Fusion SRIW-Sogepa-Sowalfin: les entreprises wallonnes disent “oui” à WE
La réforme des outils économiques wallons suscite l’unanimité dans le monde entrepreneurial wallon. Certains souhaitent même qu’on intensifie le mouvement dans les prochaines années.
Mais pourquoi diable n’a-t-on pas réorganisé plus tôt les outils économiques wallons? La question vient à l’esprit quand on lance les chefs d’entreprise sur le terrain de la création de Wallonie Entreprendre, la structure qui regroupe désormais les anciennes SRIW, Sogepa et Sowalfin. Tous applaudissent en effet cette réorganisation qui devrait, disent-ils, améliorer le service aux entreprises et conforter donc la raison d’être de l’outil. Essayons de voir quelles sont les forces et les faiblesses de cette nouvelle structure.
La ligne de force: la lisibilité
L’argument le plus souvent avancé pour cette réforme est celui de la lisibilité. Certes, a priori, les rôles étaient bien répartis entre les ex-SRIW (grandes entreprises), Sowalfin (PME) et Sogepa (entreprises en reconversion) mais l’accumulation d’acronymes et de filiales ou programmes spécifiques brouillaient manifestement la vue d’ensemble.
“Tout le monde avait en outre un peu tendance à sortir de son domaine, souligne Pierre Mottet, président d’IBA (entreprise soutenue depuis longtemps par la SRIW) et de l’Union wallonne des entreprises. La SRIW a financé de petits dossiers qui auraient pu rester chez les invests, la Sogepa ne finançait pas que des entreprises en reconversion, etc. La réorganisation rendra, je l’espère, l’action plus lisible et permettra un meilleur déploiement des stratégies régionales.”
Il y aura une plus grande cohérence dans le suivi de la croissance d’une société.”
THERAtRAME, spin-off de l’ULiège qui développe un traitement anti-cancéreux à base d’ARNt, est l’une de ces toutes petites entreprises (six personnes) financées dès sa genèse par la SRIW. “Je dois convenir qu’au début, ce n’était pas évident de bien comprendre qui faisait quoi dans ces structures régionales, concède Pierre Close, cofondateur de l’entreprise. Nous avons heureusement eu une bonne interlocutrice à la SRIW, qui nous a beaucoup aidés à comprendre ce monde complètement inconnu pour nous. Pour une toute petite société comme la nôtre, c’est formidable de pouvoir bénéficier du réseau de la SRIW dans le monde des biotechs en Belgique et même en Europe. Au-delà de l’aspect financier, cette mise en réseau est peut-être la vraie plus-value de ces outils pour les jeunes entreprises wallonnes.”
“La lisibilité sera aussi une excellente chose à l’international, ajoute Fabrice Brion, cofondateur et CEO d’I-Care. Les acteurs internationaux sont peu au fait de nos subtilités régionales. Le fait d’avoir un seul outil public va offrir plus de crédibilité à la Wallonie dans leurs discussions avec de tels acteurs.”
En présentant la nouvelle structure, le ministre de l’Economie Willy Borsus avait également évoqué la force de frappe de l’outil fusionné. Sa taille devrait effectivement lui permettre, estime Thierry Huet, CEO de la biscuiterie Desobry, de “prendre davantage de risques”, même si la déconfiture de la Sogepa dans l’aventure Hamon, incitera sans doute les gestionnaires publics à redoubler de prudence.
“Pour les levées de fonds de plus de 20 ou 30 millions, cela restera compliqué, modère alors Pierre Mottet. En revanche, il y aura une plus grande cohérence dans le suivi de la croissance d’une société, l’outil aura une vue complète de l’entreprise et ce sera très utile pour ses stratégies de développement.” “Un dossier qui mûrit accompagné d’une structure comme WE permettra d’aller plus vite, abonde Pierre Close. Vous n’imaginez pas comme c’est énergivore de devoir réinitier les contacts, quand les interlocuteurs changent à mesure que l’entreprise grandit.”
Il existe plein de leviers intéressants pour les entrepreneurs en Wallonie. Mais il n’est pas toujours simple de savoir vers lequel se diriger.”
