Après l’inflation, la BCE pourrait désormais se retrouver à lutter contre la déflation, notamment à cause des droits de douane. Mais la situation n’est pas inévitable, selon l’expert en marchés européens de BCA Research, Mathieu Savary.
Jeudi passé, lors de sa réunion sur la politique monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) a laissé les taux inchangés. Une première, après une baisse à chaque réunion depuis septembre 2024.
Mais elle pourrait bientôt de nouveau enlever le pied du frein et continuer à baisser les taux. En cause : un risque de déflation qui se profile à l’horizon, met en garde Mathieu Savary, spécialiste des marchés européens chez BCA Research. Le contraire de l’inflation est un marasme économique, qui peut se traduire par un ralentissement économique, baisse des salaires et hausse du chômage.
Trends-Tendances : Pourquoi l’Europe pourrait-elle faire face à de la déflation ?
Mathieu Savary : “Ce risque découle en grande partie de l’euro fort, des pressions compétitives venant de la Chine, qui incluent aussi le fait que l’euro est fort contre le yuan, des prix de l’énergie qui sont faibles et qui créent des tendances désinflationnistes ou même déflationnistes à court terme, sur l’Europe. Et ultimement, évidemment, le fait que l’Europe ait accepté des droits de douane élevés. Les pronostics que donnait la présidente de la BCE Christine Lagarde sur une économie qui se stabilise, l’inflation qui atteint la cible, etc., étaient basés sur des taxes d’importation américaines de 10% et non pas de 15%.”
Est-ce un vrai risque pour l’Europe ou encore une menace théorique ?
“Je ne pense pas nécessairement qu’il y aura de la déflation. Mon approche suggère que la BCE coupera les taux un peu plus que ce qui est attendu, ce qui permettra à diminuer la pression sur l’euro. L’annonce d’accord commercial de cette fin de semaine, n’a fait, pour moi que confirmer, la probabilité d’une diminution des taux d’intérêt, de 50 points de base d’ici la fin de l’année. Mais sinon oui, la déflation est en effet un risque.”
L’habilité des compagnies européennes d’aller de l’avant malgré cet accord, qui est très désavantageux pour l’Europe et très avantageux pour les États-Unis, dépend d’un euro qui perd de la valeur.
Deux baisses de 25 points ?
“C’est cela. Je pense qu’on est quand même dans une nouvelle phase des taux. À 2%, ils sont beaucoup moins contraignants à l’activité économique qu’ils ne l’étaient par le passé. Donc, on peut ajuster un peu le rythme, mais je pense que nous sommes dans un contexte où les réunions durant lesquelles la BCE annonce ses nouvelles prédictions seront des réunions où il y aura des baisses des taux. Donc septembre et décembre.”
Ces risques de déflation et droits de douane, que veulent-ils dire pour les marchés boursiers européens ?
“C’est une mauvaise nouvelle à court terme. Car les risques de déflation, plus ces nouveaux tarifs douaniers, vont créer des pressions baissières sur les prix des exportations européennes. Cela se traduit par des effets secondaires sur l’économie… on parle de risques sur les investissements et de risques sur l’emploi et les ménages. La confiance des ménages n’est pas particulièrement robuste et elle risque d’être atteinte par ces nouveaux tarifs qui vont évidemment nuire à la croissance de l’emploi en Europe.
Pour les marchés, ce qui est difficile à juger, c’est qui va absorber le plus ; les actions ou l’euro ? Il semblerait, dans les dernières 48 heures, que ce soit l’euro avant tout qui absorbe ces chocs, ce qui d’un point de vue économique est logique. Parce que, ultimement, on peut penser aux devises comme une valve de compensation qui permet de balancer les effets déflationnistes d’une économie à l’autre. Donc si l’euro se déprécie, en réponse à une attente des marchés de plus de baisses des taux d’intérêt que ce qui était attendu vendredi dernier, cela permettrait de diminuer à moyen terme cette tendance déflationniste. Je m’attends à ce que l’euro descende en deçà de 1,15 dollar, probablement vers 1,12, ce qui était à peu près le sommet de la bande dans laquelle l’euro s’est échangé à partir du quatrième trimestre de 2022 jusqu’en 2024.”
L’euro fort par rapport au dollar, à 1,16 à 1,18 ces dernières semaines, était notamment vu comme un risque pour les entreprises européennes, vu que les exports deviennent plus chers. Maintenant que le taux de change baisse (1,153 à l’heure d’écrire ces lignes, NDLR) et pourrait continuer à chuter, c’est donc aussi une bonne perspective pour les entreprises ?
“Oui, c’est une bonne nouvelle, mais il faudra qu’il baisse davantage encore pour avoir un effet significatif sur les profits. L’euro qui perd de la valeur, cela permet donc d’absorber les chocs liés aux tarifs douaniers et d’ajuster un peu l’absence de compétitivité des entreprises européennes par rapport aux entreprises chinoises. Mais aussi par rapport aux compagnies japonaises, parce que soyons francs, l’euro est également cher par rapport au yen. Donc, ultimement, l’habilité des compagnies européennes de regagner de la profitabilité et d’être capable d’aller de l’avant malgré cet accord, qui est très désavantageux pour l’Europe et très avantageux pour les États-Unis, dépend d’un euro qui perd de la valeur.
Aussi, ce qu’on a vu, et c’était surprenant, c’était que l’euro prenne de la valeur par rapport au dollar, avec ces risques de tarifs douaniers qui existaient (l’euro fort et dollar faible de ces derniers mois étaient dus, par étapes, à l’optimisme des investisseurs par rapport à l’élection allemande en début d’année d’un côté et la baisse de confiance des investisseurs dans les actifs américains de l’autre côté, explique l’expert, NDLR). D’un point de vue de modèle économique classique, si les États-Unis imposent des droits de douane sur l’Europe, ce que l’on devrait voir, c’est que l’euro se déprécie pour créer un effet de compensation par rapport à ces tarifs. Il devrait donc se déprécier dans une valeur à peu près équivalente au tarif. On n’avait pas vu ce phénomène se produire jusqu’à présent. Cela crée une double compression sur les profits européens. Donc maintenant, si on retourne dans un modèle de relation classique entre l’euro et les tarifs, plus en ligne avec ce qui est prédit par les modèles économiques, c’est une bonne perspective pour les entreprises aussi.”
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