Il y a un an, en juin 2024, Thierry Geerts devenait CEO de BECI, la chambre de commerce de Bruxelles. Une année marquée par les incertitudes géopolitiques, une année marquée aussi par l’absence de gouvernement à Bruxelles-Capitale et la démission du politique sur des problèmes urgents : mobilité, sécurité, emploi.
Les turbulences ne datent pas du retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier dernier, souligne Thierry Geerts. « C’est peut-être de l’histoire ancienne, mais en 2024, les exportations bruxelloises vers les États-Unis ont chuté de 45 % au cours des six premiers mois, représentant désormais seulement 8 % des 5,1 milliards d’euros d’exportations totales de la région. Cette baisse, bien que significative, n’est pas catastrophique pour Bruxelles, dont l’économie repose largement sur les services et moins sur l’industrie, ajoute-t-il. Cependant, les effets indirects, notamment sur les emplois intérimaires et les services liés aux grandes industries, sont notables. Les grandes usines en dehors de Bruxelles ne peuvent plus exporter autant aux Etats-Unis. Or, il ne faut pas oublier qu’indirectement, une industrie peut avoir un effet – via les sous-traitants, les fournisseurs de services, … sur un nombre de personnes bien plus important que ses propres salariés ».
Audi : on avance
Un des tout grands dossiers économiques dont Thierry Geerts a hérité, est celui de la fermeture de l’usine d’Audi à Forest. Audi a eu un impact, mais moins par exemple que la fermeture de Caterpillar à Gosselies parce que, explique le patron de BECI, « Audi faisait essentiellement de l’assemblage de pièces fabriquées essentiellement ailleurs, en Allemagne ». L’impact indirect sur l’emploi bruxellois a donc été moins fort.
Le dossier Audi avance, observe Thierry Geerts. « Premièrement, il a été confirmé par toutes les parties – syndicats, gouvernement et les entreprises – que le site doit rester une valeur productive économique. Ce n’était pas gagné. Ensuite, on ne cherche pas un grand sauveur repreneur: le site sera développé par un développeur, qui n’est pas encore choisi, de telle sorte que plusieurs entreprises puissent bénéficier d’une partie de l’ensemble. Et troisièmement, Audi a nommé un intermédiaire pour trouver ce développeur, qui sera une société d’investissement qui rachètera le site et le revendra ou le louera à plusieurs intermédiaires. Les conditions du rachat sont en discussion actuellement, parce que nous ne pouvons naturellement pas laisser ce terrain sans aucune condition à n’importe qui. Ce terrain sera dédié à de l’industrie urbaine, non des activités Seveso et de grande logistique. Il faut aussi mettre un certain nombre de paramètres au niveau de l’emploi, avoir la garantie que le repreneur a les reins solides. Et la rapidité du développement est aussi un élément important.
Un blason entaché
Un autre grand dossier, c’est l’absence de gouvernement depuis les élections de juin 2024.
Les entreprises bruxelloises doivent faire face à un triple défi, explique Thierry Geerts : les coûts de l’énergie, les couts salariaux et l’incertitude ambiante. « Mais on ajoute à Bruxelles une couche d’incertitude totalement inacceptable, c’est le fait de ne pas avoir de gouvernement, regrette Thierry Geerts. Un gouvernement ne peut pas faire grand-chose à l’incertitude géopolitique. Il peut agir sur l’énergie, mais c’est compliqué. En revanche, s’il y a une chose que les politiques peuvent nous donner, c’est d’avoir au moins un cadre stable. Ce cadre existe au niveau national, en Flandre et en Wallonie, mais il manque totalement à Bruxelles ».
Mais dans les faits, quels sont les effets de cette absence de gouvernement ?
« Lorsque l’on parle du domaine de la grande exportation, le problème est la crédibilité de Bruxelles. Quand vous êtes une entreprise qui fabrique un produit, il y a plusieurs éléments qui joue : ce produit est-il innovant ? Est-ce qu’il est de qualité ? Quel est son prix ? Mais par-dessus, il y a une couche de perception. Or aujourd’hui, on entache le blason de Bruxelles et cela touche à toute son économie ».
