Vendre l’or des Belges serait une immense bêtise


La piste a été évoquée: on pourrait vendre une partie de notre or pour financer les dépenses en matière de défense. Le crédit de ce ballon d’essai reste limité, mais voici pourquoi ce serait de toute manière une mauvaise idée.
Depuis quelques semaines l’action de la Banque nationale de Belgique est en hausse, sur base d’une assomption douteuse : la Belgique, en recherche urgente d’argent, pourrait revendre une partie de ses réserves d’or, à un moment ou le métal fin est au plus haut puisque l’once d’or a dépassé les 3 .000 dollars.
Et comme la Banque nationale est une des très rares à avoir un actionnariat hybride – son capital est réparti entre l’Etat et les actionnaires privés – les spéculateurs estiment qu’une partie de la plus-value de cette vente d’or reviendrait aux actionnaires. Et dès lors, ils achètent l’action.
Une affaire d’Etat
Pourtant, par le passé, lors des ventes d’or précédentes, les actionnaires privés n’ont jamais pu bénéficier d’une partie de la plus-value. Ils ont entamé de longues et fastidieuses procédures, et ils ont perdu. Que les curieux se rapportent à la décision de la Cour d’Appel de Bruxelles de juin 2011, qui statue que le transfert intégral de ces plus-values à l’Etat est justifié. Il n’a pas été effectué parce que l’Etat est actionnaire, mais « en vertu de ses prérogatives de puissance publique, exercées dans le cadre de lois votées par le parlementé ». En gros, les réserves d’or sont détenues par la BNB en tant que réserve de change du pays. Il s’agit d’une affaire d’Etat, et les actionnaires privés peuvent danser sur leur tête.
Mais sur le fond, sur le fait que le gouvernement caresserait l’idée de vendre une partie de ces réserves, qui pèsent environ 227 tonnes, donc une vingtaine de milliards d’euros, on ne peut que conseiller à Bart de Wever d’y réfléchir à deux fois.
Car la hausse actuelle de l’or ne repose pas sur des considérations conjoncturelles. Si c’était le cas, cela pourrait relever en effet du cadre d’une bonne gestion de vendre un actif quand le cycle est haut, quitte à racheter quand le cycle est bas. Mais aujourd’hui, la hausse de l‘or est structurelle, car elle traduit un risque grandissant de profondes perturbations monétaires. L’or jouant comme une assurance, pour la Belgique et la zone euro, ce serait bien bête de se découvrir au moment où le risque d’orage augmente. Car une crise monétaire pourrait éclater en raison des problèmes du dollar, problèmes exacerbés par la politique de Donald Trump.
Les contradictions du dollar
La politique tarifaire des Etats-Unis place en effet le pays dans un paradoxe dont il est difficile de sortir. D’un côté, les tarifs douaniers sont inflationnistes – ils poussent vers le haut les produits étrangers offerts aux Américains- et renforcent la devise américaine. De l’autre pour aider les exportations américaines et renforcer l’emploi industriel (une promesse électorale de Donald Trump), les Etats-Unis devraient au contraire avoir un dollar faible. Mais en troisième lieu, pour financer une dette abyssale, Washington a besoin de continuer à attirer l’épargne étrangère et donc, d’avoir un dollar crédible, autrement dit pas trop faible.
Le plan américain pour résoudre ces contradictions consiste à forcer les alliés, ou du moins ce qu’il en reste, à acheter des obligations quasi perpétuelles du trésor américain, qui n’aurait donc pas à les rembourser, en échange d’une exemption de tarifs douaniers. Cela permettrait d’avoir à la fois un dollar faible aidant les entreprises exportatrices, tout en continuant à bénéficier de financements émanant d’Asie et d’Europe.
Vendre son parapluie quand il pleut
Cette belle idée repose sur le fait que les Etats-Unis ont déjà réussi à mobiliser leurs alliés par le passé pour orchestrer une dévaluation du dollar et soutenir leur économie. On était en 1985 et l’accord du Plaza avait réuni, autour de l’Oncle Sam, la France, le Japon, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Mais rééditer les accords du Plaza est bien plus difficile aujourd’hui. Les alliés ne le sont plus, en raison de la guerre commerciale, territoriale et géostratégique ouverte déclenchée par un pays qui revendique les terres du Groenland et du Canada, qui cherchent des accords avec la Russie au détriment des intérêts fondamentaux de l’Ukraine et de l’Europe et qui désire imposer des tarifs douaniers à la terre entière, pensant ainsi pouvoir supprimer l’impôt pour ses résidents.
Dès lors, nous sommes au-devant de grandes turbulences monétaires. Une crise du dollar se traduirait en effet mécaniquement par un choc sur le commerce et la finance mondiale. Et si l’on y pense, vendre ses réserves d’or dans ce contexte – alors que les pays qui réfléchissent, de la Pologne à la Chine, reconstituent, eux, leurs réserves – est au mieux un acte inconscient, au pire une action irresponsable, et dans tous les cas, une grosse bêtise.
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