Historique: une vision commune patronat–syndicats pour sauver le modèle socio-économique de la Belgique


Les partenaires sociaux se sont entendus sur un vaste rapport au sein du Conseil central de l’économie balisant une vision de notre modèle face aux défis énormes du moment: gouffre budgétaire, transition climatique, vieillissement ou bouleversement géopolitique. Une base pour un nouveau pacte social. La clé, c’est “l’efficience”.
Le mot “historique” est souvent galvaudé, mais il prend pourtant tout son sens dans cet accord conclu par le patronat et les syndicats belges au sein du Conseil central de l’économie. Après plus de quatre ans de travail, les deux bancs publient un rapport présentent “une vision et une stratégie pour un modèle socio-économique résilient, compétitif, inclusif et soutenable à l’horizon 2050”.
Ce serait, en somme, un socle pour un nouveau pacte social, après lequel on court depuis tant d’années. “Après la Seconde guerre mondiale, les partenaires sociaux s’étaient entendus sur une relance par la productivité, rappelle Luc Denayer, secrétaire général du Conseil central de l’économie. Mais depuis les années 1970-80, il n’y a plus eu de vision commune entre patronat et syndicats. Ce document jette les bases d’un nouveau partenariat à concrétiser.”
Le socle d’un pacte social
Derrière son intitulé à rallonge se cache un regard commun sur la façon de sauver notre modèle face aux multiples bouleversements de l’heure: difficultés budgétaire, transition climatique, vieillissement de la population, basculement géopolitique… Cette vision commune pourrait servir de base commune à la concertation sociale ou de regard partagé sur les réponses à apporter aux interpellations du gouvernement.
Des travaux sont déjà en cours pour traduire ces engagements dans des propositions concrètes dans les domaines de la mobilité ou du bâtiment. Mais tous les secteurs pourraient bénéficier de ce sursaut.
Le rapport a, par ailleurs, été envoyé au Premier ministre et aux vice-Premiers ministres. Il a été remis en commission du parlement ce mercredi 12 mars. Après sa longue gestation, le voilà devenu document de travail et base de négociations.
Il contient des principes fondamentaux sur lesquels les acteurs s’entendent. Avec un leitmotiv: si la hausse du taux d’emploi est un clé pour notre prospérité, il convient surtout d’améliorer ”l’efficience” de notre économie, en veillant à ne laisser personne au bord du chemin.
“Deux fois le plan Marshall”
L’élaboration de cette vision commune a débuté voici plus de quatre ans. “Nos travaux ont commencé avant la crise du Covid, pour se poursuivre pendant la crise inflationniste et la guerre en Ukraine”, souligne Luc Denayer. Les bases de son contenu devraient valables par vents et marées, y compris avec le virage actuel en faveur des investissements pour la défense. L’objectif consiste bien à partager les bases d’un socle susceptible de sauver notre modèle socio-économique et notre prospérité.
“Si on continue à politique inchangée, on n’y arrivera pas”, martèle le secrétaire général du Conseil central de l’économie. On n’arrivera pas, non plus, à rencontrer nos objectifs climatiques. En “donnant du sens à l’action”, il s’agit bien de “modifier nos modes de consommation et de production”. Les quatre mots qualifiant notre modèle socio-économique comptent: “résilient, compétitif, inclusif et soutenable”. Les préoccupations des deux bancs sont rencontrées.
“Au niveau européen, le rapport rédigé par l’ancien Premier ministre italien Mario Draghi a souligné que cela demandera des efforts considérables, souligne Luc Denayer. On parle d’investissements qui correspondent au double de ceux du plan Marshall d’après-guerre! Ce sera une nécessité si l’on veut préserver notre niveau de vie en dépit du coût de la transition, du vieillissement ou de notre défense.”
Mais il s’agira aussi d’élaborer un cadre et un consensus incitant à l’action. Voilà qui est tout aussi important que les milliards d’euros déversés ou empruntés.
Les clés: innovation et efficience
Sur toutes les lèvres des gouvernements belges successifs, il y a ce mantra: arriver au taux d’emploi à 80% d’ici 2030. “Il faut stimuler le taux d’emploi, c’est une évidence, mais cela ne sera pas suffisant, souligne Luc Denayer. Cela repose en grande partie sur l’immigration et le vieillissement de la population va forcément diminuer le nombre de personnes en âge de travailler. Qui plus est, la Flandre est déjà pratiquement au plei, emploi et la remise au travail n’est pas simple pour certains publics en Wallonie. La clé, c’est une économie plus efficiente.”
Ce mot, “efficiente”, a été choisi pour couvrir les secteurs marchand et non-marchand, le terme de “productivité” étant surtout valable pour le premier. “L’enjeu n’est pas de mettre la pression sur les travailleurs, mais d’utiliser au mieux le développement technologique”, précise le secrétaire général, toujours soucieux de préserver toutes les susceptibilités. Il s’agit de veiller à adapter nos chaînes de valeurs, de miser sur les secteurs à la pointe (“prenons l’exemple de la capture du CO2 ou de la production d’énergie”) et de miser sur l’autonomie stratégique européenne.