Bruxelles a l’avantage d’avoir une économie diversifiée et axée sur les services, donc davantage résiliente, et d’avoir une population également diversifiée, ce qui est aussi un atout. La région accueille le gouvernement fédéral, les institutions européennes et internationales, comme l’OTAN, … « A priori, si nous jouons bien cette carte, puisque l’Europe se renforce et veut être plus assertive et plus autonome, Bruxelles comme centre de décision devrait se renforcer aussi, observe Thierry Geerts. Bruxelles pourrait avoir son heure de gloire, mais au lieu de cela, on refait le rond-point Schuman et c’est un chaos total ; on n’accueille pas les relations internationales convenablement et nous n’avons pas de gouvernement pour nous représenter quand il y a des problèmes de sécurité. A quel jeu joue-t-on ? D’accord, nous devons faire des économies budgétaires, mais il y a une vraie carte à jouer et personne ne joue quoi que ce soit, sinon des petits jeux politiques. C’est vraiment un problème. «
Problèmes à tous les étages
Les problèmes à gérer sont à tous les niveaux observe le patron de BECI. Il y a d’abord la sécurité. « Quand il y a eu les attaques à Clémenceau, aucun responsable politique n’était présent. L’insécurité à Bruxelles fait que les employés n’aiment pas venir au bureau, ils se mettent davantage en télétravail, ce qui a un impact sur l’efficacité. » Il y a la mobilité : « C’est le chaos. Les gens arrivent fatigués au bureau, ils arrivent en retard,… » .
Il y a l’emploi. « Il y a 90.000 chômeurs à Bruxelles, mais aussi 90.000 postes à pourvoir (dans l’hinterland économique bruxellois, NDLR). Je ne dis pas que chaque chômeur trouvera un poste, mais il y a une base disponible, avec, en Flandre, des entreprises qui seraient ravies d’engager des Bruxellois. Le gouvernement bruxellois a donc un rôle à jouer pour mettre une vraie politique d’activation, d’autant plus qu’il y a urgence puisqu’il y a désormais la fin des indemnités de chômage après deux ans. Mais le gouvernement dit que non, parce que pour lui il n’y a pas assez de postes à pourvoir. Mais il regarde uniquement les postes qui sont sur Actiris et uniquement les 19 communes. Or, des Belges de toute la Belgique viennent travailler à Bruxelles, et aucun Bruxellois ne pourrait aller travailler en Flandre ? »
Lourdeur administrative
Il y a la lourdeur administrative. « « Nous sommes probablement l’endroit en Europe où il y a le plus de complexité administrative. Le gouvernement bruxellois pourrait énormément améliorer la compétitivité des entreprises simplement en se retirant un tout petit peu. Si vous voulez rénover vos bureaux et que vous êtes dans un bâtiment à valeur historique, le permis d’urbanisme vous dit que vous ne pouvez pas changer les châssis, alors que le permis d’environnement dit au contraire que vous devez les changer. Je rappellerai aussi que les taxes de bureaux à Bruxelles peuvent facilement être trois fois plus élevées à Bruxelles qu’ à Zaventem. On peut discuter le coût de l’énergie, on peut discuter le coût du salaire, mais on pourrait aussi discuter le coût d’une taxation déraisonnable. On paie des employés pour remplir des formulaires qui ne sont d’aucune utilité et qui créent énormément d’incertitude. Il faudrait donc s’attaquer à ces questions : sécurité, mobilité, simplification administrative, climat d’entreprendre en général ».
Pour le patron de BECI, « le gouvernement se dit en affaires courantes, mais il est en réalité démissionnaire. Le gouvernement Leterme a été en affaires courantes (en 2010 et 2011, en pleine crise de la zone euro, NDLR). Il a géré des problèmes compliqués. La dette a diminué parce qu’il n’a pas dépensé d’argent. Ici, à Bruxelles, la dette augmente et le gouvernement ne gère pas les crises. C’est une question d’attitude, ajoute Thierry Geerts. Il y a par exemple des quais qui s’effondrent au port de Bruxelles. Et le gouvernement considère que ce n’est pas un problème qu’il peut résoudre parce qu’il est en affaires courantes ! »