Entretien exclusif avec Bart De Wever: “Je ne crois plus aux réformes fédérales. Ce sera sans moi”
Dans ce pays, il n’est plus possible de former un gouvernement fédéral capable de sauver notre prospérité. Et je suis très clair sur ce sujet : ce sera sans moi. Le président de la N-VA souhaite avec la campagne ‘Voor Vlaamse Welvaart’ (“Pour la prospérité de la Flandre”) convaincre suffisamment d’électeurs pour pouvoir mettre un accord confédéral sur la table. “Les perspectives économiques ne me réjouissent pas. Le Premier ministre Alexander De Croo se paie une carrière sur la prospérité de la Flandre”
La semaine dernière, le gouvernement belge s’est encore fait taper sur les doigts par la Commission européenne parce que notre budget s’enfonce trop profondément dans le rouge. Un déficit de 4,9 % se profile pour l’année prochaine. Dans la zone euro, seule la Slovaquie fait pire. Le mois dernier, le Fonds monétaire international a également mis en garde contre le dérapage des dépenses. Selon le FMI, l’économie belge connaîtra une croissance annuelle moyenne de 1,2 % au cours des cinq prochaines années. Parmi les pays industrialisés, seuls le Japon et l’Italie s’en sortiraient moins bien. Pas de quoi tenir éveillés les partis du gouvernement Vivaldi: la croissance n’est pas trop mauvaise, le pouvoir d’achat est préservé, l’inflation est sous contrôle.
Le président de la N-VA, Bart De Wever, est tout sauf impressionné: “La Belgique, c’est un peu comme le film “Le jour de la marmotte“, une éternelle répétition de la même chose. À chaque crise, le gouvernement fédéral se félicite que les stabilisateurs automatiques atténuent la crise. Lors de la crise du covid, par exemple, on a tellement jeté d’argent par les fenêtres que ce n’était pas beau à voir. “Et je sais ce qui va suivre. Les gens dans le secteur de l’industrie s’attendent à ce que, en 2025-2026, après les élections, nous payions l’affaiblissement de la compétitivité. En attendant, je lis des interviews hallucinantes où des pointures de la Vivaldi s’extasient sur leur magnifique bilan. Ils ont en effet, mieux que quiconque, augmenté les allocations et les salaires minimum. Ils ont aussi protégé le pouvoir d’achat par le biais de l’indice. Mais avez-vous vu les prévisions de croissance pour la Belgique ? Elles sont les plus faibles de toute l’OCDE. Notre budget est aussi peu étanche qu’un panier et structurellement bancal. Avec la France, nous sommes l’homme malade de l’Europe, avec les dépenses publiques et les impôts les plus élevés et le déficit le plus important. Nous sommes, pour la énième fois, juste prêt à nous prendre une baffe”.
Quelles sont les priorités du prochain gouvernement ? Réduire les dépenses ? Renforcer la compétitivité ? Une réforme fiscale ? Cela fait déjà trois.
“Et puis vous n’avez pas parlé de l’institutionnel. C’est encore une fois l’éternelle répétition de la même chose. Est-ce l’institutionnel ou l’économique qui sera une priorité ?”
Ou les deux ?
“En fait, j’ai perdu toute confiance dans la possibilité de réaliser des réformes dignes de ce nom au niveau fédéral. La coalition suédoise (de 2014 à 2018 avec N-VA, cd&v, Open Vld et MR, nvdr) n’a pas été un retentissant succès, mais des pas ont été faits dans la bonne direction. La coalition Vivaldi a en peu de temps tout détruit. Je ne crois plus au niveau fédéral. Je vois aussi les sondages. Les chances de réaliser une politique économique de centre-droit, d’inspiration libérale, sont tout simplement nulles. Il y en a toujours un pour cracher dans la soupe. Dans le gouvernement suédois, c’était Kris Peeters pour le cd&v. Pas besoin d’une suite à cette histoire”.
Pouvez-vous encore trouver des partenaires pour une politique de relance ?
“Nous n’allons pas trouver un partenaire avec suffisamment de sièges pour y parvenir. Surtout quand je vois à quel point le PS est harcelé par le PTB. Je veux dire très clairement à votre lecteur et à l’électeur : ce sera sans moi. Vous ne pouvez plus former un gouvernement fédéral dans ce pays qui puisse sauver notre prospérité. Ce qui n’empêche pas qu’on devra de toute façon réparer les dégâts. Un nouveau plan global, comme le préconise Wouter Beke (cd&v), n’est d’ailleurs peut-être pas si insensé. Vous ne pouvez pas promettre une baisse des impôts, compte tenu du déficit et de l’augmentation des coûts liés au vieillissement. Il faut établir un plan décennal pour stabiliser la croissance des dépenses de sécurité sociale et protéger la compétitivité. Les travailleurs doivent passer en premier. En fait, vous devez détricoter immédiatement tout ce qu’a fait la Vivaldi.
Les socialistes adorent les crises, car elles nous permettent de dépenser de l’argent”
Peut-être qu’un prochain gouvernement fédéral, sous la pression de l’Europe, parviendra à faire quelque chose. Ou si les rendements des obligations d’État belges augmentent suffisamment.