L’atout: l'”account manager”
Cela nous amène à l’aspect crucial de la réforme, plus encore peut-être que la fusion des outils en elle-même: la désignation d’un account manager par entreprise, une personne de référence qui guidera les entreprises à travers les programmes des 13 business units qui composent désormais WE. “Il existe plein de canaux et de leviers intéressants pour aider les entrepreneurs en Wallonie, dit Dominique Pellegrino, CEO et cofondateur de Vertuoza. Mais ils sont trop peu connus et il n’est pas toujours simple de savoir vers quelle chapelle se diriger. Le point de contact unique peut être vraiment intéressant pour les entreprises wallonnes. Nous sommes financés par W.IN.G (fonds dédié aux start-up numériques et qui est dans le giron de WE) et nous serions ravis d’y avoir un account manager pour optimiser toutes les aides possibles pour notre boîte.”
Dominique Pellegrino va même un cran plus loin et rêve d’aiguillages performants à travers toute l’administration, y compris les subsides, les chèques-entreprises et autres aides régionales. “En tant que CEO, je suis le nez dans le guidon, appuie Thierry Huet, qui achève un investissement de 18 millions d’euros – réalisé avec un prêt subordonné de WE – pour la nouvelle usine de Desobry. Avoir des gens dans ces structures qui ne vont pas seulement gérer votre dossier mais qui anticipent, qui vont vous interpeller, vous téléphoner, vous suggérer des possibilités, ce serait vraiment génial. D’autant qu’avec la fusion des outils économiques, le portefeuille des possibilités d’aide devient vraiment très large.”
Le noeud: l’articulation avec les “invests”
Tant qu’à réunir les forces, ne faudrait-il pas aller un cran plus loin et intégrer les neuf invests provinciaux dans le travail de rationalisation? Parmi nos interlocuteurs, Thierry Huet est le seul à le penser sans réserve. “Je suis un adepte des synergies totales, affirme-t-il. Sur notre petit territoire de 4 millions d’habitants, nous devons globaliser les moyens pour gagner en efficacité. L’entrepreneur qui s’apprête à investir, il peut faire 100 km pour avoir un service complet, précis et rapide. Ce découpage provincial des instruments ne sert à rien du tout. Ça fait quelques années que je suis actif en Wallonie et je peux vous assurer que je n’ai pas encore la connaissance, loin de là, de toutes les possibilités offertes par toutes les structures.”
Le mythe de la méga-structure qui va s’occuper de tout, c’est dangereux.”
D’autres jugent toutefois pertinent de conserver un ancrage provincial pour les plus petites entreprises. “Le mythe de la méga-structure qui va s’occuper de tout, c’est dangereux, estime Benoît Coppée, le président d’InvestSud (Marche-en-Famenne). La tendance est alors de ne s’occuper que des plus gros dossiers, des projets les plus excitants qui ne sont pas forcément les plus utiles dans la durée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a créé les invests à l’époque. Notre tissu économique a besoin de ces gens passionnés par le terrain et par la vie des PME.”
Fabrice Brion cite l’exemple de sa propre entreprise. “Quand nous avons démarré en 2007, la SRIW n’aurait guère eu de valeur ajoutée pour I-care, analyse-t-il. Notre lancement a bénéficié du support et de l’accompagnement de l’invest IMBC. La SRIW, désormais WE, est arrivée bien plus tard quand l’entreprise avait grandi. Cela me paraît la bonne stratégie.”
L’élément crucial est alors l’articulation entre les différents outils économiques. Et ce n’est pas toujours simple car les invests, gagnant en expertise, tendent à sortir de leurs frontières provinciales et ne cèdent pas toujours totalement le relais à l’échelon supérieur quand l’entreprise grandit. Et WE finance aussi des entreprises débutantes, notamment dans le digital et les biotechs.
La réforme clarifie les rôles en imposant une information préalable de WE pour les dossiers de plus de 2,5 millions d’euros (et l’inverse pour les dossiers inférieurs à 1,5 million) avant de décider qui investira où. Et parfois, ce seront des investissements conjoints. “Nous investissons avec des fonds privés, avec des fonds universitaires et avec la SRIW, rappelle Benoît Coppée. Quand on lève 10, 15, 20 millions ou plus, il est toujours utile d’avoir plusieurs lectures du dossier. Et puis, cela permet des tours de table que personne n’aurait eu les moyens de réaliser seuls.”
