Le démantèlement silencieux de la PAC inquiète les agriculteurs

Caroline Lallemand

Ce mercredi 16 juillet, les agriculteurs manifestent à nouveau à Bruxelles, à l’appel de plusieurs syndicats agricoles. En ligne de mire : la disparition annoncée d’un budget spécifique pour la Politique agricole commune (PAC). Un changement jugé dangereux par les professionnels du secteur comme par la ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq (MR).

La ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq (MR), s’est montrée inquiète lors d’une table ronde sur les défis du monde agricole organisée ce mardi par la banque CBC, à la veille d’une nouvelle manifestation d’agriculteurs à Bruxelles.  « Aujourd’hui, je suis profondément inquiète, parce que l’Union européenne va dévoiler ses propositions pour le cadre financier pluriannuel pour 2028-2034. Et donc, par conséquent, sur la PAC , qui en représente une part significative. »

Très attendue, la présentation de ce “cadre financier pluriannuel” donnera le coup d’envoi de négociations budgétaires aussi longues que tendues entre les Vingt-Sept pays membres de l’UE. Les discussions pourraient durer plus de deux ans, jusqu’à fin 2027. Actuellement, la PAC représente le premier poste budgétaire de l’UE avec 387 milliards d’euros sur sept ans (2021-2027), dont 270 milliards d’aides directes aux agriculteurs.

Un socle menacé

« Avant, on avait un budget distinct pour la PAC, commente la ministre. Cela permettait de garantir que les fonds étaient exclusivement consacrés à l’agriculture, à ses enjeux et à ses transitions. Mais aujourd’hui, on parle de mettre le budget de la PAC dans un fonds plus large, un fonds de cohésion, un grand paquet de ‘plans nationaux’. Et là, j’ai deux inquiétudes majeures. La première : qui va négocier ces plans ? Est-ce que ce seront encore les filières agricoles ? La seconde : quelle part de ce paquet sera dédiée à l’agriculture ? Car si on ne garantit pas un minimum réservé à la PAC, chaque État membre pourra faire comme il veut. Certains diront : ‘Moi, j’y tiens, j’investis.’ D’autres : ‘Moi, un peu moins.’ Résultat : il y aura encore plus de distorsions de concurrence entre les pays. Et en plus, on appellerait ce nouveau budget le ‘fonds plans nationaux’… le nom même de ‘Politique Agricole Commune’ disparaîtrait des documents européens ! »

« Invisibiliser une politique, c’est le premier pas vers sa marginalisation. Ça, ça m’inquiète ».

Derrière ce changement technique se joue selon elle un basculement politique majeur. Et d’ajouter : « Invisibiliser une politique, c’est le premier pas vers sa marginalisation. Mais, est-ce qu’on se rend compte qu’on mange trois fois par jour, et que l’agriculture n’aurait même plus de nom dans les politiques européennes du futur ?! Ça, ça m’inquiète ».

La ministre redoute par ailleurs une coupe budgétaire majeure. « Il y a des rumeurs sérieuses qui parlent d’une baisse de 20 %. Est-ce que ce sera sur la PAC uniquement ? Sur tout le fonds ? On ne le sait pas encore. Mais une chose est sûre : on doit se battre pour garder cette politique. »

Des impacts immédiats

Car les impacts concrets seraient immédiats. « Aujourd’hui, 50 % des agriculteurs ont plus de 55 ans. Cela signifie que dans les 15 prochaines années, une majorité partira à la retraite. Si nous n’avons pas de jeunes pour reprendre les fermes, qui va nous nourrir demain ? Chaque installation coûte cher. Or, les aides à l’installation sont financées par le deuxième pilier de la PAC. Si on le coupe de 20 %, comment vont-ils s’en sortir ? ».

Même constat pour les investissements dans la transition écologique. « On parle de moins de pesticides, de variétés résistantes aux maladies, de nouveaux matériels… Très bien. Mais sans aides à l’investissement, qui pourra se les offrir ? Après la guerre, on a dit aux agriculteurs : ‘Produisez !’ On leur a donné un cadre. Aujourd’hui, on leur demande de faire mieux avec moins de moyens. Où sont les priorités ? », alerte la ministre. 

Et la ministre de rappeler le rôle fondateur de la PAC créée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Six pays (nldr : les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE) – la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg) se sont dit « On a faim ! ». On était importateurs nets. Ils ont mis en place une politique forte. En quelques années, on est devenus autosuffisants. Ça a été un vrai succès. »

« Nos fermes vont disparaître »

Pour Michaël Coulouse, aviculteur, producteur de pommes de terre et administrateur d’une société agricole à Hannut présent à la table ronde, « il faut aujourd’hui trouver des solutions pour aider à la reprise des exploitations familiales. Sans un soutien adapté, nous risquons de voir nos fermes disparaître progressivement au profit de grands groupes agroalimentaires. Il en va de la survie de notre modèle agricole, mais aussi de la diversité de nos paysages, de l’emploi rural et de la qualité de nos produits locaux ».

Selon l’Observatoire CBC mené auprès de 300 agriculteurs en 2024, 77% des sondés ont des craintes quant à l’avenir de l’agriculture en Wallonie. 50 % des agriculteurs wallons estiment que leur exploitation n’est pas (encore) rentable.

Défendre une agriculture familiale

Pour Anne-Catherine Dalcq, c’est tout le modèle agricole qui est en jeu. « On doit défendre une agriculture familiale, de proximité, indépendante. Parce que sinon, d’autres prendront la place. En Ukraine, certaines exploitations font la taille de la Belgique et sont détenues par des capitaux chinois. Est-ce qu’on veut de ça, en Belgique ? Non ! »

La ministre conclut : « Tant qu’on a des jeunes agriculteurs indépendants, qui détiennent la terre wallonne, on garde notre souveraineté alimentaire. L’Union européenne doit prendre conscience de ce qu’elle est en train de faire. Moi, je me bats à tous les niveaux – dans toutes les instances – pour une PAC forte. »

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