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Emmanuel Macron doit encore gravir une dernière marche
Le mauvais commentateur essaie souvent de retirer d’une simple image des significations profondes. Pour lui, une poignée de main chaleureuse entre deux chefs d’État signifie nécessairement une relation d’amitié profonde entre deux pays. Et le sourire d’un premier ministre signifie nécessairement qu’il est content de l’accord qui a été conclu.
Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à un second mandat présidentiel, nous allons pourtant nous focaliser sur les images des personnes qui étaient rassemblées hier soir sur le Champ-de-Mars, en face de la tour Eiffel, pour fêter la victoire. Ces images ne montraient pas une foule bigarrée en liesse, comme on en avait pu voir lors d’autres élections : celle de Mitterrand en 1981, celle de Chirac contre Le Pen (père), celle de Sarkozy ou celle du Macron contre Le Pen (fille) en 2017. On y voyait surtout des groupes de militants, de ministre, d’affidés, s’essayant à danser avec plus ou moins de souplesse et d’entrain sur la playlist d’un DJ dont la chaîne YouTube comptait 9 (neuf)abonnés. On se déhanchait en attendant le discours du gagnant.
Le discours, que l’équipe de communicants d’Emmanuel Macron annonçait important et prometteur, était finalement très convenu : remerciement aux électeurs et aux militants, appel au rassemblement du pays, conscience de la responsabilité du président face aux désirs des citoyens, promesse d’un nouveau projet (mais lequel ?). Et lorsque la voiture présidentielle a quitté le lieu du meeting, les rues de Paris que balayaient les caméras des paparazzi paraissaient bien vides.
Un gagnant sans majorité
Ces images montrent la difficulté à laquelle se trouve désormais confronté le nouveau Président français. Il a gagné, largement, face à Marine Le Pen, emportant près de 59% des suffrages. Mais il n’a pas emporté les foules. Avec une abstention qui a atteint 28%, Emmanuel Macron n’a été élu qu’avec 48% des électeurs…
Le Rassemblement National, battu, gagne 2,7 millions de voix par rapport au 10 millions emportée il y a cinq ans, soit 7% de plus qu’en 2017, lorsque le score de Marine Le Pen au second tour n’était que de 33,9%. L’écart entre l’extrême droite et le camp du président sortant s’est réduit de moitié. Le courant nationaliste-populiste est désormais bien installé dans le paysage politique français.
Souvent, on dit en France que le Président nouvellement élu bénéficie de cent jours d’état de grâce. Un moment qui permet à son camp de remporter facilement les élections législatives qui viennent peu après et donc d’avoir une majorité apte à exécuter sa politique. Beaucoup de commentateurs, en France, semblent gratifier Emmanuel Macron de la même dynamique. Mais on se permettra de ne pas en être si sûr.
On a rarement vu hier, à l’issue du scrutin, de battus aussi combattifs et prêts réellement à en découdre pour gagner cette troisième mi-temps législative qui aura lieu les 12 et 19 juin. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sonnent le rassemblement des troupes, reprennent contact avec des partis concurrents hier, mais peut-être alliés potentiels demain. On discute activement d’alliances. Éric Zemmour fait du pied à Marine Le Pen qui fait du pied aux Républicains, dont on sait qu’une partie se verrait bien “rompre le cordon sanitaire” pour revenir au pouvoir.
Le patron de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon et les écologistes travaillent à une plateforme commune, et certains socialistes, comme Ségolène Royal, en appellent à une vaste union de la gauche autour du leader insoumis. Le paysage politique semble plus que jamais figé autour de trois blocs irréconciliables: Macron, la droite populiste et la gauche extrême.
Casse-tête français
Sans dynamique présidentielle, on pourrait avoir une France difficilement gouvernable, sans véritable majorité au parlement, et avec une très grande difficulté à former un gouvernement. La constitution française donne en effet Président le pouvoir de nommer le Premier ministre et de dissoudre l’assemblée. Le Premier ministre a le pouvoir de nommer son gouvernement, et il en “dirige l’action”. L’assemblée a le pouvoir de renverser le gouvernement. Dans les faits, le Premier ministre que nomme le président a la même couleur que celle qui domine l’assemblée. Mais quid s’il y a trois couleurs rétives au mélange et qui veulent chacune être prépondérante ? Cela vire au casse-tête.
Le Président Macron pourrait nommer quand même un premier ministre de son cru qui lui-même constituerait son gouvernement. Mais il risque de ne pas tenir longtemps, renversé par l’assemblée. On pourrait voir certains députés de gauche ou de droite finalement rejoindre le camp présidentiel, mais c’est hypothétique, cela risque de ne pas suffire pour construire une majorité et c’est très risqué pour les élus qui tourneraient casaque. Le président pourrait dissoudre l’assemblée et convoquer à nouveau les électeurs ? Mais c’est une manoeuvre très risquée, qui pourrait cliver un peu plus encore le paysage et déforcer un parti présidentiel sur lequel l’électeur verserait sa rancoeur.
Le président pourrait, constatant l’impossibilité de gouverner le pays, convoquer le parlement en congrès pour modifier la constitution et par exemple, comme Emmanuel Macron l’a souvent évoqué, imposer une dose plus grande de proportionnelle dans la vie politique. Mais la France est-elle prête à vivre dans un régime proportionnel à la belge, où la politique se fait par compromis et renversement d’alliance et où les discussions peuvent être si difficiles que l’on peut vivre sans gouvernement pendant 589 jours ?
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