Georges-Louis Bouchez : « La seule légitimité, c’est celle du peuple »
« Je suis un prolétaire », affirme le président du MR, objet d’un livre rédigé par le journaliste Alain van den Abeele. L’homme s’y confie longuement, évoque sa passion pour Napoléon et la nécessité de défendre les libertés. Entretien.
Georges-Louis Bouchez, président du MR, est l’objet d’un livre A bâtons rompus (éd. Kennes, 165 p., 19,9 euros), rédigé par le journaliste Alain van den Abeele, avec qui il partage une passion : la course automobile. L’homme se confie longuement au sujet de ce qui l’anime. Le moment n’est pas anecdotique : la campagne électorale va commencer avec la rentrée politique, en vue des élections cruciales du 9 juin 2024. En outre, son mandat présidentiel arrive à échéance fin novembre, le débat n’étant toujours pas tranché sur une prolongation après la formation des gouvernements ou sur un éventuel scrutin interne, si certains s’opposent à sa reconduction.
En marge de ce livre, GLB s’est longuement confié à Trends Tendances. Avec des propos qui, comme toujours, ne sont pas là pour apaiser le débat, mais bien pour le nourrir ou le cliver.
Vous dites dans ce livre : « Je suis un prolétaire ». Qu’entendez-vous par là ?
Etre prolétaire, cela signifie n’avoir que son travail comme moyen de subsistance. C’est comme cela que Marx le définissait au départ. C’est typiquement ce que je suis : je n’ai que mon travail. J’ai un salaire extrêmement confortable depuis quatre ans, c’est vrai, mais je ne suis pas riche. Si demain je n’occupe plus une fonction semblable, je peux peut-être tenir quelques semaines ou quelques mois, contrairement à beaucoup de nos concitoyens, mais je ne pourrais pas vivre deux ans de la même manière. De façon générale, je crois qu’on ne l’est jamais riche par son niveau de salaire. On peut avoir de l’aisance avec un niveau de patrimoine, peut-être…
Je suis fondamentalement prolétaire et c’est pour cela que j’ai une opposition si forte avec la gauche. Pour moi, elle a remplacé le travail par l’assistanat et le communautarisme. La défense du « prolétariat », c’était la défense de ceux qui n’ont que leurs mains pour s’en sortir et s’émanciper. C’est typiquement la conception de cette droite populaire que je revendique et que j’assume totalement. C’est un changement au niveau du MR.
Vous parlez de droite populaire et pas populiste…
Exactement, je le dis dans le livre : la droite populaire est celle qui s’adresse à ceux qui sont des prolétaires. La grande erreur de la sociale-démocrate partout en Europe, c’est d’avoir estimé, depuis la chute de Mur de Berlin en 1989, qu’il n’y avait plus prolétaires et plus d’ouvriers, qu’il fallait substituer cette masse à protéger, par d’autres : les migrants, d’où le communautarisme, et les allocataires sociaux. Or, aujourd’hui, vous pouvez être un cadre, avoir un ordinateur et un costume trois pièces, tout en étant un prolétaire.
Vous affirmez également dans ce livre : « La seule légitimité, c’est celle du peuple ». Qu’est-ce que cela induit, selon vous ?
Cette phrase, je ne l’ai pas dite par hasard, elle est clairement en lien avec mon positionnement politique. Du matin au soir, j’entends parler des partis, de ceux qui font ou non parties des gouvernements… Moi, j’ai toujours considéré que seule l’élection peut trancher. Quand on oublie cela, on se crée des problèmes et on induit de la défiance démocratique. La montée des populismes vient de cela : on a un monde politique qui réfléchit beaucoup trop en termes d’alliance et de connivences, en se consacrant à des thématiques qui ne concernent pas les gens. C’est cette cassure qui crée le populisme! Les gens ne sont pas fondamentalement communistes ou racistes, mais ils ont le sentiment que l’on ne s’appuie plus sur eux, alors qu’ils représentent la seule légitimité.
Moi, j’ai toujours fonctionné de la manière suivante : quand on prend une position politique, on doit pouvoir immédiatement retourner vers les gens pour leur expliquer et qu’ils se positionnent. C’est d’ailleurs ce qui a entraîné la rupture de majorité à Mons quand j’étais échevin. En politique, évidemment, cela change de cadre. En Belgique, aujourd’hui, j’ai l’impression que la légitimité du peuple est totalement oubliée. Il y a trop de mécanismes qui visent surtout à se maintenir au pouvoir.
Le renouveau démocratique ne devrait-il pas être une priorité ?
