Grèves, inertie et polarisation politiques, populisme… : ces insupportables sources de blocage
Alors que l’économie nécessite des réformes fondamentales, les syndicats manifestent, les politiques protestent contre eux-mêmes ou se neutralisent et les vrais problèmes sont éludés.
Certains lundis sont plus pénibles que d’autres. Une semaine après des prévisions économiques mettant en garde contre le ralentissement de l’activité et le menace de l’endettement, plusieurs actualités mettent en exergue une lame de fond préoccupante. D’un climat social chauffé à blanc – avec quelque 80 000 personnes dans les rues de Bruxelles – à une politique écartelée – des difficultés de la Vivaldi belge, qui… manifeste contre elle-même, à la situation inédite en France – en passant par un avenir incertain – pour l’Etat belge, notamment -, il y a de quoi s’inquiéter.
Alors que les défis n’ont jamais été aussi nombreux, du climat au vieillissement de la population en passant par la déstabilisation géopolitique, les partenaires sociaux et les politiques se regardent en chiens de faïence, la polarisation des opinions devient source d’inertie et le populisme trompe les gens – à moins qu’ils ne les détournent de la chose publique.
Le résultat, c’est un blocage préoccupant, qui risque de nous mener au bord du gouffre.
Climat social : l’égoïsme collectif
Quelque 80 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bruxelles ce lundi 20 juin pour réclamer davantage de pouvoir d’achat et une marge salariale plus grande. Sur fond d’inflation lancinante et de pénuries en tous genres, le climat se tend. Les syndicats défendent une forme d’égoïsme collectif, tandis que le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), s’étrangle: “Asseyez-vous à la table et cherchez des solutions !”
L’ère du “quoi qu’il en coûte” a-t-il généré le sentiment que l’Etat est devenu une manne sans fond permettant de combler les attentes de chacun? L’agilité de la crise sanitaire a-t-elle mené à une forme d’impunité économique selon laquelle les entreprises peuvent tout demander et s’octroyer des marges plantureuses? Toujours est-il que la concorde sociale nécessaire à la conclusion d’un nouveau Pacte, digne de cette ère pleine de défis, semble bien loin.
Le plus étonnant, c’est évidemment de voir que les politiques eux-mêmes participent à la surenchère: comment juger autrement des socialistes qui sont à la manoeuvre – ils détiennent les principaux portefeuilles socioéconomiques au fédéral – tout en… manifestant contre eux-mêmes. Georges-Louis Bouchez, président du MR, dénonce “un don d’ubiquité étonnant”. “Après les incantations des partis du gouvernement fédéral les médias, voilà qu’ils manifestent contre eux-mêmes, s’indigne Catherine Fonck (Les Engagés). Ça suffit, agissez!”
Réplique de Paul Magnette: “Le pouvoir d’achat est au coeur des préoccupations du PS depuis toujours.Nous sommes derrière les travailleurs qui manifestent et nous les défendons aussi au sein du gouvernement face aux libéraux! Vous voulez qu’on fasse la liste des libéraux qui vont aux cocktails du patronat?” Ambiance…
Politique : l’affrontement des pôles
En Belgique, la Vivaldi qui gère l’Etat fédéral semble avoir perdu tout forme de créativité spontanée depuis son avènement et semble condamnée à gérer les crises qui se succèdent. Les trois pôles de la majorité – socialistes, libéraux et écologistes – donnent davantage l’impression de se neutraliser que d’oeuvrer à un projet commun. Il y a bien sûr des mesures prises pour amortir les chocs, au coup par coup, ou pour amender les choses à la marge, mais où reste le grand souffle du “projet positif pour la Belgique” annoncé lors de sa naissance?
Somme toute, les élections législatives française de ce dimanche démontrent que la même mécanique est à l’oeuvre un peu partout en Europe : les forces antagonistes se radicalisent, les pôles s’affrontent, le morcellement des voix s’accentue et le risque devient réel d’avoir des pays ingouvernables. En France, la majorité relative du président Emmanuel Macron devra s’inspirer du modèle belge pour forger des compromis et trouver des alliés. Bonne chance pour accorder les violons entre Ensemble, les Républicains affaiblis et des divers droite ou gauche, tandis que la Nupes et le RN veulent s’opposer avant tout.
“Le Gouvernement français va juste devoir apprendre à faire ce que les gouvernements belges font depuis toujours: rassembler des sensibilités diverses, concerter, chercher des consensus, trouver des compromis… bref gérer à l’équilibre et représenter sans doute mieux”, ramasse l’ancienne présidente sociale-chrétienne, Joëlle Milquet. Le problème, c’est que ce “modèle” a lui-même tendance à s’essouffler et ce n’est sans doute pas fini… Car le risque est bel et bien d’avoir, en 2024, des résultats électoraux, en Belgique, pire encore que ceux de la France de Macron avec un Vlaams Belang et un PTB en forte croissance. Les populismes vont encore faire davantage de dégâts.
Institutionnel : ne soyons pas aveugles…
Ce week-end, Paul Magnette, président du PS, a pourtant coupé court à toute possibilité de réforme de l’Etat en 2024, précisément. L’option est stratégique, mais elle fait singulièrement songer à ce slogan que l’on a payé de longues crises politiques : “les francophones ne sont demandeurs de rien”.
Si le numéro un socialiste tient ce propos, c’est parce qu’il refuse de se laisser enfermer dans une logique politique où le PS serait présenté comme “l’allié naturel” de la N-VA pour forger un compromis institutionnel. Fort bien. Mais c’est aussi parce qu’il sait pertinemment que les partis francophones sont désunis et que les institutions francophones sont toutes sauf prêtes à prendre davantage d’autonomie. Dans ce sens, c’est une forme d’aveuglement, d’autant plus grand qu’il refuse dans le même temps de discuter d’une réforme intrafrancophone – avec, par exemple, la régionalisation de l’éducation/formation en parfait complément de l’emploi.
Le résultat, en 2024, à en croire encore les derniers sondages de ce week-end, laissent pourtant percevoir la possibilité d’un front N-VA – Vlaams Belang en capacité de bloquer le pays pour réclamer des avancées, qu’ils finiront par obtenir en moyens d’argent pour les francophones. Refrain connu.
Les blocages qui se manifestent de toutes parts sont peut-être l’expression de bras de fer antagonistes nécessaires – façon lutte des classes -pour générer ensuite des ruptures ou des bing bang. En attendant, qu’il est pénible d’avoir le sentiment qu’inertie et populismes vont de pair…
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