays désorganisé où il ne sera pas facile de faire des affaires.
L’impact de ces réformes, encore modeste, se fera beaucoup plus sentir en 2017. Une TVA très attendue (GST, Goods and Services Tax), dont la mise en place est prévue pour le mois d’avril, permettra d’abolir les barrières commerciales entre les Etats, contribuera à équilibrer leurs budgets et le budget central, et réduira les coûts des entreprises. (La Chine a introduit une taxe similaire en 1991.) D’autres réformes ont incité de nouveaux acteurs à s’introduire dans le secteur financier, longtemps dominé par des entreprises d’Etat peu dynamiques. Beaucoup de ces nouveaux venus espèrent tirer parti de programmes gouvernementaux comme l’Aadhaar, un système d’identification dans lequel chaque citoyen se voit attribuer un numéro unique et qui a déjà recueilli les données biométriques de plus de 1 milliard d’Indiens. Leur objectif est de cibler plus efficacement les pauvres, afin de fournir des services bancaires à ceux qui n’en bénéficient pas et d’intégrer ce vaste secteur parallèle dans l’économie officielle. Pour les optimistes, l’Inde est en train de sauter l’étape de la révolution industrielle pour entrer directement dans l’ère du big data.
Pendant quelque temps encore, l’Inde restera un pays désorganisé où il ne sera pas facile de faire des affaires. Ceci n’est pas simplement dû à l’exubérance de sa démocratie. L’Inde souffre aussi du chevauchement des compétences, de l’enthousiasme excessif de ses fonctionnaires et de l’enchevêtrement de ses tribunaux. Ses écoles d’Etat ont un très mauvais niveau et son enseignement supérieur n’est pas adapté aux besoins du marché. Le pays compte 15 langues officielles (et plus de 600 dialectes), alors que la Chine n’en a qu’une. Qui plus est, l’Inde est confrontée aux mêmes effets négatifs de la croissance à long terme que la Chine a connus dans le passé, à commencer par une pollution désastreuse et les inévitables déplacements humains de l’exode rural. L’avenir du pays sera donc semé d’embûches, y compris au cours de l’année à venir. Les élections s’annoncent très serrées dans plusieurs Etats, dont l’Uttar Pradesh, qui compte 200 millions d’habitants. Les tensions sociales sont plus exacerbées, ce qui risque de déboucher sur des affrontements entre diverses sectes, castes, ethnies et classes. Les relations sont également plus tendues avec des pays voisins, en particulier le Pakistan, qui possède l’arme nucléaire. Si le gouvernement de Narendra Modi parvient à maîtriser les antagonismes internes, 2017 pourrait voir l’Inde s’engager réellement sur le chemin de la prospérité. Le lointain dragon pourrait alors lui sembler un peu plus proche.
Par Max Rodenbeck, chef du bureau Asie du Sud de “The Economist”.