Les politiques utilisent le renouveau démocratique comme un alibi pour continuer comme avant. Moi, je n’ai pas envie de faire de ce renouveau le grand truc qui serait la solution à tous nos problèmes. Dans les règles actuelles, on pourrait déjà changer les choses avec une transparence des débats, une objectivation et une rationalisation des arguments… Il ne faut pas une grande révolution, il faut de la sincérité dans le chef de chacun. Ce n’est pas si compliqué que ça.
Vous parlez beaucoup dans ce livre de la lâcheté du monde politique…
Le manque de sincérité vient d’un manque de courage. Moi, j’explique quand même aux habitants de la région dont je suis originaire qu’il faut se remettre au boulot; je défendais le nucléaire quand tout le monde l’associait à Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima; j’émets des critiques contre un milieu, alors que je suis obligé d’être en permanence avec des gens de ce milieu…
Mais vous fonctionnez selon ses codes, tout de même.
Mouais… C’est tout le paradoxe : on me reproche de ne pas assez répondre aux codes, mais d’être toujours dans ce milieu-là. En tout cas, les phrases que vous avez relevées sont les plus importantes du bouquin : toute ma conception politique vient du fait que je suis un prolétaire et que le peuple doit avoir la légitimité. Souvent, en bureau de parti, je leur dis, quand on parle des alliances, de la réforme de l’Etat ou le fait de savoir qui a le ‘zwarte piet’ dans le dossier de la réforme fiscale : ‘Mais cela intéresse qui, à part les journalistes ?’. Ma voisine ne m’a jamais dit que j’avais le ‘zwarte piet’…
Non, mais vous pouvez être abimé par une séquence, tout de même.
Si vous expliquez les choses correctement, pas forcément… De même, le fait d’être abimé ou pas, c’est très relatif : il y a peut-être cinq partis qui pensent que le problème, c’est Bouchez, mais qu’en pensent les gens ? Ceux qui ne m’aiment pas en première intention, oui, mais ceux qui sont neutres vont dire que je suis turbulent et ceux qui m’apprécient se disent que tout est injuste et que c’est un méchant complot contre le seul qui veut réformer les choses.
Cette légitimité populaire, vous considérez que c’est votre assise, y compris face à ceux qui vous critiquent en interne ?
C’est pire que ça : c’est la seule chose que j’accepte. Si à un moment donné je me retourne vers les gens et que je n’ai pas leur soutien, alors je me retirerai. C’est la règle du jeu. J’ai fait le meilleurs score qu’un non-socialiste n’ait jamais fait à Mons, j’ai obtenu un bon score aux dernières élections, j’ai gagné les élections au MR avec 62% : ça va, pour un gars qui n’est pas populaire… Cela dit, cette notion de popularité est peu relative en politique : ce n’est pas quand dix personnes vous trouvent sympa, c’est davantage quand trois personnes sur dix savent qu’elles vont voter pour vous. Or, personne ne fait 30% en Belgique aujourd’hui, personne ! Je ne suis pas chanteur, je ne cherche pas la popularité de Jean-Jacques Goldman. Les sondages sont d’ailleurs curieusement organisés à ce sujet.
Mais la seule chose qui pourrait m’arrêter, ce sont les gens, ce ne sont pas des arrangements.
Dans ce livre, vous affirmez aussi que « le libre choix doit rester la norme ». Et vous laissez entendre que les libertés sont menacées par les évolutions liées à la santé, à la sécurité, à la mobilité, au climat…
J’exprime cela dans une partie du livre consacrée au Covid. Ma thèse est assez simple : entre la fin de la Seconde guerre mondiale et 2001, on a vécu une parenthèse dorée dans l’histoire de l’humanité avec un gain successif de libertés dans tous les domaines. La génération du baby boom a vécu une période extraordinaire avec des gens qui arrivaient haut en partant de rien, la libération sexuelle, le développement des loisirs… Depuis 2001, en raison d’une succession d’événements, on voit une réduction des libertés.
Le tournant, ce sont les attentats du 11 Septembre 2001 : au nom de la sécurité, on a accepté de réduire des libertés ou de les mettre sous surveillance, notamment pour nos déplacements. Depuis, on ne peut plus voyager sans que l’on sache exactement où vous êtes. On l’a accepté. Avec la crise financière, on a remis en cause le secret bancaire, on a renforcé les règles en matière fiscale et on fait peser sur les banques toute une série d’obligations légales de contrôle qui restreignent nos libertés. Moi, je suis une personne politiquement explosée et le président d’un club de foot, on me pose des tas de questions quand je mets 1000 euros sur mon compte ou que je demande un prêt. Ma liberté, où est-elle ? Et je suis loin d’être le seul dans le cas.
