Il faudrait 25 milliards d’euros pour sauver la société Belgique
L’augmentation des dépenses est la principale cause du dérapage budgétaires des finances publiques de notre pays. Un assainissement de 25 milliards d’euros devrait donc logiquement se faire de ce côté, cependant aucune coupe brutale ne sera effectuée. En Belgique, c’est déjà un miracle si les dépenses augmentent moins vite que la croissance économique. Et cela ne s’est produit qu’une seule fois au cours de la dernière décennie.
Si un gouvernement fédéral n’a encore été formé, certains chefs de parti ont déjà tracé leurs lignes rouges, y compris budgétaires. N’oublions pas que la Commission européenne nous a mis au banc des accusés à cause d’un déficit budgétaire trop important. Celui-ci s’élève à 4,4 % du produit intérieur brut (PIB), soit 31 milliards d’euros, et continuera à s’envoler dans les années à venir de plus en plus loin de la norme européenne de 3 %. En pour l’année 2024, ce déficit atteindra 4,7 %.
Ce dérapage est dû en grande partie à l’explosion des dépenses publiques, et cette fois-ci la cause n’a plus rien à voir avec la pandémie de covid (2020-2021) ou la crise énergétique (2022). La Commission européenne l’a écrit et la Banque nationale est déjà arrivée à la même conclusion en ce début d’année : les dépenses publiques sont le moteur du tsunami des dépenses qu’a connu dernièrement la Belgique. Le vieillissement de la population et l’augmentation des prestations sociales – non seulement l’indexation des salaires mais aussi les augmentations réelles – se font sentir. Le prochain gouvernement devra donc dégager 25 milliards d’euros.
C’est pourquoi certains politiciens craignent de plus en plus que les coupes budgétaires soient plus ou moins violentes. Vooruit, cd&v et Les Engagés – trois des cinq partenaires de la coalition fédérale – se méfient de la droite (N-VA et MR) et de sa volonté de réduire les soins de santé. “Faire des économies n’est pas une option”, a averti à plusieurs reprises Jean-Luc Crucke, chef de file des Engagés.
La question est de savoir s’il existe réellement un parti qui souhaite faire des économies au point de réduire les dépenses des soins de santé. En réalité, aucun partenaire du gouvernement ne tient un tel discours. En revanche, certains envisagent un ralentissement de l’augmentation des dépenses des soins de santé en plus de l’indexation. L’augmentation réelle au cours de la dernière législature a été de 2,5 %. C’est plus qu’en 1999, sous le premier gouvernement Verhofstadt, ou que sous le gouvernement Michel (2014-2019), où le taux de croissance était de 1,5 %. Pendant la période Di Rupo (2011-2014), ce taux était de 3 % et, certaines années auparavant, de 4,5 %.
Toutefois, une réduction du taux de croissance ne signifie pas qu’il en résultera une épargne pure et simple. Il s’agit d’une augmentation plus lente des dépenses. Prenons l’exemple du gouvernement Michel : la réduction de moitié du taux de croissance n’a pas fait baisser le budget des soins de santé. Il a augmenté de 2,18 milliards d’euros sur cinq ans, mais moins que les 5 milliards d’euros initialement prévus.
Mais comment trouver ces 25 milliards d’euros ?
– L’impact d’un saut d’index
Même une faible augmentation des dépenses publique serait déjà un succès dans notre pays. Revenons-en au gouvernement Michel. Il a opté pour un saut d’index en 2014-2015. Il s’agissait non seulement de soutenir la compétitivité des entreprises, mais aussi d’une bonne nouvelle pour le budget. Les avantages et les salaires des fonctionnaires n’ont pas été indexés une seule fois, tout comme les budgets de toutes sortes d’administrations publiques. Le déficit budgétaire est ainsi passé de 3,06 % du PIB en 2014 (12,3 milliards d’euros) à 2,3 % en 2016 et à 1,1 % (5 milliards d’euros) en 2018.
Mais l’approche du gouvernement Michel est une exception. Depuis des années, les dépenses augmentent systématiquement plus vite que le PIB. Au début de ce siècle, les dépenses publiques tournaient encore autour de 43 % du PIB ; cette année, elles atteignent 55 %. À politiques inchangées, elles atteindront 56 % en 2029.
Entre 2010 et 2029, le PIB augmentera de 96 %. Les dépenses publiques augmenteront de 105 % au cours de cette période. Cela signifie que les dépenses augmenteront de 40 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2029 par rapport à un scénario dans lequel les dépenses suivraient le PIB. Cette différence est à l’origine du déficit budgétaire structurellement élevé et croissant, car les recettes fiscales ne suivent pas le PIB.
– La Belgique obtient un compteur budgétaire européen
Les dépenses en matière de pensions et de soins de santé, en particulier, sont en hausse. Alors que le PIB doublera sur la période 2010-2029, les prestations sociales, elles, sont multipliées par 2,2. Pour les dépenses concernant les pensions, le facteur est même de 2,5, mais ce sont surtout les prestations de maladie et d’invalidité qui explosent .Elles sont multipliées par 3,2.
