Le gouvernement De Wever prévoit une mesure économique qui est presque passée sous les radars: une réforme structurelle de l’administration fédérale. En termes d’économies attendues, elle arrive juste derrière celles des retraites et du marché du travail. “Une évolution positive. Mais on peut aller beaucoup plus loin dans les économies au sein de l’administration publique”, déclare Herman Matthijs, spécialiste des finances publiques.
La semaine dernière, un juge de San Francisco a décidé que les plans du président américain Donald Trump visant à licencier des milliers de fonctionnaires fédéraux devaient être suspendus. Selon le juge, la coopération du Congrès est requise pour effectuer de telles réductions massives dans la fonction publique. Ce jugement intervient peu après qu’Elon Musk a annoncé qu’il consacrerait bientôt moins de temps au Department of Government Efficiency (DOGE), qui met en œuvre des mesures d’économie pour améliorer l’efficacité de l’administration américaine. Il souhaite à nouveau se concentrer sur Tesla et affirme que le DOGE est en grande partie terminé.
Que le DOGE soit un succès ou non, le terme s’est popularisé. Aussi chez nous, dans les cercles qui appellent à un État moins présent.
On peut tailler dans le gras
L’accord de gouvernement fédéral contient dix pages de mesures destinées à rationaliser l’appareil administratif fédéral, à réduire les coûts de fonctionnement et de personnel, et à améliorer l’efficacité et les synergies. Depuis l’arrivée du gouvernement De Wever, l’attention s’est surtout portée sur les 7,8 milliards d’euros de retombées attendues des réformes du marché du travail et des pensions. Moins d’attention a été accordée aux économies au sein de l’administration. Pourtant, cette ligne du tableau budgétaire prévoit un montant cumulé de 1,6 milliard d’euros d’ici 2029. C’est le deuxième plus grand poste d’économies, plus important que la réduction des dotations et subventions (1 milliard d’euros) ou la lutte contre la fraude (700 millions d’euros).
Ce plan DOGE light et belge est resté jusque-là dans l’ombre. Pourtant, cette réforme structurelle de l’administration concerne près de 75 000 fonctionnaires fédéraux. Le plan intervient à un moment où les critiques se font entendre sur le fait que ce niveau de pouvoir est devenu surtout un canal de transfert pour la sécurité sociale — en déficit de plusieurs milliards — et pour les entités fédérées via les dotations, ce qui laisse peu de marge pour une véritable politique fédérale.
Mais quiconque examine les plans de près constate que l’on peut tailler dans l’administration fédérale. Le gouvernement De Wever veut, après l’immobilisme sous le gouvernement De Croo (2020-2024), poursuivre un certain nombre d’économies et de réformes de l’administration publique, déjà entamées sous le gouvernement Michel (2014-2018).
Des services temporaires devenus permanents
Non seulement le fil du gouvernement Michel est repris, mais les Services publics fédéraux et de programmation (SPP), qui avaient à l’origine un caractère temporaire, vont disparaître. Ils avaient été créés lors de la réforme Copernic de 2001-2002, en principe pour une durée d’une législature. Un SPP se distingue d’un SPF classique en ce qu’il travaille sur des thèmes transversaux relevant d’autres SPFs. Ces SPP existent encore aujourd’hui.
Ainsi, il y a le SPP Intégration sociale, qui prépare notamment la politique de lutte contre la pauvreté. Des sources internes à l’administration fédérale indiquent que ce service était devenu un bastion du PS, et que sa réforme ou sa réduction était longtemps taboue. Le budget total de ce SPP a grimpé à 2 milliards d’euros au fil des ans. Il y a aussi le SPP Politique scientifique fédérale (Belspo), avec un budget de 570 millions d’euros et 2 700 collaborateurs, qui semblait voué à l’éternité.
L’accord de gouvernement Michel de 2014 prévoyait déjà d’intégrer ces SPP dans les SPFs, mais cela avait été reporté. D’autres priorités figuraient à l’agenda, comme la création du SPF BOSA (Stratégie & Appui), qui a absorbé plusieurs autres services tels que Fedict (Service public fédéral Technologie de l’information et de la communication), B&CG (Budget et Contrôle de Gestion) et Selor (recrutement public).
