Financement des CPAS : trois risques persistent malgré le vote

Caroline Lallemand

Jeudi soir, la Chambre a voté les compensations pour les CPAS qui accueilleront les exclus du chômage dès janvier 2026. Mais des incertitudes demeurent : les 26 millions de 2025 ne sont toujours pas versés, l’adéquation des 300 millions aux besoins réels reste à vérifier, et le mécanisme en douzièmes provisoires doit encore être testé.

Le vote de jeudi soir à la Chambre sur les compensations aux CPAS a été salué comme un déblocage majeur. Le texte était bloqué en raison de l’incapacité du gouvernement De Wever à s’entendre sur le budget 2026 – 2029. Face à cette impasse, plusieurs voix réclamaient le report de la réforme du chômage : Bernard Clerfayt (DéFI, Bruxelles), Sophie Rohonyi (DéFI) et le PS bruxellois.

Les modalités sont désormais claires pour le soutien aux CPAS: remboursement du revenu d’intégration (RIS) à 100% en 2026, 90% en 2027, 80% en 2028 et 75% à partir de 2029. Anneleen Van Bossuyt (N-VA), ministre de l’Intégration sociale, assure qu’il n’y a “aucun problème fondamental” à ce financement, même en douzièmes provisoires.

« Ministre de la misère »

L’opposition ne se dit pas convaincue. Elle a qualifié Anneleen Van Bossuyt de “ministre de la misère”, dénonçant aussi les retards de paiement pour 2025. Pour François Desquesnes (Les Engagés), ministre wallon des Pouvoirs locaux, ce vote “vient démentir ce que l’opposition racontait”. Contrairement aux appels au report de la réforme lancés par le PS et DéFI, le gouvernement fédéral a bien voté les compensations promises. Mais, dans ce contexte toujours incertain, le ministre wallon reste ferme : “Je veillerai à ce que les engagements fédéraux soient respectés et, à défaut, je demanderai la saisie du CODECO”, explique-t-il à Trends Tendances.

Ce vote de principe ne dissipe cependant pas toutes les incertitudes.

Risque n°1 : Les 26 millions de 2025 seront-ils bien versés ?

Premier test immédiat : le vote de jeudi concernait les compensations 2026-2029, pas l’enveloppe de préparation de 26 millions promises aux CPAS pour 2025 pour les soutenir dans les recrutements et aménagements nécessaires. François Desquesnes en explique la raison : “Tant que le projet de loi portant l’ajustement budgétaire n’aura pas été adopté, ces crédits ne pourront être engagés ni versés aux CPAS.” Le ministre wallon indique que “selon les informations son cabinet dispose, cette étape devrait être franchie d’ici la fin de l’année”. La ministre Van Bossuyt assure, de son côté, que l’arrêté royal débloquant la somme est prêt et sera adopté dès que le contrôle budgétaire 2025 sera voté. Celui-ci doit être examiné le vingt-six novembre en commission puis en séance plénière la semaine suivante. Car, si ces 26 millions ne sont pas versés, les CPAS devront accueillir les premiers exclus du chômage dès janvier sans avoir pu renforcer leurs équipes.

Risque n°2 : Les 300 millions suffiront-ils pour accueillir les exclus dès janvier ?

Deuxième zone d’incertitude : l’adéquation entre les 300 millions prévus pour 2026-2027 et les besoins réels sur le terrain. L’écart entre les estimations est important. Le ministre fédéral David Clarinval table sur environ un tiers des exclus qui solliciteraient les CPAS. La Fédération des CPAS bruxellois estime que 60 à 70% se présenteront aux guichets.

Un écart du simple au double qui change tout. Si la Fédération des CPAS a raison, les 300 millions votés jeudi s’avéreront largement insuffisants. Pour Bruxelles seul, cela représenterait 24.000 à 28.000 personnes supplémentaires, soit une augmentation de 38% du nombre de bénéficiaires du RIS.

