À la tête d’un département qui fait office de bastion libéral depuis deux décennies, la fille de Jacques Simonet élabore un plan pour les PME dont elle dévoile les grandes lignes. “Nous ne vivons pas en vase clos”, précise-t-elle : un volet de soutien sera prévu face aux conséquences de la guerre commerciale. La jeune ministre est “dépitée” du blocage bruxellois, mais mène la chasse contre le blanchiment d’argent par le narcotrafic.
C’est la benjamine de la classe, mais elle a déjà tout d’une grande. Ministre à 27 ans, Éléonore Simonet fait preuve de maturité dans le département historiquement libéral des Classes moyennes, des Indépendants et des PME. Avec le sursaut nécessaire en matière de défense, la guerre commerciale décrétée par le président américain, Donald Trump, et les fusillades à Anderlecht, elle n’a pas le temps de chômer. Entretien.
TRENDS-TENDANCES. Ministre à 27 ans, quel sentiment cela donne-t-il ?
ÉLÉONORE SIMONET. C’est vertigineux. Votre vie change en un coup de fil de votre président de parti. J’étais députée régionale et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, après m’être présentée pour la première fois aux élections en juin 2024. J’étais à l’avant-dernière place, mais j’avais décidé de m’y mettre à fond. Le projet libéral, j’ai été baigné dedans, mais je l’ai forgé aussi par moi-même. Je m’engageais pour l’attractivité économique, la mobilité, la sécurité… De là à me dire que sept mois plus tard, je recevrais un coup de fil à minuit pour prêter serment à 7h du matin, il y a un pas.
Vous avez hésité ?
Je n’ai absolument pas hésité parce que Georges-Louis Bouchez était très clair. Il m’a dit que j’en avais les capacités et que j’étais indépendante – j’étais avocate au barreau de Bruxelles, et je le reste… Ce portefeuille des Classes moyennes, des Indépendants et des PME, est bien tenu par les libéraux depuis plus de 20 ans. Je ne risquais pas de trouver des cadavres dans le placard. Je me suis tout de suite mise au travail, déterminée.
Vous êtes la fille de Jacques Simonet, qui fut ministre-président bruxellois. Cela a-t-il résonné dans votre tête à ce moment-là ?
Je suis la troisième génération de Simonet. Mon père est mort en juin, il y a 18 ans, alors que je n’avais que neuf ans. C’est le dernier ministre-président bruxellois libéral en date et bourgmestre d’Anderlecht. Mon grand-père, Henri Simonet, fut lui aussi bourgmestre, ministre des Affaires étrangères et commissaire européen. À la maison, nous avons toujours discuté politique. J’ai vu mon père très investi pour l’intérêt général. Ma madeleine de Proust, c’est de le voir rentrer trempé comme une soupe après des heures de porte à porte. Je suis fière de perpétuer ce qu’il a fait, même si la politique a changé, bien sûr, et que je suis contente de participer à un renouvellement des cadres. Me mettre au service de l’État et des Belges, c’est un immense honneur.
Les PME et les indépendants, c’est le vivier de l’économie ?
Il y a environ 1,167 million de PME en Belgique et 1,3 million d’indépendants. C’est l’épine dorsale de notre économie, oui. Cela représente 99,4% des employeurs dans le secteur privé. Depuis 2003, avec Sabine Laruelle, nous avons entamé un chemin pour revaloriser le statut social des indépendants, notamment en matière de pensions, de statut, de congé parental… Mais il reste beaucoup de chose à faire. La question de la simplification administrative est cruciale aussi : 55% des entrepreneurs disent que les charges administratives représentent le premier obstacle qu’ils rencontrent. Un indépendant doit pouvoir être sur le terrain, innover et, si l’on veut atteindre 80% de taux d’emploi d’ici 2030, avoir un cadre favorable pour qu’il puisse recruter.
L’accord de gouvernement va dans ce sens…
L’esprit d’entreprendre et la compétitivité se trouvent au centre des politiques que l’on veut mener. Cela n’a jamais été aussi clair. Il y a sur la table une réforme fiscale de 1,7 milliard, dont 200 millions pour les PME. L’accent est mis sur les travailleurs.
