La semaine de quatre jours et ses étonnants “effets induits”
L’intelligence artificielle poussera peut-être à une réduction du temps de travail, souligne l’économiste Bruno Van der Linden (UCLouvain). Il se penche sur les effets d’une semaine de quatre jours sans diminution de salaire
L’intelligence artificielle va-t-elle remettre la réduction du temps de travail à l’agenda des politiques publiques ? C’est la question que pose l’économiste Bruno Van der Linden (UCLouvain), en conclusion d’un article qu’il publie dans le dernier numéro de la revue Regards économiques. L’histoire nous apprend pourtant que les évolutions technologiques ont toujours déjoué les pronostics alarmistes sur l’emploi. Elles ont permis l’apparition de nouveaux biens et services qui ont, in fine, créé plus d’emplois que ces technologies n’en ont détruit dans les chaînes de production existantes. « Ce bilan net neutre ou positif ne doit toutefois pas occulter le fait que de grandes différences de composition des emplois détruits et créés ont impliqué des ajustements parfois pénibles », précise Bruno Van der Linden.
Cette fois, cela devrait être différent, dit-il, car, avec l’intelligence artificielle, les machines acquièrent des capacités inédites (capacités cognitives, capacité de jugement et de perception des émotions chez l’interlocuteur humain, etc.). « Ces technologies vont dès lors permettre de remplacer l’humain dans un nombre étendu de tâches », pointe l’économiste qui suggère dès lors d’inscrire la réduction collective du temps de travail « dans la liste des réponses possibles ». « De nombreux économistes estiment que la profondeur des changements technologiques dépasse les expériences passées, poursuit Bruno Van der Linden. Si avec un peu de recul -et pour l’instant, nous manquons de recul-, on constate que ça lamine l’emploi plus que cela n’en crée, il y a matière à se poser la question de la réduction du temps de travail. »
Effets directs et effets induits
La formule de la semaine de quatre jours sans réduction de salaire, proposée par le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS), est-elle une piste sérieuse dans ce cadre ? L’effet direct d’une telle disposition semble désastreux : le coût horaire du travail augmente de 20%, tandis que la durée de fonctionnement de l’entreprise diminue, et donc a priori les recettes liées à son activité. Une telle situation « conduit généralement à une réduction de la quantité de main d’œuvre ». « A terme, c’est l’emploi qui trinque », résume Bruno Van der Linden.
Ces effets directs peuvent cependant être contrebalancés par des effets induits. L’économiste en pointe trois :
-La productivité augmente avec la réduction du temps de travail : le personnel est moins fatigué, moins stressé, moins souvent malade. « L’effet était cependant plus net quand les durées du travail étaient plus longues (durant le 19ème et une bonne une partie du 20ème siècle) que maintenant », nuance Bruno Van der Linden, qui doute que le gain de productivité compense la baisse du nombre d’heures travaillées. « Si les travailleurs produisent réellement en quatre jours le même niveau d’effort qu’en cinq, une hausse du stress et de la fatigue au travail est fort plausible, ajoute-t-il On doit donc se demander si une hausse de productivité aussi brusque et forte est accessible et, si oui, si elle a quelque chance d’être durable. »
– Des embauches compensatoires permettent à l’entreprise de maintenir le niveau de sa production, ce qui réduit le nombre de demandeurs d’emploi et soutient la consommation. A priori, c’est excellent pour l’économie du pays. Sauf que les produits consommés sont souvent importés et que, par ailleurs, l’augmentation des coûts de production se répercutera dans les prix de vente et « écornera le pouvoir d’achat des ménages ».
Bruno Van der Linden souligne aussi le fait que, dans un marché de travail aussi tendu que le nôtre, les embauches compensatoires ne seront pas simples dans tous les secteurs. Il pointe toutefois une éclaircie sur ce plan : « si la réduction du temps de travail est perçue par la population comme une réelle amélioration des conditions de travail, ceci devrait accroître le nombre de personnes désireuses d’un emploi et ainsi atténuer les tensions sur le marché du travail. »
–Les entreprises vont réorganiser leur mode de production. C’est peut-être l’impact le plus fondamental, à moyen terme, d’un passage aux 32 heures. La réduction du temps de travail peut s’accompagner d’un élargissement des heures ou jours de fonctionnement de l’entreprise. « L’allongement de la durée d’utilisation du capital (locaux, machines, etc.) a un effet favorable sur les coûts totaux de production et devrait être bénéfique à l’emploi », estime Bruno Van der Linden. Cela implique cependant, d’une part, l’existence de débouchés pour la production supplémentaire et, d’autre part, une capacité à innover sur le plan organisationnel. « Il faut un vrai dialogue social au sein de l’entreprise car les implications de telles réorganisations sont multiples, en particulier pour les travailleurs, insiste-t-il. Il ne s’agit pas d’envisager une mesure générale qui s’imposerait de manière linéaire à toutes les entreprises. Par la passé, on a souvent commis l’erreur de supposer qu’une formule pouvait s’adapter à tout le monde. »
Moins de travail, moins de CO2 ?
Le professeur de l’UCLouvain plaide pour que l’on évite de tirer des conclusions générales des quelques études de cas, initiées par des entreprises volontaires. « Les affirmations péremptoires sur les effets de la réduction du temps de travail sont souvent biaisées », écrit-il. C’est le cas par exemple de l’impact de la réduction du temps de travail sur les émissions de gaz à effet de serre. On pense spontanément que cela réduirait les émissions liées aux déplacements domicile-travail, mais on omet peut-être d’intégrer dans l’équation que les jours de congé supplémentaires ne sont pas uniquement consacrés au vélo et que les activités de loisir peuvent, elles aussi, entraîner des émissions de gaz à effet de serre, parfois même plus que les activités professionnelles.
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