Puis, lors de la crise du Covid, au nom de la santé, on a remis en cause la liberté de circuler ou de se faire vacciner. En fonction de cela, on pouvait aller au restaurant ou pas. Et aujourd’hui, le grand mantra, c’est de se demander ce que sont nos libertés face à ce grand défi consistant à sauver la planète. On veut vous imposer un quota de CO2, limiter votre nombre de kilomètres sur une année…
Je pense que nous sommes à un tournant. Les libéraux ont crû qu’ils avaient gagné le combat parce qu’ils n’avaient plus d’idéologies face à eux, mais la liberté est en train de basculer. Avec des ennemis qui sont multiples : du conservatisme de droite en matière de sécurité, des mouvements de gauche en ce qui concerne la planète ou l’aspect bancaire… Il n’y a plus un bloc anti-libertés: le plus grand ennemi de la démocratie, et c’est paradoxal de le dire pour un libéral, c’est la volonté de l’efficacité à tout prix. Non, la démocratie n’est pas le modèle le plus efficace et c’est d’ailleurs ce que les chefs d’entreprises ont du mal à comprendre quand ils analysent la politique. L’efficacité absolue doit être un objectif mais, par exemple, dans la crise du Covid, laisser la liberté aux gens faisait durer les choses un peu plus longtemps, c’est vrai, mais la liberté doit être aussi un objectif de vie.
Avez-vous le sentiment d’être un libertaire ?
On a tellement baissé les standards que oui, j’ai ce sentiment. De la même manière, on est tellement à gauche en Wallonie que j’ai le sentiment être très à droite, alors qu’aux Etats-Unis, je serais limite socialiste. Dire aujourd’hui que la suppression de l’argent cash, cela ne va pas, c’est être libertaire. En avoir des formulaires et des normes, même pour construire une cabane au fond de votre jardin, c’est être libertaire.
De quel droit un Etat peut-il dire que vous devez dégager votre bagnole en Région bruxelloise ? Certains considère que l’enjeu de sauver la planète est tellement fondamental qu’on vous empêche d’utiliser votre vieille VW. On vous assigne à résidence. Le pire, ce n’est pas qu’on le décide, c’est que cela ne fasse pas débat.
Moi, je ne veux pas vivre dans un monde sans cash, où on limite mon nombre de kilomètres et ou une autorité, privée ou publique, saura à tout moment où je me trouve. Moi, je veux pouvoir disparaître cinq jours sans que personne ne sache où je suis.
Vous dites votre admiration pour des pilotes de F1, mais de façon plus surprenante, vous vous dites fan de Napoléon !
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le parcours, j’adore les parcours totalement improbables. Son parcours est fou : il part de rien et il devient empereur, c’est incroyable ! Je n’aime pas parcours linéaires, j’adore les accidentés : chez eux, le meilleur côtoie le pire. Tant qu’à perdre, je préfère une grosse défaite tant qu’à gagner, je préfère une victoire avec du panache. Ce sont ces gens qui font l’intérêt de la vie et qui font les sujets de conversation !
Ce n’est pas nécessairement être empereur d’Europe qui fait cela, bien sûr, ce peut être de sortir et de rencontrer la star de votre vie, mais une vie réussie, pour moi, c’est un rollercoaster.
Mais Napoléon vous inspire aussi pour la marque qu’il a laissée…
C’est pire que ça : pour moi, c’est un héros libéral, c’est le premier homme politique moderne de droite. Il synthétise les différentes formes de droite : il est nationaliste, capitaliste et partisans du libre marché dans un grand espace et, surtout, il assoit la révolution française que les autres Etats d’Europe voulaient cadenasser. Napoléon fait ses premières conquêtes en réponse aux attaques des autres pour préserver l’idéal de la révolution. Enfin, il est extrêmement moderne parce que c’est lui qui a conçue l’Etat moderne : les provinces, la Banque de France, les lycées, la Légion d’honneur, le Code civile, le Code pénal, le droit du commerce… Je ne connais pas beaucoup d’individus seuls qui ont un tel héritage. Pour moi, c’est le plus grand personnage de l’histoire contemporaine.
Y compris dans ses côtés sanglants ?
Tout d’abord, la plupart de ses conquêtes, je l’ai dit, vise à préserver un idéal. Et deux, les gens prennent un malin plaisir à juger les personnages de l’histoire avec des standards actuels. A l’époque, les campagnes militaires faisaient partie de la politique, c’était le dernier moyen de résoudre un conflit. Je ne dis pas que les campagnes napoléoniennes n’ont pas engendre des exactions, mais les combats se faisaient dans des plaines, entre militaires. Je ne légitimise pas ça, mais c’est différent de la Seconde guerre mondiale. Je le regrette, mais on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir été un génie de son époque.
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