Une seule intégration réussie
Fin février, le gouvernement a décidé d’intégrer les SPP dans les SPFs. Cela a été délicat pour Belspo lors des négociations, la partie francophone étant réticente à l’idée de voir la politique scientifique fédérale démantelée. Mais cette résistance s’est heurtée à l’argument de la N-VA selon lequel la recherche scientifique relève des communautés.
« C’est une bonne chose que les SPP disparaissent. Je me suis toujours demandé pourquoi ils ont existé aussi longtemps », déclare Herman Matthijs, professeur de finances publiques à la VUB. « Une grande partie du budget du SPP Politique scientifique est destinée à l’espace. Cela reste crucial pour l’industrie aérospatiale wallonne, d’où une forte réticence à toute réforme. Ce gouvernement va diviser par deux les dotations fédérales à l’Agence spatiale européenne (ESA). Les entités fédérées devront combler la différence, ce qui pose problème pour la Wallonie. Il existe encore toute une liste d’instituts scientifiques comme le Musée de l’Afrique à Tervuren qui relèvent toujours du fédéral, alors qu’il a été décidé dès 1989 qu’ils devaient passer aux communautés. »
C’est également le cas de l’Institut royal météorologique (IRM), de l’Observatoire royal de Belgique et des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. « Le seul dossier où ce transfert a réussi est celui du Jardin botanique de Meise, passé à la Communauté flamande. Mais cela a pris 25 ans », note Matthijs. « Prenez les Archives de l’État. D’accord, c’est une institution fédérale. Mais elle gère aussi les archives des provinces, qui relèvent des régions. Eh bien, que ces dernières les prennent en charge. »
Pas d’arrêt des embauches ?
En plus de la suppression des SPP, plusieurs SPFs vont fusionner. Le SPF Mobilité rejoindra le SPF Économie. Les SPF Emploi, Travail et Concertation et le Sécurité sociale seront réunis en un SPF Politique sociale. L’objectif est de créer des synergies et de réaliser des gains d’efficacité. Ces mesures ne sont pas imposées d’en haut par le gouvernement. Avant les élections, il y a eu des concertations avec le collège des présidents des SPFs, et ces discussions doivent se poursuivre. Le gouvernement devra encore négocier l’intégration concrète, car les notes de politique des ministres n’en disent actuellement presque rien. Le gouvernement espère économiser 150 millions d’euros d’ici 2029.
« C’est une évolution positive », estime Herman Matthijs. « Mais on peut aller beaucoup plus loin dans les économies administratives. Par exemple, fusionner encore davantage les SPFs, comme ceux des Finances et du Budget. Il y a aussi des gains d’efficacité possibles dans les institutions de la sécurité sociale. Supprimer l’Office national de sécurité sociale (ONSS) rapporterait beaucoup. Confiez la perception des cotisations sociales au SPF Finances, comme aux Pays-Bas. Cela permettrait une meilleure vue d’ensemble des recettes fiscales et parafiscales. Mais c’est politiquement très sensible. »
Ce que le “plan DOGE” du gouvernement-De Wever implique pour l’emploi dans la fonction publique n’est pas encore totalement clair. En 2015, peu après l’installation du gouvernement Michel, un gel des embauches avait été instauré. Le nombre de fonctionnaires fédéraux était passé de 71 500 à 69 800 en 2020. Il a ensuite à nouveau augmenté pour dépasser 73 000, notamment en raison d’embauches aux Douanes et à la Fiscalité, nécessaires pour gérer les saisies de cocaïne. Le nombre élevé de demandeurs d’asile requiert aussi plus de personnel à l’Office des étrangers.
Le nouvel accord de gouvernement ne mentionne pas de gel des embauches. En revanche, l’intégration des SPP et la fusion des SPFs impliquent que les départs ne seront plus remplacés.
Les cabinets vont-ils disparaître ?
Dans le prolongement de la rationalisation des services fédéraux, la Chancellerie du Premier ministre est également revue. L’accord de gouvernement stipule : « La Chancellerie sera réduite à un service de support au Premier ministre. » Concrètement, le service ne s’occupera plus que des tâches essentielles comme l’organisation du Conseil des ministres, des comités de concertation et de la participation aux événements nationaux et internationaux.