Le contexte est dantesque, avec la nécessité de réinvestir dans la défense et la guerre commerciale: est-ce tenable ?
Nous ne vivons pas en vase clos. Ce qui arrive sur ces deux plans mènera à des réorientations politiques. Il faut s’adapter, comme les gouvernements précédents ont dû le faire avec la pandémie de covid. En ce qui concerne la guerre commerciale, je vais contacter les secteurs impactés pour identifier rapidement les besoins des PME afin d’élaborer des mesures efficaces pour les soutenir. Les répercussions de ce choc ne se feront pas ressentir uniquement sur les grands exportateurs, mais aussi sur les PME et indépendants. Je suis en train d’établir un plan PME avec un volet sur les start-up et l’entrepreneuriat féminin, mais vu le contexte, nous ajoutons un volet de soutien. En ce qui concerne la défense, nous avons des fleurons industriels, mais également des start-up et des sous-traitants, souvent à très haute valeur ajoutée. Je lance un appel pour que toutes ces PME se manifestent auprès du SPF Économie.
Quels sont les leviers dont vous disposez vraiment en tant que ministre fédérale ?
J’ai présenté ma note d’orientation voici trois semaines, ma note de politique générale pour 2025 sera finalisée fin avril. Ma priorité consistera à renforcer encore le statut social des indépendants, tout au long de la vie jusqu’à la pension. L’une des grandes lignes de notre réforme consiste précisément à faire converger les régimes, c’est une question de justice sociale. Un chômeur de longue durée peut se retrouver aujourd’hui avec une pension plus haute que celle d’un indépendant.
Certains contestent cette réforme des pensions dans la rue…
À mon avis, il n’y avait pas beaucoup d’indépendants dans la rue. Ce travail d’harmonisation est nécessaire. Par ailleurs, je travaille sur des mesures très concrètes, comme la possibilité de calculer ses cotisations de manière mensuelle et non plus trimestrielle. J’ai moi-même commencé à travailler un 1er septembre, j’ai dû payer l’intégralité des cotisations pour un trimestre complet, alors que je n’avais exercé qu’un mois d’activité. De même, je veux repenser la majoration. Si vous êtes en défaut de paiement, vous montez très vite à 10%. On doit avoir un droit à l’erreur parce que cela ne veut pas dire que vous êtes un grand fraudeur. Je voudrais aussi revoir la protection sociale en cas d’incapacité ou travailler à la santé mentale des entrepreneurs.
Des mesures très concrètes, en somme…
Oui, je veux aussi améliorer la compétitivité, chercher d’autres moyens de financement comme le crowdfunding, la suppression de plusieurs petites taxes, le soutien au commerce électronique ou encore un accès facilité aux marchés publics. De manière générale, il y a un énorme travail de simplification administrative à réaliser.
La mesure “zéro cotisation”, c’est-à-dire l’exemption pour le premier recrutement, reste-t-elle d’actualité pour faire grandir les PME ?
En période d’incertitude économique et d’instabilité géopolitique, je pense que l’on a besoin de ce type de mesure. La question est plutôt de savoir comment elle va évoluer. Elle a fait augmenter le taux d’emploi, mais une étude de l’UCLouvain et de l’UGent a montré que cette mesure était surtout utilisée par les petits employeurs locaux. L’accord de gouvernement prévoit une adaptation à laquelle nous travaillons.
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Le défi majeur de ce gouvernement sera de créer 550.000 emplois : c’est ambitieux, non ?
Je serais naïve de dire que ce n’est pas un challenge. Nous devrons nous retrousser les manches, d’autant que la guerre commerciale complexifiera encore le travail. Cela dit, comment allons-nous y arriver ? Des mesures très concrètes seront prises, comme la limitation dans le temps des allocations de chômage, l’accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi au niveau régional, la remise à l’emploi des malades de longue durée, la flexibilisation du travail, l’extension du travail de nuit, la réforme des pensions… Les PME ont un rôle énorme à jouer. D’où l’importance de leur simplifier la vie : zéro paperasse, full service. D’ici juin, chaque ministre doit présenter des mesures dans son domaine. J’y travaille activement, l’Observatoire des PME m’a déjà présenté 128 mesures. Chaque fois que je rencontre un secteur, de l’horeca aux autocars, je leur demande une liste des obligations préjudiciables. Pour la première fois, nous avons un gouvernement 100% favorable aux entreprises.
