Le chômage est-il vraiment un “business rentable” pour les syndicats ?
Le débat n’est pas neuf. Après plus de 20 ans, il n’est pourtant toujours pas réglé. Faut-il retirer entièrement la gestion des dossiers de chômages et le paiement de ces derniers aux syndicats ? Et est-ce que « chaque demandeur d’emploi rapporte de l’argent” aux syndicats ?
Le MR vient de réaffirmer qu’il comptait vouloir mettre fin aux privilèges des syndicats suite au départ de Marc Leemans après 12 ans de la présidence de la CSC. Ce départ soulève de vives critiques, car Leemans serait licencié par le syndicat afin de pouvoir bénéficier du système de chômage avec allocation d’entreprise.
Mais ce n’est pas la première fois que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, s’attaque aux syndicats. Il a ainsi, à plusieurs reprises, relancé le débat autour d’”un chômage rentable pour les syndicats”.
Il a ainsi déclaré que “chaque demandeur rapporte de l’argent aux syndicats” sur le site du MR. Si l’on suit cette logique, les syndicats auraient donc intérêt à les maintenir au chômage. Toujours sur le site du MR, on peut également lire que Georges-Louis Bouchez « déplore la paralysie de la Wallonie et de Bruxelles, en raison du conservatisme des syndicats et des mutuelles ». Il dénonce également l’absence de légitimité démocratique des personnes qui incarnent ces institutions, alors qu’elles gèrent des budgets qui leur sont confiés par l’Etat. « Les mutuelles et les syndicats dépensent de l’argent collecté par l’État. Il n’y a aucune responsabilisation en la matière», précise-t-il encore. Pour contrer cela, toujours selon Bouchez, la solution serait que l’ensemble des allocations de chômage soient gérées par un organisme public, comme la Capac. Pourtant, selon une enquête de l’émission Déclic de la RTBF, « un cas de chômage coûte moins cher à l’Etat s’il est traité par un syndicat que par l’organisme public, la Capac».
Les syndicats se font-ils vraiment de l’argent sur le dos des chômeurs?
Non. Avec une petite exception.
Selon Mateo Alaluf, professeur honoraire de l’ULB qui s’est exprimé dans une carte blanche, « l’indemnisation du chômage n’enrichit pas les syndicats, mais au contraire, ceux-ci doivent combler le déficit de leur caisse chômage en raison de l’insuffisance des frais d’administration qui leur sont chichement consentis. Pour lui « l’intérêt des syndicats n’est pas d’avoir plus de chômeurs à indemniser, mais plus de travailleurs à organiser pour assurer l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. » Un avis partagé par l’enquête fouillée de l’émission Déclic de La RTBF qui a consulté trois syndicats, l’Onem et le directeur du Crisp sur le sujet.
La RTBF précise ainsi que «les syndicats ne font pas que payer le chômage, ils sont aussi indemnisés pour le travail que la gestion de ces allocations de chômage engendre : coût de personnel, gestions des locaux, matériel et logiciel informatique qu’il a fallu développer ou payer.». Ainsi Thierry Bodson de la FGTB affirme à la RTBF que “la gestion du paiement du chômage nous coûte de l’argent depuis 2017 ». Son de cloche identique chez Marie-Hélène Ska de la CSC. Même l’Onem confirme que la gestion des allocations de chômage coûte de l’argent aux organisations syndicales. LA FGTB perdrait ainsi près de 3 à 4 euros par cas/dossiers, soit environ 10 millions d’euros par an. On notera cependant qu’un dossier n’est pas égal à un chômeur, puisqu’un chômeur peut introduire plusieurs dossiers par an, en fonction de sa situation. Aujourd’hui, il y a 7,25 millions de cas de chômage pour un peu plus de 400.000 chômeurs. Et plus de 85% de ces cas sont pris en charge par les syndicats.
La période du Covid comme exception
La seule exception aurait été la période Covid, soit en 2020-2021, où la clé de calcul de l’indemnisation de la gestion du chômage a été favorable aux organisations syndicales et ou la Capac a effectivement eu « un coût de fonctionnement plus bas que celui des syndicats ». Cette baisse des coûts serait principalement due au fait que beaucoup de personnes ont rejoint la Capac pour le chômage temporaire. Elle aurait eu durant cette période “60 fois plus de dossiers que la moyenne”. Celle-ci a donc pu, comme les plus gros syndicats, bénéficier d’une économie d’échelle et faire baisser le prix à l’unité d’un cas de chômage.
La baisse du chômage fait-elle perdre de l’argent aux syndicats ?
Oui, mais.
Le chômage est en baisse structurelle en Belgique. Selon les chiffres de l’ONEM, on est ainsi passé de 480.000 chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emplois en 2006 à 303.000 en janvier 2023. Or dans la formule de calcul qui détermine les montants attribués aux syndicats, il y a aussi une « donnée fixe qui baisse de tranche en tranche lorsqu’on réduit de 50.000 le nombre de chômeurs en Belgique par rapport à 1991 », précise Hugo Boonaert de l’ONEM, toujours à la RTBF. Ce qui fait que si l’on passe à la tranche en dessous, les frais d’administration baisseront. De quoi creuser encore un peu plus l’écart entre ce que les syndicats touchent pour gérer les dossiers et leur coût réel. Ou autrement dit un chômeur coûtera encore un peu plus cher aux syndicats. Mais, a contrario, un affilié qui travaille cotise – et donc rapporte plus au syndicat- qu’un affilié demandeur d’emploi.
Le vrai avantage ne serait-il pas de s’assurer plus d’affiliés ?
Pas vraiment.
Selon Bouchez, le poids des syndicats serait moindre s’ils ne s’occupaient pas du paiement des allocations de chômage. Pourtant, selon les syndicats eux-mêmes, le nombre de syndiqués au chômage ne représente qu’entre 10 et 15% des affiliés. Pas de quoi faire imploser les organisations si elles n’étaient plus en charge du chômage.
Du coup pourquoi les syndicats gardent-ils cette activité déficitaire ? Pour des raisons historiques, mais aussi pour assurer une continuité dans leur mission. Cela leur permet également de conserver une certaine légitimité qui leur permet de maintenir le niveau de rémunération moyen et surtout l’assurance chômage.
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