“Ce n’est qu’alors que le PS bougera. Fin 2013, lorsque les taux d’intérêt à long terme sur les emprunts d’État belges ont explosé, Elio Di Rupo était terrifié à l’idée d’un effet boule de neige par lequel la hausse des taux d’intérêt grignoterait toute la marge de manœuvre politique. Mais tant que les taux d’intérêt sont sous contrôle, le PS rêve d’une inflation qui grignoterait la dette et les actifs. En Flandre, nous regardons les chiffres avec une perspective nord-européenne, mais le président du PS, Paul Magnette, ne s’inquiète pas des déficits publics et de l’inflation. Au contraire, cela le rend heureux. Il me l’a dit ici même. À l’été 2020, alors que j’étais à bout de nerfs et que je savais que nous devions prendre des mesures drastiques, il s’est mis à rire. Les socialistes adorent les crises, car elles nous permettent de dépenser de l’argent”, a-t-il déclaré. Il est impossible pour moi d’envisager encore quoi que ce soit avec ce genre de gens. La seule chose qui peut les faire bouger, c’est un croquemitaine venu de l’extérieur. La Commission européenne est à nos portes, nous verrons si nous nous retrouvons sur la touche à cause de nos chiffres budgétaires dans le rouge. Même les pays du Club Med s’en sortent mieux. Je ne peux qu’espérer que les électeurs du Nord pays regarderont ces chiffres”.
La N-VA parle d’un changement institutionnel majeur, mais dans quelle mesure Bruxelles et la Wallonie veulent-elles y participer ? Une sécurité sociale financée par la Flandre reste leur assurance-vie.
“C’est vrai. L’enthousiasme du Sud pour la réforme institutionnelle ? You’ll find more cheer in a graveyard. Magnette l’a dit en 2020 : il faut maintenir le statu quo le plus longtemps possible. Aussi longtemps que possible, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils perdent le Nord, au sens propre comme au sens figuré. J’espère que ce sera l’année prochaine. Mais seul l’électeur flamand en décidera. Les paramètres belges sont terribles, mais il faut regarder les autorités régionales dominées par les francophones. Dans l’actualité aujourd’hui : Charleroi est en faillite. Anvers, en revanche, peut réduire les impôts. Pendant ce temps, la Cour des comptes ne valide même plus les comptes de Bruxelles. Les socialistes francophones ont de la chance que Belfius ait été nationalisé, sinon ils n’obtiendraient plus beaucoup de crédit.”
Vous ne trouverez donc plus de partenaire dans le sud ?
“Le MR est idéologiquement proche de nous, mais il se cramponne toujours à la Belgique. Il risquerait sinon d’être noyé dans la mer Rouge. Je ne peux donc rien faire avec lui sur le plan institutionnel.”
Un blocage complet, donc ?
“C’est en gros ce qui se passe. Je l’ai déjà dit de manière fort peu sympathique, mais je le pense : je souhaite que les vivaldistes se ramassent. C’est ce qu’ils méritent, surtout l’Open Vld. On peut tromper les électeurs. On peut les tromper au carré. Et on peut les tromper, comme c’est le cas aujourd’hui, au carré avec encore bonne couche de crème fraiche par dessus. Guy Verhofstadt n’était qu’un tricheur, Alexander De Croo va bien plus loin. Il se paie une carrière sur la prospérité de la Flandre. Si vous voulez qu’un membre de l’Open Vld prenne ses jambes à son coup, il suffit de dire : quelles sont les trois réalisations les plus importantes de Vivaldi ?
Pouvons-nous donner au sud du pays le temps financier nécessaire pour rendre un accord possible ?
“En 2019, c’était sur la table. Sauf qu’aujourd’hui je ne pense plus que c’est possible. La Flandre ne peut plus accorder de crédit pont. Le PS va demander à l’étaler sur plusieurs générations, je le connais bien. Ça ne va pas, hein. L’accord de 2020 avec Magnette consistait à préparer le passage au confédéralisme. Par ailleurs, l’accord sur la table était évidemment impayable. Parce qu’il comprenait à la fois l’agenda du PS et de la N-VA : une augmentation des dépenses et une réduction d’impôts. Cet accord devait être peaufiné. Le même accord ne sera pas sur la table l’année prochaine. Mais, en 2020, la mécanique était claire. Vous effectuez un virage confédéral en réduisant effectivement les pouvoirs et les budgets. Chaque État peut alors mener des politiques socio-économiques avec ses propres priorités. C’est pourquoi j’espère que la situation politique dans le Nord sera claire : les résultats des élections devraient permettre de dire que la partie est terminée. Qu’il n’y a plus de majorité qui veut maintenir le statu quo”.
Avez-vous lu le livre du secrétaire d’Etat PS Thomas Dermine ? Il dit que la Wallonie ne pourra jamais suivre la Flandre.