Comment vivez-vous les mouvements sociaux : vous vous dites que votre cap est clair et que nous ne dévierez pas ?
Pas du tout, nous ne vivons pas sur une île isolée. J’ai rencontré les partenaires sociaux dès le début, je prône le dialogue. Ce ne sera jamais moi qui remettrai en cause le droit de grève. Il y a toutefois eu l’apparition de grèves anticipatives, l’unanimité n’est pas de mise au niveau des citoyens, voire au sein même des syndicats,. Je souhaite donc qu’on donne une chance à la concertation sociale. Cela est d’ailleurs clairement inscrit dans l’accord de gouvernement. Les partenaires sociaux doivent jouer un rôle actif dans l’élaboration des réformes.
Pensez-vous qu’ils sont prêts à le faire??
En tout cas, je les invite tous les jours à mon cabinet, ils sont les bienvenus.
Il y a une forme d’hostilité politique à votre encontre, non ?
Le changement fait toujours peur. Nous initions une série de grandes réformes, c’est vrai. Mais on connaît l’état financier de notre pays, il en va de la soutenabilité de notre système de protection sociale et de la pension des futures générations. Je suis une jeune femme de 27 ans…
“Le changement fait toujours peur. Mais on connaît l’état financier de notre pays, il en va de la soutenabilité de notre système de protection sociale et de la pension des futures générations.”

Vous pensez qu’il faut préparer l’avenir ?
Oui, celui de ma génération. Après une intervention sur ce sujet à la RTBF, j’ai reçu des messages sur les réseaux sociaux pour me dire que je suis jeune et que je ne sais pas de quoi je parle, mais je travaille justement sur cette soutenabilité en veillant à une période transitoire, dans le respect des droits acquis…
Lors de ce même débat, Thierry Bodson, président de la FGTB, ne semblait pas convaincu…
Nous parlions de choses différentes : au niveau général, oui, les droits acquis seront préservés. Je fais partie d’une génération qui ne souhaite plus faire les choses comme avant. À politique continue, on va droit dans le mur. Ces changements provoquent des incertitudes, il faut informer, expliquer, je prendrai le temps de le faire.
Vous êtes aussi de cette génération préoccupée par le climat : avec tout ce qui se passe, ce défi semble relayé à l’arrière-plan…
Bien sûr. Un climat entrepreneurial attractif et durable, avec un accent sur la décarbonation, c’est très important. Je rencontre énormément de start-up actives dans ce domaine-là. C’est un enjeu générationnel, je suis née avec cela, on ne peut pas faire fi de la question climatique. Même si je ne peux pas vous annoncer un grand plan.
Vous êtes une femme, l’entrepreneuriat féminin sera-t-il l’une de vos priorités ? On se rend compte que le plafond de verre est difficile à briser…
Je suis une jeune femme en politique, c’est très important. Si je peux servir à mon petit niveau de rôle modèle et susciter des vocations, j’en serais ravie. Mais homme ou femme, ce qui compte, ce sont les mesures que l’on prend dans l’intérêt général. Cela ne me dérange pas que l’on me pose cette question-là, mais j’espère que vous la poserez un jour à un homme en interview.
