Paul Vacca
“Et si l’on trouvait un vaccin contre la bêtise?”
On a beaucoup parlé vaccin ces temps-ci. L’occasion de découvrir qu’il faut beaucoup de temps pour en produire un.
Même avec des moyens illimités (l’engagement de l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques dans la course au vaccin, les bourses déliées des mécènes milliardaires, les incitations des Etats) et en procédure d’urgence, on s’aperçoit qu’il existe des délais incompressibles. L’élaboration d’un vaccin obéit à certaines étapes incontournables de sa mise au point en laboratoire jusqu’à sa commercialisation à grande échelle, en passant par les phases d’expérimentation et de validation. Avec des aléas à chaque étape. D’où le flou compréhensible qui entoure tout pronostic quant à la production d’un vaccin. D’autant que persistent de trop nombreuses inconnues rendant le virus rétif à une mise en équation. Au point que certains experts doutent que l’on soit même en mesure un jour de trouver un vaccin contre le Covid-19… Bref, les scientifiques dans leur ensemble manquent encore de recul sur ce virus tout récent. Et le temps constitue le nerf de la guerre. Une course contre la montre qui libérerait tout le monde.
En revanche, il y a un vaccin qu’en toute logique, on aurait dû être capable de produire depuis un moment déjà. Contre un virus diagnostiqué pour sa part depuis belle lurette et examiné à la loupe depuis des siècles par de nombreux experts. Selon Aristote, il serait contemporain de la préhistoire et pour saint Augustin, il daterait du temps du péché originel. C’est dire si on avait le temps d’établir un protocole. Ce virus, c’est la bêtise.
A voir le nombre de personnes se plaindre du fléau de la bêtise et déplorer son taux de reproduction en croissance constante, on se dit qu’un tel vaccin serait accueilli avec bonheur. Un test a même été mis au point, il y a environ un siècle, pour distinguer les personnes saines des personnes porteuses du virus : on a appelé cela le QI, pour quotient intellectuel. Toutefois, ses résultats ne se révèlent pas d’une fiabilité à toute épreuve. Malgré sa sophistication croissante, ses résultats sont discutables. Certaines personnes a priori parfaitement immunisées contre le virus de la bêtise selon le test (avec un quotient intellectuel supérieur à 100) développent malgré tout des symptômes similaires – voir plus graves – que ceux des prétendus porteurs du virus. De même que certains individus testés positifs se révèlent parfaitement asymptomatiques et mènent des carrières plus brillantes que les QI supérieurs prémunis.
Mais faisons l’hypothèse d’un monde où ce vaccin contre la bêtise existerait. Par définition, nous serions tous, sans exception, devenus intelligents. Partout, sur les réseaux sociaux, en famille, dans l’entreprise et même jusqu’au sommet de l’Etat – bref, dans tous les anciens ” clusters ” à bêtise -, on deviserait sereinement, rivalisant de réparties brillantes avec des échanges constructifs. Une pensée pure soufflerait en toute liberté sans l’obstruction d’aucun parasite.
Mais ce vaccin nous libérerait-il comme le ferait celui contre le Covid-19 ? Pas si sûr. Sitôt libérée de la bêtise, l’intelligence, à force d’être partout, ne serait peut-être plus nulle part. Très vite, il est à parier qu’un manque se ferait sentir. Dans un milieu parfaitement immunisé à la bêtise, exempt de toute forme d’anticorps, on se rendrait vite compte que quelque chose se serait perdu dans l’opération. L’intelligence serait pure certes, mais artificielle, ressemblant alors à celle qu’est capable de produire une machine. Il manquerait ce je-ne-sais-quoi, cette étincelle du ridicule ou ce facteur d’imprévisibilité dans l’essence même de la bêtise, qui permet à l’intelligence de pleinement se développer. Et parfois même de se hisser au niveau du génie.
Et aujourd’hui, ce n’est pas tant un vaccin contre la bêtise qu’il nous faudrait, qu’utiliser la bêtise comme un vaccin (à dose infinitésimale donc, pas comme certains qui en abusent, outre-Atlantique notamment) contre une intelligence toujours plus mécanique, normée et quantifiée par les tests.
La bêtise, c’est la face cachée du génie humain, cet élément incontrôlable qui résiste à la machine. Nos plus grandes réalisations humaines – la liste est longue, de l’eurêka d’Archimède à l’invention du laser – sont toutes le fruit de l’intervention terrestre et intempestive de la bêtise. Sans l’aiguillon têtu de la bêtise, aurait-on jamais eu Picasso, Molière, Steve Jobs ou Einstein ?
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