Débloquer des moyens supplémentaires?

Interrogé sur les estimations wallonnes François Desquesnes reste prudent. Il indique avoir “sollicité une estimation auprès de l’administration (SPW IAS), publiée dans le Cahier des finances locales”, mais renvoie vers le niveau fédéral pour “disposer de chiffres plus précis”.

Les premiers mois de 2026 seront déterminants. Si le taux de recours aux CPAS se rapproche des 60-70% plutôt que des 33%, le gouvernement fédéral devra rapidement débloquer des moyens supplémentaires.

Risque n°3 : Les douzièmes provisoires tiendront-ils leurs promesses ?

Troisième inconnue : le mécanisme en douzièmes provisoires. La ministre Van Bossuyt assure que l’administration prépare “un dossier pour répondre aux obligations légales afin de garantir que ces lignes de crédit soient suffisamment alimentées”. François Desquesnes reste dans le flou. “Concernant les moyens fédéraux prévus pour 2026, nous ne disposons pas encore des éléments nécessaires pour en préciser la répartition dans l’hypothèse où le budget fédéral serait adopté sous le régime des douzièmes provisoires”, explique-t-il.

En clair : personne ne sait exactement comment les compensations seront techniquement versées si la Belgique fonctionne en douzièmes provisoires dès janvier. Van Bossuyt assure que c’est possible, mais le mécanisme concret reste à préciser.

Le Premier ministre Bart De Wever a certes affirmé jeudi que l’accord budgétaire pourrait être conclu avant Noël. Mais si les négociations échouent et que les douzièmes provisoires deviennent réalité, le premier versement de janvier 2026 sera le vrai test.

Francois Desquesnes – BELGA PHOTO BRUNO FAHY

Et si le fédéral ne paie pas,…

Face à ces trois zones de risque, François Desquesnes ne s’engage pas à ce que la Région wallonne avance les fonds en cas de défaillance du fédéral. “Quant à la possibilité d’avancer des fonds régionaux aux CPAS, il s’agit d’une décision qui relève du Gouvernement wallon dans son ensemble. Une telle mesure nécessiterait un ancrage budgétaire clair, dans le respect des règles de finances publiques. À ce stade, je ne peux donc pas m’engager au nom de l’ensemble du Gouvernement wallon”, précise-t-il.

En cas de défaillance du financement fédéral, le ministre prévient que “les communes pourraient toutefois être amenées, le cas échéant, à adapter leurs priorités budgétaires”. Une perspective peu réjouissante pour des communes wallonnes déjà sous pression, auxquelles le ministre impose par ailleurs des économies : suppression du 1% supplémentaire d’indexation du fonds des communes, réduction de 4,4% des APE communaux.

Des efforts wallons

François Desquesnes met néanmoins en avant les efforts wallons dans d’autres domaines : la réforme du financement des zones de secours qui devrait “soulager les budgets communaux par une participation plus importante des Provinces (120 millions à l’horizon 2030)”, et le maintien de l’indexation de 1% en plus pour le Fonds spécial de l’aide sociale qui “sécurise la trésorerie des CPAS”.

Il cite également les priorités fixées par le ministre Jeholet concernant “la (re)mise à l’emploi et l’accompagnement de qualité des personnes concernées”, avec pour objectif de “favoriser un retour rapide à l’activité”. Une stratégie qui, si elle fonctionne, réduirait la pression sur les CPAS.

Les prochaines semaines décisives

Le vote de ce jeudi a beau avoir levé une incertitude institutionnelle majeure, sur le terrain, les CPAS wallons et bruxellois restent dans l’expectative. Les prochaines semaines seront décisives : vote de l’ajustement budgétaire 2025 pour débloquer les 26 millions d’ici fin décembre, accord budgétaire fédéral avant Noël selon la promesse de Bart De Wever, et premiers versements effectifs dès janvier 2026. Les assurances de la ministre Van Bossuyt seront alors mises à l’épreuve des faits.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire