Guerre du gaz: “L’hiver prochain pourrait être un gros problème” en Europe
La Russie arrête les livraisons de gaz naturel à la Pologne et à la Bulgarie tant que ces pays ne paieront pas leurs factures en roubles. Le président russe Vladimir Poutine a déjà prévenu que d’autres pays “inamicaux” pourraient subir bientôt le même sort. “Il s’agit d’une nouvelle escalade des tensions entre l’Union européenne et la Russie. Moscou utilise ses livraisons de gaz naturel comme une arme géopolitique”, a déclaré Dominik Rusinko, économiste de KBC en République tchèque.
Pourquoi Poutine ferme-t-il le robinet du gaz vers la Pologne et la Bulgarie ?
DOMINIK RUSINKO. “La dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie en matière de gaz naturel est le seul levier que Moscou peut utiliser contre l’UE. En fermant ce robinet, Poutine veut affaiblir l’unité du soutien européen à l’Ukraine. L’Allemagne, par exemple, est beaucoup plus dépendante du gaz naturel russe que les autres pays de l’UE. Poutine espère qu’à un moment donné, l’Allemagne préférera ses propres intérêts économiques au soutien de l’Ukraine. En outre, la Russie veut obliger les pays européens à payer en roubles, car un paiement en roubles compromet les sanctions européennes contre Moscou. Si les clients européens paient en roubles, la banque russe, qui reçoit ces roubles, doit rester connectée au réseau international de paiement Swift. Cette banque pourra ensuite être utilisée par la Russie pour effectuer d’autres paiements internationaux.”
La Russie va-t-elle également couper l’approvisionnement en gaz des autres pays européens ?
RUSINKO. “La probabilité d’une nouvelle escalade vers d’autres pays européens est élevée. De nombreux pays ont jusqu’à la fin du mois d’avril pour payer en roubles leur approvisionnement en gaz naturel. S’ils ne le font pas, Moscou peut réagir en fermant effectivement le robinet du gaz naturel. Il y a beaucoup de tensions autour de ce marché, et elles persisteront encore les prochains jours. Mardi, le prix a déjà augmenté de 20 %. La grande inconnue aujourd’hui est la réaction de l’UE. Cependant, l’UE ne peut pas capituler face à une telle pression russe. Il s’agit d’une décision unilatérale de la Russie, en rupture de contrat. Dans tous les cas, ces actions russes vont accélérer la transition énergétique en Europe. L’UE voudra se débarrasser du gaz naturel russe encore plus rapidement. Notez que le plan européen, visant à réduire de deux tiers, d’ici la fin de l’année, sa dépendance vis-à-vis du gaz naturel russe, est très ambitieux. Si le robinet de gaz en provenance de Russie est fermé, cette transition risque de devenir désordonnée, avec un coût élevé pour l’économie européenne. Ensuite, nous parlons d’une possible récession en Europe centrale et orientale, en Allemagne et peut-être dans toute l’Union européenne.”
Que signifie cette escalade entre l’UE et la Russie pour les approvisionnements européens en gaz naturel pour l’hiver prochain ?
RUSINKO. “Cela risque de devenir un gros problème. La situation sur le marché du gaz naturel au cours de l’hiver 2022-2023 risque d’être encore pire que l’hiver dernier, surtout si l’UE ne parvient pas à reconstituer ses réserves à temps. Par conséquent, les prix du gaz naturel resteront élevés et volatils également l’hiver prochain. Si l’Europe est complètement coupée du gaz naturel russe, nous ne pourrons le remplacer que partiellement par des importations accrues de GNL. Dans ce scénario, l’UE devra rationner le gaz naturel l’hiver prochain. L’industrie sera coupée en premier, mais bien sûr, nous en paierons le prix fort sur le plan économique.”
La Russie peut-elle se permettre de fermer le robinet du gaz ?
RUSINKO. “Si le flux de gaz naturel entre la Russie et l’UE se tarit, alors les deux parties sont perdantes. Les livraisons de gaz naturel russe à l’Europe passent à 95 % par des gazoducs. Le client et le fournisseur sont donc physiquement liés. Pour la Russie, il est presque impossible de fournir ce gaz naturel à d’autres clients potentiels.”
Un accord est-il encore possible entre l’UE et la Russie ?
RUSINKO. Les deux parties se défient et spéculent sur le fait que l’autre partie cédera en premier. À court terme, l’Union européenne ne cédera pas, et il est très douteux que Poutine soit prêt à céder. Nous allons peut-être assister à une nouvelle escalade avant qu’un accord ne devienne envisageable.”
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