“Je pense que la Wallonie peut facilement suivre le rythme de la Flandre. Regardez ce que certains pays d’Europe de l’Est ont réalisé depuis les années 1990. J’ai passé des vacances dans les États baltes. L’Estonie fait preuve d’un dynamisme économique impressionnant et d’un optimisme incroyable. D’autant plus quand on voit d’où ils viennent après tant d’années d’occupation soviétique. Si je peux comparer le PS à une occupation soviétique, il suffit de se libérer de l’occupant. Beaucoup de choses sont alors possibles. Mais dans le contexte belge, la Wallonie ne sera jamais en mesure de le faire. Ne serait-ce que parce que l’indexation des salaires les oblige à payer des salaires que leur économie ne peut pas supporter. Et parce que la sécurité sociale offre des prestations qui ne motivent pas la recherche d’un emploi. Le hamac est là, alors il ne faut pas se plaindre que certains s’y allongent. La vie confortable, dit Magnette. Mieux vaut aller à la pêche quand on est encore jeune que d’attendre d’être à la retraite. Je n’invente rien, n’est-ce pas ? Dermine est un McKinsey-boy ; je le soupçonne d’écrire des choses qu’il sait être fausses. Mais il est intelligent et il faut reconnaître que tout semble bien ficelé. Sauf que ce qu’il écrit n’est que pure absurdité, désolé”.
Je me fais tout de même l’avocat du diable pour un moment. Entre 2015 et 2019, le taux de croissance moyen de la Belgique a été de 1,8 % par an, contre 2 % pour la zone euro. Depuis 2020, l’économie belge croît légèrement plus vite que celle de la zone euro, à l’exception de 2022. Vivaldi a-t-il bénéficié de la politique du gouvernement suédois ?
“C’est un éternel paradoxe. En général, le successeur récolte les fruits du travail réalisé en amont. Et ce sera au successeur de la Vivaldi de résoudre sa misère. Les prévisions sont mauvaises. Du coup les gens commencent à parler du modèle belge et à dire que la coalition suédoise était pire. C’est absurde, mais l’absurde mène loin dans la rue de la Loi. Si on pouvait cuisiner des conneries, les électeurs seraient rondouillards”.
Avez-vous encore envie de “faire le ménage” ?
“C’est toute la question. Nous sommes face à un mur, n’est-ce pas ? Les coûts du vieillissement augmentent tellement que tout nettoyage est immédiatement épuisé. Il n’est plus possible d’assainir sans douleur.”
Le fardeau du vieillissement tend en effet à être supporté principalement par le gouvernement fédéral.
“J’ai une solution intéressante pour y remédier. Diviser la sécurité sociale. À court terme, la Flandre devra alors faire face à des coûts de vieillissement plus importants que la Wallonie. Cela ne me pose aucun problème. Ce ne sera pas très agréable, mais nous devons prendre nos responsabilités.
Pour vous, gouverner avec le Vlaams Belang reste un pont trop loin ?
“Au niveau fédéral, cela ne risque pas de se présenter parce que le Vlaams Belang ne veut pas monter au niveau fédéral. Or ce que j’appelle le trèfle à quatre feuilles du mécontentement de la population – la migration, l’énergie, le travail rémunérateur et le budget – doit être abordé au niveau fédéral. Ou bien il faut réformer le niveau fédéral pour pouvoir résoudre ces problèmes au niveau flamand. Je ne vois donc pas comment le Vlaams Belang peut être un allié dans cette histoire. Ce parti prêche une révolution qui n’est que pure fantaisie. Sa stratégie est infantile. M. Van Grieken a marché de la mer à Bruxelles. Sur le chemin, il y avait 1 500 personnes. J’ai déjà vu 800 000 Catalans marcher, mais ils ne sont toujours pas indépendants pour autant. Le Vlaams Belang est un succès, mais on ne peut rien en tirer. Rien. Le paradoxe est que chaque vote pour le Vlaams Belang ouvre la voie pour une nouvelle Vivaldi II et au statu quo. Nous ne pouvons pas arrêter Vivaldi II depuis la Flandre puisque tous les partis francophones souhaitent soutenir un tel gouvernement. Il y aura donc toujours des candidats en Flandre pour rendre Vivaldi II possible. Il suffit de trouver un imbécile qui veuille devenir premier ministre. Il y en a déjà un. Qui dit qu’il n’y aura pas de nouveau candidat en 2024 ? Le Vlaams Belang peut obtenir la majorité absolue en Flandre, cela n’empêchera pas une Vivaldi II. Le cri sera “tous ensemble contre l’extrême droite”. Donnez-leur alors le lubrifiant nécessaire pour former Vivaldi II sous les applaudissements nourris de De Standaard, De Morgen et de la presse internationale. Le Nord deviendra une colonie à part entière”, dirai-je alors. On me rétorquera : ‘C’est ça la démocratie, mon ami'”.
Vivaldi II devra alors supporter les conséquences de la politique de Vivaldi I.
“Est-ce que cela va suffire à me consoler durant cinq ans ? Nous perdrons une partie de notre prospérité. C’est l’avantage d’être socialiste. La misère est leur fonds de commerce. Ils ne perdent pas les élections quand les choses vont mal. Un socialiste aime la misère”.
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