Arnaud Zacharie: “Ne sacrifie-t-on pas l’avenir?”


“Nos gouvernements sont des poules sans tête qui sautent d’une crise à l’autre”, déplore Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD 11.11.11. Oui, il faut réinvestir dans la défense, mais on oublie la diplomatie et le développement.
Est-ce souhaitable d’investir massivement dans la défense ? Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD 11.11.11, coupole des ONG en Belgique, reconnaît l’importance de répondre au bousculement géopolitique actuel en renforçant nos armées. Pour autant, il estime que la réponse européenne massive, sur papier du moins, est peut-être disproportionnée. Surtout, elle ne s’intègre pas dans une vision plus large impliquant les trois dimensions en D : défense, diplomatie, développement.

“En soi, le sursaut est bénéfique car la menace russe est réelle, entame-t-il. Mais il est clairement exagéré si l’on compare le niveau de richesse de l’Union européenne à la Russie. Cela dit, nous évoquons fort justement depuis les années 1950 l’importance de construire une Europe de la défense : il est positif d’utiliser le momentum créé par la réélection de Trump pour avancer dans cette direction.” Selon lui, il n’est pas question de dénoncer une hystérie comme le font les extrêmes de droite et de gauche. En revanche, on peut se demander si la réponse est bien calibrée.
Un besoin de stratégie globale
“Nous sommes en train d’additionner des volumes financiers qui sont parfois délirants, y compris en Belgique, estime Arnaud Zacharie. Les responsables de l’Arizona disent aujourd’hui que l’on doit faire en un an l’effort militaire qu’ils voulaient accomplir en quatre ans alors que des mesures d’austérité sont déjà sur la table. Oui, il faut une défense commune et des moyens financiers, mais cela nécessite une stratégie. Or, pour l’instant, on parle uniquement de montants qui s’additionnent.”
La stratégie en question, estime-t-il tout d’abord, devrait consister à se demander comment ces milliards vont être utilisés. “Va-t-on encore acheter du matériel américain alors que les États-Unis sont désormais plus durs avec leurs amis qu’avec leurs ennemis ? Ne doit-on pas retenir la leçon de ce fameux dossier des F-35 dont l’utilisation pourrait être suspendue à la volonté des Américains ?”
Mais la démarche doit, en outre, dépasser le court terme et le seul enjeu militaire. “Dans le domaine international, on parle de triple nexus ou d’approche globale, souligne Arnaud Zacharie. Qu’est-ce que cela signifie ? Il est question des trois D : défense, diplomatie et développement. Si l’on croit que nous stabiliserons l’ordre mondial uniquement avec des armes, on fait fausse route. Il faut certes avoir un moyen de coercition pour être crédible dans le rapport de force. Mais il faut également des capacités diplomatiques et on sait comment avec 27 pays, c’est très compliqué de parler d’une seule voix au niveau européen. Et il faut évidemment des moyens pour le développement.”
“Si l’on croit que nous stabiliserons l’ordre mondial uniquement avec des armes, on fait fausse route.” – Arnaud Zacharie (CNCD 11.11.11)
Un horizon est bouché
L’horizon ne peut pas se limiter à former des enfants soldats, insiste le secrétaire général du CNCD 11.11.11. “Que va-t-on faire de toutes les populations sans perspectives et, comme on le voit déjà dans le Sahel, dont la seule opportunité de job consiste à rejoindre un groupe rebelle ou djihadiste ?”
L’horizon est bouché car, dans le même temps qu’ils investissent dans la défense, les gouvernements des pays riches font des coupes sombres dans l’aide au développement, un secteur qui représente 300 millions d’euros en Belgique. Partout, l’objectif fixé par les Nations unies d’atteindre 0,7% du PIB est largement abandonné. Chez nous, les tableaux budgétaires de l’Arizona publiés lors des négociations illustrent bien le renoncement en matière de coopération. Aux États-Unis, le milliardaire Elon Musk a entamé son travail en faveur de l’efficacité gouvernementale en suspendant purement et simplement l’USAID, l’instrument de coopération américain, l’un des plus puissants vecteurs de développement dans le monde.
“Cela s’inscrit dans un mouvement plus large porté par l’extrême droite et le national-populisme qui s’en prend à toute une série de cibles dont la sécurité sociale, l’aide au développement ou le monde de la culture, s’insurge Arnaud Zacharie. La droite modérée est en train d’avaler cet agenda en se tirant une balle dans le pied parce qu’elle part du principe qu’aucun pays ayant reçu de l’aide ne s’est développé. Ses représentants sont visiblement très mal informés puisque depuis le début des années 2000, la liste des pays à faible revenu a été divisée par près de deux. Pas moins de 31 pays sont sortis de l’extrême pauvreté ! Cette suspension de l’USAID va créer plus d’inégalités, plus d’insécurité, plus d’instabilité. Et quand on aura besoin des moyens nécessaires pour pouvoir agir dans l’urgence, parce que cela reviendra, il n’y en aura tout simplement plus…”
“Des poules sans tête”
“Nos gouvernements, prolonge ce docteur en économie, sautent d’une crise à l’autre avec chaque fois une guerre de retard. Il y a une pandémie : où sont nos masques ? Puis il y a l’invasion de l’Ukraine par la Russie: où est notre gaz ? Ensuite, il y a une réélection de Trump : où sont nos armes ? Ils se focalisent uniquement sur le problème à court terme, en en créant de nouveaux. Ce sont des poules sans tête.”
L’autre cible de cette période guerrière et compétitive, ajoute-t-il, ce sont les régulations environnementales. “Pour soutenir la compétitivité, on nous dit qu’il faut libérer les entreprises de ces contraintes environnementales. Mais quand il y aura une crise climatique demain, on se demandera où sont nos énergies renouvelables. Or, le Green Deal fonctionne : en 2024, pour la première fois, les énergies renouvelables ont dépassé les énergies fossiles pour la production d’électricité en Europe.” Arnaud Zacharie souligne, en outre, que bien des entreprises s’investissent corps et âmes dans la transition, un coup d’arrêt risque de leur porter préjudice.
Cet élan vers le zéro carbone est une force de l’Europe au même titre que la protection sociale. “Quand on se compare aux États-Unis, nous mettons souvent en avant nos faiblesses comme le fait de ne pas avoir de géants de la tech ou de voir notre compétitivité baisser, dit-il. Oui, mais il y a moins d’inégalités chez nous, notre service de santé fonctionne mieux, l’espérance de vie augmente alors qu’elle diminue aux États-Unis et l’empreinte carbone des Européens est moindre. C’est important aussi de construire sur nos forces. En les démantelant, on se tire une balle dans le pied.”
Restructurations et perte de moyens
Le porte-parole des ONG attend désormais le résultat des pourparlers budgétaires en Belgique. Son secteur redoute fortement des restructurations en raison de la perte de moyens. “C’est une chose, mais le plus regrettable, c’est de devoir arrêter des projets qui fonctionnent dans le domaine de la santé ou de la démocratie, soupire leur porte-parole. Nous soutenons beaucoup d’organisations de la société civile qui se battent pour leurs droits constitutionnels ou leurs libertés. Nous avons tendance à oublier que nos pays libres ne représentent qu’une minorité et bien des gens se battent dans le monde en risquant leur vie au quotidien.”
C’est le cas aussi en Ukraine, face à la menace russe. Notre époque est source de bien des dilemmes. Entre défense, diplomatie et développement, on ne devrait pas devoir choisir.
300 millions – En euros, lapart du budget alloué à l’aide au développement en Belgique.
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