“Il faut une action européenne concertée, très rapide, pour empêcher l’effondrement de l’économie”
Evitons une cacophonie des Etats européens, souligne Adel El Gammal (ULB). La Belgique a raison d’interpeller l’Europe. Faisons aussi contribuer ceux à qui profitent le crime: de nombreux producteurs d’énergie.
Adel El Gammal, professeur à l’ULB, est spécialiste de la géopolitique de l’énergie. Il analyse cette rentrée folle avec l’explosion des prix et souligne la nécessité d’une réponse européenne. Ce lundi 29 août, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a précisément annoncé une “réforme structurelle” du marché de l’énergie. Le spécialiste répond aussi à cette question: à qui profite le crime de ces prix qui explosent?
La clé de la réponse à cette crise de l’énergie se situe-t-elle au niveau européen, comme le dit le gouvernement De Croo?
Oui, incontestablement. Nous ne sommes pas du tout dans le cadre d’une crise locale ou nationale, mais bien globale, certainement au niveau européen. C’est là qu’elle doit être traitée.
La régulation du prix, tant du gaz que de l’électricité, se fait au niveau européen. Le prix du gaz n’est pas négocié par chacun des pays, il est fixé sur le marché TTF Dutch. La Belgique n’a aucun levier à ce niveau. Le prix de l’électricité est lui aussi fixé sur un modèle de marché européen, sur base des centrales au gaz, pour lequel la Belgique ne peut rien faire.
Si on veut agir sur le mécanisme de fixation du prix, c’est au niveau européen que cela se passe.
L’Espagne et le Portugal ont pourtant pris des mesures au niveau national?
S’ils l’ont fait, c’est en réponse à une urgence, pour éviter de plonger une grande partie de la population dans la précarité énergétique et financière, je comprends cette action. Si certains pays décident de plafonner les prix, toutefois, cela introduit fatalement des distorsions de marché au niveau européen, ce qui est contraire au principe fondateur que l’Union européenne, même si elle l’a accepté, dans ces cas. Cela met à mal la solidarité européenne.
Je comprends donc l’attitude de notre ministre de l’Energie (Tinne Van der Straeten, Groen – Ndlr) qui estime qu’il est nécessaire de régler le problème avant tout au niveau européen. C’est à ce niveau-là que l’on peut changer les mécanismes de prix, mais aussi de solidarité au niveau du gaz. Si l’on adopte un plan au niveau européen, il aura un autre traitement financier que s’il s’agissait d’un nouvel endettement de l’Etat belge. Si l’Europe prévoit un fonds spécifique pour spécifique, le traitement par la Banque centrale européenne sera différent.
A qui profite le crime de ces prix de l’énergie qui explosent?
Les prix de l’électricité sont fixés, actuellement, en fonction du prix de la centrale la plus chère dont on a besoin. Autrement dit, pour le moment, cela est fixé par le prix des centrales au gaz. Le résultat, c’est que tous ceux qui sont avant le gaz dans la chaîne profitent des prix extraordinairement élevés de la production d’électricité par le gaz, même si leurs coûts de production ne sont pas au même niveau. Si je produis mon électricité ave des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, je touche le même montant, alors que mon coût de production n’a pas changé. Il y a là des gens qui gagnent énormément d’argent. C’est une distorsion anormale.
Une autre distorsion qui n’est pas normale, c’est quedes majors comme TotelEnergies font des profits astronomiquesen raison du prix très élevé du gaz, entre quinze et vingt fois le prix de juin 2021. Elles profitent de la crise initiée par la guerre en Ukraine. La logique veut que ces sociétés soient taxées. Et cela doit se décider aussi au niveau européen.
Ce plafonnement du prix de l’énergie au niveau européen représente bien un subside?
Oui. Je ne connais pas le mécanisme de ce qu’ils envisagent de faire, mais tant qu’il n’y a pas un mécanisme européen, dans l’urgence, ce sont bien les Etats qui doivent payer le différentiel avec le prix du marché. Si on rentre dans cette logique, cela pourrait induire des endettements différents d’un pays à l’autre, avec les conséquences que cela pourrait induire pour les emprunts d’Etat, avec une tension sur l’euro.
Politiquement, une action politique européenne est-elle envisageable à court terme?
C’est une très bonne question. J’ai toujours tendance à dire que l’économie n’est pas une tendance naturelle. Non, c’est un système inventé que l’on peut modifier. Avec la Covid, nous sommes bien sortis de la règle des 3% de déficit budgétaire et nous avons trouvé des centaines de milliards pour relancer l’économie. Nécessité fait loi. On peut donc imaginer que l’Europe remobilise des fonds sous la forme d’un emprunt européen mutualisé pour relancer après la crise énergétique.
L’énergie, c’est l’oxygène de notre économie et la distorsion devient forte avec les Etats-Unis et la Chine…
Oui, ce sont deux arguments majeurs pour agir! Une action désordonnée des Etats membres n’est pas souhaitable, il faut une action européenne concertée, homogène, très rapide, pour empêcher l’effondrement de l’économie et la précarité des ménages.
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