Le gouvernement réduit les cabinets ministériels, dans l’optique de les supprimer à terme. Mais cette suppression n’est pas prévue pour cette législature.
Les services qui n’auront pas leur place seront transférés ailleurs. Cela concerne notamment l’Institut fédéral pour le développement durable, le Centre pour la cybersécurité, et les institutions culturelles fédérales comme Bozar, La Monnaie et l’Orchestre national de Belgique. « Déplacer ces institutions n’est pas une économie », prévient Matthijs. « Je ne vois pas ce que ça rapporte. Les institutions culturelles de catégorie B ou C ont un conseil d’administration. En catégorie A, elles relèvent directement du ministre et cela coûte moins cher. »
Les cellules stratégiques des ministres sont aussi dans le viseur. Dans l’accord de gouvernement, cela est exprimé de manière cryptique : « La faisabilité d’une modification de l’arrêté royal sur la création des cellules stratégiques sera étudiée par le ministre de la Fonction publique, pour les réduire et renforcer le lien direct entre ministres et administration. » En langage clair : les cabinets seront réduits pour être, à terme, supprimés. Mais ce ne sera pas pour cette législature.
Les cabinets coûtent 50 millions d’euros par an. Le gouvernement De Wever veut économiser 30 % sur ce montant, soit 21 millions d’euros. Le gouvernement actuel compte déjà 250 collaborateurs de moins que celui de De Croo : 586 équivalents temps plein contre 838. Une rupture ? Matthijs est prudent : « Cela tient surtout au fait que ce gouvernement compte moins de partis et donc moins de vice-premiers avec un cabinet général. Il n’y a pas non plus de secrétaires d’État. »
Matthijs plaide pour une réforme en profondeur : l’introduction du système de spoil comme aux États-Unis. Le parti vainqueur des élections obtient alors un droit de regard sur les postes clés dans l’administration.
« En Belgique, cela reviendrait à supprimer les cabinets. Les membres du gouvernement n’auraient qu’un petit secrétariat personnel. Les ministres nommeraient leurs propres personnes aux fonctions dirigeantes de l’administration. Cela impliquerait aussi une réforme du sommet administratif », dit Matthijs. « On place ses propres profils à la tête de l’administration, mais ils doivent faire leurs preuves, par exemple via des auditions en commission parlementaire. C’est moins cher qu’un double système cabinets-administration. Et plus transparent. Un parti comme la N-VA, qui n’a pas de réseau fédéral dans l’administration, y gagnerait. La MR aussi est favorable. C’est moins le cas du CD&V ou de Vooruit, surreprésentés par rapport à leur poids électoral. »
Moins de bureaux loués
Une autre économie doit venir de la réorganisation de la Régie des Bâtiments, qui gère le parc immobilier de l’État. Cela concerne 874 bâtiments pour une superficie de 7,2 millions de m². Le gouvernement veut réduire progressivement de 15 % les surfaces de bureaux louées. Avec le télétravail, il y a aujourd’hui un surplus d’espace pour les services fédéraux. On parle d’une économie de 25 millions d’euros au début de la législature, et de 250 millions d’ici 2029. Sur un budget total de 900 millions, ce n’est pas négligeable.
100 000 m² ne seraient jamais utilisés, dont 50 000 m² dans des bâtiments loués. Exemple : à Braine-l’Alleud un bureau était encore utilisé intégralement par le SPF Finances jusqu’en 2022. Aujourd’hui, deux étages sont vides. Il ne reste que le juge de paix local et six agents pour 4 800 m². Le loyer est pourtant de 331 000 € par an, jusqu’en 2030.
« Cela ne peut plus continuer ainsi », dit Herman Matthijs. « Dans la plupart des administrations, les fonctionnaires ne viennent plus que deux jours par semaine au bureau depuis le COVID. Beaucoup de bâtiments sont vides. Quand peut-on encore organiser une réunion à l’administration fédérale ? Le mardi et le jeudi. »