La Commission européenne a élaboré de nouvelles règles budgétaires afin de maintenir les budgets des États membres dans les limites fixées. La norme de dépenses est l’une des principales nouvelles règles. Les « mauvais élèves » du budget se voient imposer un compteur budgétaire, pour ainsi dire, par la Commission. Et cette approche pourrait bien ne pas être inutile en ce qui concerne la Belgique. Pour 2024, la Commission recommande à la Belgique un taux de croissance maximal de 2 % pour les dépenses publiques, mais dans la pratique, les dépenses publiques ont augmenté de près de 4 % cette année. Un taux de croissance maximal des dépenses de 2 % est assez sévère, car il ne laisse aucune marge de manœuvre pour une croissance réelle des dépenses après l’inflation. Par conséquent, à une époque où les coûts du vieillissement augmentent rapidement, une norme de dépenses de 2 % implique des économies substantielles.
À politiques inchangées, les dépenses publiques augmenteront beaucoup plus vite que 2 % par an sur la période 2024-2029. Sous l’effet de l’augmentation des prestations sociales, les dépenses totales continuent d’augmenter encore plus vite que le PIB, ce qui a pour effet d’alourdir le budget.
– Les réformes font la différence
Si la Belgique procède à des réformes suffisantes, l’Europe pourrait imposer un parcours d’assainissement plus lent, de sept ans au lieu de quatre. On ne sait pas encore exactement quel pourcentage de dépenses un tel parcours produirait, mais il est clair qu’il serait presque impossible pour la Belgique de limiter l’augmentation de ses dépenses à 2 %. Avec un taux de dépenses de 3 %, l’écart entre les exigences de l’Europe et une politique belge inchangée tomberait à 20 milliards d’euros d’ici 2029. Il s’agit là d’un plan plus réaliste.
De toute façon, un tel assainissement sur sept ans, avec des réformes audacieuses, devra avoir un impact important sur la sécurité sociale. Le poste de dépenses le plus important étant celui des prestations sociales ; celles-ci passeront de 151 milliards d’euros en 2023 à 198 milliards d’euros en 2029. Cette différence de près de 50 milliards d’euros devra donc être prise en compte par le prochain gouvernement.
L’augmentation du nombre de travailleurs est une possibilité mais cependant son impact ne peut être surestimé. Porter le taux d’emploi à 80 % apporterait au budget un supplément de 15 milliards d’euros, soit 2,6 % du PIB, grâce à la baisse des dépenses de chômage et à l’augmentation des recettes fiscales et des cotisations sociales. Ce taux de 80 % n’est toutefois pas très réaliste. Le taux d’emploi en Belgique est légèrement inférieur à 73 %. Seule la Flandre (près de 78 %) se rapproche des 80 %. Pour la Wallonie et Bruxelles (65 à 66 %), cet objectif est irréalisable. Mais un taux d’emploi en hausse dans toutes les régions, générant 7,5 milliards pour le Trésor, contribuerait déjà de manière significative à la consolidation budgétaire.
En matière de pensions, on pourrait travailler sur l’adaptation des généreuses pensions de la fonction publique et lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie. La Commission européenne a calculé qu’à long terme, cela permet de réduire les coûts du vieillissement de 1,8 % du PIB, soit 10 milliards d’euros.
– Soins de santé préventifs
Ce qui aurait aussi des effets à long terme, c’est une orientation différente de la politique de santé. Les francophones ont une peur bleue des coupes budgétaires dans ce domaine. Mais si l’on consacre davantage d’efforts à la prévention, les dépenses peuvent augmenter moins rapidement. Les soins de santé préventifs relèvent de la compétence des États fédéraux et, dans ce domaine, la Belgique francophone n’est pas à la hauteur. Le dépistage en Flandre du cancer de l’intestin, par exemple, n’a pas d’équivalent francophone. Par ailleurs, un peu moins de la moitié des Wallons disposent d’un dossier médical global, contre 74 % des Flamands.
En Belgique, seulement 1,7 % du budget de la santé est consacré à la prévention. Seules la Slovaquie et la Grèce font moins bien que notre pays. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 5 % du PIB devraient être consacrés aux soins de santé préventifs. Une prévention accrue des maladies les plus courantes en Belgique – maladies cardiovasculaires, diabète de type 2 et cancer – permettrait de réduire d’un cinquième les dépenses en soins proprement dit. Cela correspond à une économie de 5 milliards d’euros.
– C’est encore le malus des taux d’intérêt
À politiques inchangées, entre 2024 et 2029, les principaux moteurs de la croissance des dépenses ne sont pas les coûts inévitables du vieillissement. Ce sont les taux d’intérêt qui augmentent fortement.
Des dépenses publiques élevées augmentent également la dette publique et, plus précisément, le ratio dette/PIB. Selon la Commission européenne, le taux d’endettement passera de 105 % en 2024 à 106 % du PIB en 2025. À politique inchangée, il atteindra 117 % à la fin de la législature. Cela rend la Belgique très vulnérable aux chocs internationaux, selon la Commission européenne.
Les taux d’intérêt augmentent de 80 % en cinq ans. Ainsi, la baisse des taux d’intérêt, dont les autorités belges ont pu profiter pendant longtemps, se transforme de plus en plus en un malus d’intérêt. Une comparaison dans une perspective historique : les taux d’intérêt sont tombées à 1,5 % du PIB en 2022. Il faut remonter aux années 1960 pour trouver un niveau plus bas. La hausse des taux d’intérêt porterait ces taux à 2,7 % du PIB à la fin de la législature. Cela représente une facture supplémentaire de 7 milliards d’euros.
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