François Gemenne: “Les entreprises sont désormais le principal vecteur d’action pour le climat”
Très médiatisé en France, le spécialiste liégeois du climat met en garde contre de prochains étés à 50°. Nos sociétés ne sont pas encore assez adaptées et l’action des entreprises sera déterminante.
François Gemenne, directeur de The Hugo Observatory, spécialiste des questions climatiques et migratoires, est devenu un invité omniprésent sur les plateaux de télévision français. Alors que le thermomètre ne cesse de s’envoler cet été entre 35 et 40°, il a souligné sur BFMTV que l’on en sourirait dans un futur proche, car nous connaîtrons en Europe des journées à 50°. Il s’explique pour Trends Tendances et évoque l’action qui peut être décisive des entreprises, lui qui exprime régulièrement son dépit à l’égard de l’inaction politique et du manque de mobilisation sociale.
Cet été est-il une nouvelle fois révélateur du dérèglement climatique? Ils le sont tout, désormais…
Ils le sont tous, en effet. L’été dernier l’a été avec les inondations, celui-ci avec les canicules. Ce qui deviendra compliqué, c’est quand on aura en même temps, dans le même été, des sécheresses et des inondations.
Ce qui est la perspective, selon les rapports du Giec…
En effet. D’ores et déjà, les épisodes cévenols (des pluies violentes qui provoquent des inondations – Ndlr) dans le sud de la France risquent d’être compliqués cet automne, évidemment.
Vous avez évoqué aussi sur BFM TV cette autre perspective d’étés à 50° dans nos pays.
On se souviendra sans doute avec une certaine émotion de cet été 2022 où le thermomètre n’atteignait 40° que quelques jours par an, oui. Nous en sommes déjà à la quatrième vague de chaleur, on annonce déjà la cinquième pour la semaine prochaine. En d’autres termes, ces vagues de chaleur deviennent la norme de l’été. Les épisodes anormaux ou exceptionnels, c’est quand le thermomètre descendra sous les 35¨. Oui, on ira jusqu’à des 50°. Cet été, l’Espagne est déjà arrivée à 47-48°.
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Sommes-nous prêts? Faut-il organiser différemment nos sociétés, notamment au niveau du travail?
Je pense que nos sociétés prennent doucement conscience de leur vulnérabilité, mais elles ne se préparent pas encore, notamment parce qu’on a longtemps imaginé que nous étions immunisés contre les impacts du changement climatique, que c’était pour les autres, pour les générations futures ou les pays lointains… Là, on se rend compte que l’on va devoir adapter nos sociétés, c’est-à-dire prendre des mesures en termes d’infrastructures, de mode de vie, d’horaires de travail, d’habitudes alimentaires… Dans le bâtiment, on a fait du béton et du verre pendant des années, avec des créations architecturales un peu futuristes, mais on devra changer les matériaux et revenir à des coloris plus clairs, du blanc pour le dire platement.
Ce qui n’est pas encore intégré…
Quand on entend les responsables des Ordres d’architectes, on se rend bien compte qu’il y a une prise de conscience que l’on a fait les choses comme si le changement climatique n’existait pas.
Les entreprises peuvent-elles être un vecteur important d’action ?
C’est sans doute, aujourd’hui, le vecteur d’action le plus important. Les entreprises savent qu’elles sont beaucoup à perdre si elles ne s’adaptent pas – je pense aux entreprises d’infrastructures, à celles qui ont des sites de production dans des zones inondables ou très exposées.
A-t-on dépassé le stade du “greenwashing” que beaucoup dénonçaient ou de la bonne conscience à bon compte?
Je pense que oui. Je ne dirais pas que c’est le cas pour toutes les entreprises, le greenwashing va continuer, mais cela signifie aussi qu’il y a une demande sociale pour cela. Si les entreprises se fichaient du climat, elles ne se tracasseraient même pas de faire du greenwashing.
Vous allez parler le 30 août à l’occasion de la rentrée du Mouvement des entreprises de France (Medef) : cela signifie que c’est un interlocuteur important pour vous ?
C’est significatif que quelqu’un comme moi soit invité au grand sommet annuel du Medef. Cela montre que c’est une préoccupation importante des entreprises. Très clairement, je n’irais pas faire du greenwashing avec elles.
Vous avez régulièrement tenu des propos un peu dépités sur l’inaction politique ou le manque de mobilisation sociale. Cela signifie-t-il que le secteur économique est l’endroit où on peut agir?
La question est de savoir quelle stratégie adopter. Mes propos n’étaient pas défaitistes, même si forcément, c’est souvent l’aspect que les journalistes veulent mettre en avant. C’est plutôt une réflexion sur cette stratégie. Ce que je constate, c’est que beaucoup de gens ne sont pas prêt à accepter des changements tels que ceux qui permettraient de respecter les objectifs fixés par les Accords de Paris. Les gens n’ont pas encore assez l’impression que cela menace leurs intérêts immédiats. Il suffit de voir les débats passionnés que suscitent les propositions de limiter la vitesse maximale sur les routes, alors qu’on ne parle quand même pas d’une mesure liberticide. Je vois là les limites des choix collectifs que l’on peut poser – et donc les limites de la démocratie, du moins de la démocratie représentative, en tout cas.
Par contre, les entreprises ont une plus forte conscience que le changement climatique menace leurs intérêts immédiats. Soit en terme d’impact du changement climatique, soit en terme d’attentes de la clientèle ou du marché, dans un univers compétitif où l’on regarde ce que les autres vont faire. Beaucoup se rendent compte que si l’entreprise ne devient pas durable aujourd’hui, elle ne sera pas non plus profitable demain. Les entreprises ont d’immenses leviers d’action et peuvent aussi peser sur la décision politique. Je suis frappé du nombre de personnes dans les entreprises qui me disent ne pas comprendre pourquoi le politique est aussi timide. Elles sont en demande d’un cadre de long terme, qui puisse mettre en place les règles du jeu d’un marché équitable.
On a parfois trop attendu des politiques et on considérait les entreprises comme les grands méchants climaticides. Je crois que l’on assiste à un changement avec des politiques qui se sentent impuissants et des entreprises réalisant qu’il est dans leur intérêt de réduire leurs émissions et de s’adapter aux impacts du changement climatique. Elles ne le font pas par grandeur d’âme ou par conviction écolo, mais elle se rendent compte que c’est un enjeu pour elles.
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