“La clé de voûte de cela, c’est l’innovation. Prenons l’exemple de l’industrie pharmaceutique, qui est un des piliers de l’économie belge, et wallonne en particulier. Nous avons réussi à l’élaborer en mettant en oeuvre un test rapide des médicaments et en créant un écosystème. Mais quelle sera notre capacité à le préserver à l’heure où les évolutions dues à l’intelligence artificielle risquent de tout révolutionner?”
Au vu de bouleversement géopolitique, le consensus s’établit sur la nécessité de sécuriser nos approvisionnements ou de développer fortement l’économie circulaire. “La question fondamentale consiste à savoir comment ne pas rater la vague technologique, insiste Luc Denayer. Il y a du travail dans ce domaine, parce que le ralentissement de la productivité est important en Belgique.”
La formation est fondamentale
Alors, oui, le rapport commun du patronat et des syndicats balise les bases nécessaires à une stimulation harmonieuse du taux d’emploi: développement des compétence, amélioration de la mobilité professionnelle, meilleure conciliation travail – famille, lutte contre les pièges à l’emploi, réduction des incapacités de travail et de l’invalidité… Cela va au-delà du slogan de la limitation des allocations de chômage dans le temps, portée par les gouvernements actuels, et soutenue par le patronat.
Mais l’efficience doit être davantage au coeur des politiques. “Le développement des compétences en matière d’enseignement et de formation est le socle pour améliorer cette efficience, insiste le rapporteur qui parle au nom des deux bancs. Le niveau de qualification de notre main-d’oeuvre est trop faible pour les besoins. Cela implique aussi de construire des parcours de formation tout au long de la carrière.”
L’accélération de la numérisation, l’intégration de la révolution IA et le renforcement de notre écosystème en matière de recherche et de développement sont des nécessités. “Cela nécessite notamment un travail important sur la gestion des données, tout en veillant au respect de la vie privée”, précise notre interlocuteur.
Luc Denayer résume: “La préservation de notre modèle socio-économique ne pourra se faire que par une multitude de mesures, pas par une seule. De même, il sera fondamental d’évaluer les politiques menées, une culture que nous n’avons pas encore assez en Belgique, mais qui est très efficaces dans les pays scandinaves.”
“Emmener tout le monde”
Outre le fait de donner du sens à l’action, il est vital d’emmener tout le monde dans ce combat que l’on peut qualifier d’existentiel pour notre prospérité, “tant les entreprises que les travailleurs”. A l’heure des fake news et des slogans en quelques mots sur les réseaux sociaux, ce n’est pas le moindre des défis.
La conclusion de cette “vision commune” a déjà une vertu, souligne le représentant du Conseil central de l’économie: elle permet de dépasser le stade d’une polarisation des positions divisant trop souvent les gens plutôt que de les réunir. Reste à voir si cette bonne volonté se concrétisera dans les discours patronaux et syndicaux.
“La concertation sociale a la vertu d’être à l’écoute du terrain et de faire remonter ce qui s’y vit, complète Luc Denayer. Si on n’accomplit pas ce travail, on perd le contact avec la population. Nos organisations sont là pour structurer l’émotionnel dans des revendications qui peuvent être rencontrées.” Le rapport insiste sur l’inclusivité et le principe fondamental de “ne laisser personne de côté”.
“Pour prendre un exemple, est-ce vraiment réaliste d’imposer un PEB A pour tout le monde?, souligne le secrétaire général. Comment force-t-on la rénovation pour les locataires ou les propriétaires qui n’en ont pas les moyens? Quid des personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont plus d’accès au crédit? Si on n’organise pas tout cela, je peux comprendre que les gens soient angoissés et ne suivent plus le mouvement.”
Une action publique crédible
Enfin, last but not least, comment espérer voir ces principes relayés dans une “action publique crédible”. Le message est passé au gouvernement. ‘Dans l’accord de l’Arizona, il y a un volet consacré à la volonté d’atteindre les objectifs de 2030, nois proposons des éléments de base pour cela. Le plan énergie-climat qui doit être déposé auprès de la Commission européenne peut aussi s’inspirer de nos travaux.”
Cela nécessitera un travail de gouvernance: actuellement, il y a… quatre plans énergie-climat, un par entité fédérée, ce que l’Europe a dénoncé. “La coordination des politiques entre les niveaux de pouvoir est une nécessité absolue, constatent les partenaires sociaux. Une chance, cette fois-ci, c’est que les coalitions sont les mêmes entre les niveaux fédéral et régional, même si on attend toujours Bruxelles. Il y a une volonté de faire travailler les différentes administrations ensemble.”
La révolution géopolitique actuelle, avec la volonté d’investir massivement dans la défense, ne risque-t-elle pas de bousculer toutes ces bonnes intentions? “Cela ne change pas fondamentalement la vision, estime Luc Denayer. Nous devions déjà faire face aux enjeux budgétaires, climatiques ou liés au vieillissement, ce sursaut en matière de défense fait partie du contexte général. Cela ne fait que renforcer la nécessité de travailler à l’efficience de notre modèle tel que nous le préconisons.”
L’idéal, ose encore le rapporteur, serait de faire en sorte que cette vision se concrétise et se prolonge par-delà les changements de majorité politique. Dans le contexte dantesque de notre époque, les partenaires sociaux osent une part d’utopie. Un tournant?
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