L’entrepreneur qui s’apprête à investir, il peut faire 100 km pour avoir un service complet, précis et rapide. Le découpage provincial des instruments ne sert à rien du tout.”
En outre, les invests n’auront plus comme actionnaire la Sowalfin (la Wallonie détient une participation minoritaire dans les invests) mais WE, qui siègera donc au conseil de ces structures provinciales. A priori, cela devrait favoriser la fluidité de la transmission des informations et peut-être une meilleure connaissance des expertises présentes sur l’ensemble du territoire.
“Sincèrement, cette organisation me semble très intelligente sur papier, reprend Benoît Coppée. Il faudra l’évaluer dans quelques années et l’adapter le cas échéant car les structures, les besoins, le paysage auront évolué. Nous ne devons pas nous enfermer dans un schéma.”
“Le cadre me semble effectivement pertinent et c’est une plume au chapeau du ministre de l’Economie Willy Borsus, conclut Pierre Mottet. Son succès dépendra toutefois de la mise en place concrète et de la manière dont WE sera gérée. Et là, je dois dire que j’ai une totale confiance envers le tandem Pierre Rion (président du CA) et Oliver Vanderijst (président du comité de direction). Si une autre équipe de direction avait été choisie, je vous aurais peut-être tenu un tout autre discours sur l’impact de Wallonie Entreprendre. Mais je suis convaincu qu’avec eux, la gouvernance va continuer à se simplifier et les lignes stratégiques à se renforcer pour le bien de l’économie wallonne.”
Six directeurs pas vraiment sur le carreau
C’est le caillou dans la chaussure réformatrice de Willy Borsus: les 11 directeurs des trois anciens outils économiques conservent tous leurs titres et rémunérations (269.000 euros, d’après les chiffres du dernier rapport annuel de la Sogepa), même si seuls cinq d’entre eux sont repris au sein du comité de direction de Wallonie Entreprendre. Les six autres ne sont heureusement pas payés à rien faire et chapeauteront des business units comme leurs collègues.
Le gouvernement reconnaît implicitement qu’il pourrait se passer d’eux puisque leur statut est “extinctif”, c’est-à-dire qu’ils ne seront pas remplacés après leur départ (pension ou démission). Mais il est cohérent avec son engagement de réorganiser et non de rationaliser les outils économiques régionaux: personne n’est licencié dans l’opération, cela vaut pour les directeurs comme pour toutes les fonctions qui existaient dans les trois organismes.
Cette cohérence, elle n’est toutefois peut-être pas partout. Telle est la conviction des conseils de Philippe Buelen, l’un des six directeurs mis sur la touche et qui s’apprête à introduire un recours au Conseil d’Etat contre cette décision. Il dénonce le choix purement politique des cinq directeurs maintenus (3 PS et 2 MR), dans lequel ce mandataire étiqueté Les Engagés n’avait aucune chance. Le texte du décret stipule simplement que ces directeurs sont nommés “sur avis conforme du gouvernement wallon” mais lors de l’examen du texte au Parlement, le ministre de l’Economie avait bien précisé que ces nominations se feraient “sur base des compétences, de la complémentarité des profils, des critères de leadership, de vision stratégique, de management et d’autres encore pour désigner la fonction de président”.
On pouvait s’attendre dès lors à un processus de sélection avec jury et assessment, ce qui n’a pas été le cas. “Philippe Buelen souhaite qu’on lui donne sa chance de démontrer ses qualités, comme cela avait été promis, résume son conseil Me Clément Pesesse, du cabinet MP2. Le gouvernement wallon doit être cohérent au regard de ses objectifs de bonne gouvernance.” Philippe Buelen reste par ailleurs coordinateur de Wallonie-Santé, une filiale de la Sogepa qu’il avait lancée en 2018 pour intervenir financièrement dans le secteur des institutions de soins.
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