Mille fois d’accord…
Cela dit, oui, il y a un plafond de verre et il y a un travail énorme à mener pour les femmes indépendantes. En 2024, 36% des indépendants sont des indépendantes. Or, à notre époque, cela ne devrait pas être plus difficile d’entreprendre parce que l’on est une femme. En tant que politique, c’est notre rôle de donner tous les moyens pour favoriser l’égalité des chances. Nous avons décidé d’une dispense des cotisations sociales supplémentaire pour le 2e trimestre pour les femmes indépendantes qui ont accouché. Je trouve cela positif, mais ne résumons pas la situation de la femme à cela. Si un jour j’ai des enfants, chacun – père et mère – sera autant concerné par l’enfant. Comment briser ce plafond de verre ? En leur donnant de la visibilité, en les soutenant via des initiatives fédérales, en initiant les mises en réseau, en améliorant les conditions de financement et en sensibilisant les banques… Il y a encore trop de biais masculins. Je serai l’alliée des femmes indépendantes. Depuis Sabine Laruelle, il y a 20 ans, il n’y avait plus eu que des hommes à ce poste.
Vous êtes une Bruxelloise, avez-vous mal à votre Région, toujours bloquée politiquement ?
Clairement. Bruxelles, c’était la base de mon engagement pour la sécurité, l’attractivité… Mon père est le dernier ministre-président libéral à ce jour. Après 20 ans de domination socialiste, cette ville ne s’est pas améliorée. Je vis désormais à Woluwe-Saint-Lambert, mais je pense aux habitants d’Anderlecht, où j’ai longtemps habité : ce n’est pas normal d’avoir peur de prendre une balle perdue en prenant le métro, quand on va chercher son pain ou quand on revient de l’école. Une prise de responsabilité s’impose, d’urgence. Qu’est-ce qui fait le plus peur ? Deux députés N-VA ou le narcotrafic qui gangrène notre Région ?
“À Bruxelles, une prise de responsabilité s’impose, d’urgence. Qu’est-ce qui fait le plus peur ? Deux députés N-VA ou le narcotrafic qui gangrène notre Région ?”
Visiblement, deux députés N-VA…
Voilà. Je trouve que ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Je ne vois plus le ministre-président actuel, Rudi Vervoort. C’est facile à dire, mais si j’étais ministre-présidente bruxelloise, je descendrais sur le terrain. Je suis dépitée de voir qu’après près d’un an, nous sommes toujours dans cette situation. Les Bruxelloises et les Bruxellois sont pris en otage. Et nous, gouvernement fédéral, nous nous adressons à qui ? Il est temps que l’on puisse mener les réformes attendues par les Bruxellois.
Un gouvernement minoritaire est exploré, mais la situation semble insoluble, non ?
Je n’y aurais pas pensé le 9 juin 2024, quand David Leisterh, après un petit cri de joie, s’est mis au travail la nuit même. Je suis dépitée. Cela dit, à mon niveau, je peux aussi œuvrer pour Bruxelles et contre le narcotrafic. On pense à Bernard Quintin (Intérieur) et Annelies Verlinden (Justice), mais je peux également agir. Je suis allée à Anderlecht dans le cadre des actions Belfi pour lutter contre les faux commerces, qui sont des machines à laver l’argent sale issu du commerce de la drogue. Nous sommes passés dans un press shop qui vendait des journaux depuis 2018, le commerce vit de la drogue et pas de la vente du dernier Trends-Tendances, ce qui est bien dommage. Nous avons placé les scellés immédiatement. Les employés ne savaient pas où se trouvait leur patron, il n’y avait pas de permis de séjour, de l’argent cash très bien caché… Là, je peux intervenir.
Cela contribue à assécher les flux de financement ?
Oui, et cela gangrène les quartiers avec des pratiques mafieuses. Cela pénalise les vrais commerces qui mènent un travail licite. Si je peux aider en ce sens, je contribuerai à le faire. Et je suis très heureuse que l’on puisse agir concrètement, tout de suite. Pour les PME et les indépendants, je travaille aussi sur le monde de la nuit, je rencontre les fédérations de l’horeca et des événements pour mener des opérations de prévention antidrogue. Une boîte de nuit ou festival, cela doit rester un lieu de plaisir, pas un nid de stupéfiants.
Profil
• 1997. Naissance le 26 novembre à Liège
• 2024. Élue le 9 juin députée bruxelloise
• 2025. Nommée le 3 février ministre fédérale des Classes moyennes, des Indépendants et des PME