Paul Vacca
Dérèglement climatique: il faut se dépêcher lentement
On a pu le constater lors de nombreuses campagnes de prévention: susciter la panique engendre souvent l’effet contraire à celui escompté.
Dans la comédie d’Edouard Molinaro Pour 100 briques t’as plus rien, en 1982, une scène du film nous montre deux apprentis braqueurs (joués par Daniel Auteuil et Gérard Jugnot) qui s’entraînent dans un appartement, affublés de leur cagoule avec de fausses mitraillettes. Ils butent surtout sur leur entrée dans la banque avec la fameuse phrase introductive: “Pas de panique! C’est un hold-up!”. Ce sésame pourtant tout simple plonge nos deux braqueurs amateurs dans des abîmes de perplexité. S’ils le prononcent de façon trop violente et autoritaire, les employés de la banque risquent justement de céder à la panique et de ne pas obéir. Mais si, d’un autre côté, la phrase est prononcée de façon trop douce, les otages ne se sentiront pas menacés. Et donc ils n’obéiront pas non plus aux injonctions des braqueurs.
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C’est à un dilemme de nature similaire que nous nous trouvons confrontés aujourd’hui face à la question du dérèglement climatique. Comment lutter contre l’inertie sociale? Face à l’urgence, la colère monte chez les militants mais aussi tous ceux qui se préoccupent de l’avenir. Il faut frapper un grand coup, marquer les esprits, sans quoi rien ne bougera. Le problème, c’est que toutes légitimes que soient cette colère et ces actions, elles ne sont pas forcément bonnes conseillères si l’on cherche à convaincre le plus de monde possible pour changer de comportement.
On connaît les mécanismes de résistance face aux arguments qualifiés parfois d’ “apocalyptiques” alors qu’ils ne sont souvent que “réalistes”. Comme on a pu le constater lors de nombreuses campagnes de prévention, susciter la panique engendre souvent l’effet contraire à celui escompté: face à la menace, la plupart des personnes ont tendance à être soit dans le déni (“tout ce qui est excessif est insignifiant”) soit dans l’évitement (“à quoi bon?” ou le “foutu pour foutu”). C’est certes irrationnel mais totalement explicable dans le cadre de la psychologie comportementale.
D’autant que certains arguments “apocalyptiques” ont même tendance à s’autodétruire. Celui de la “sixième extinction”, celle que nous provoquerions collectivement actuellement débouchant sur la destruction de notre espèce. Et en admettant que son fondement scientifique soit attesté, son efficacité rhétorique, en revanche, laisse à désirer. Cet argument ne laisse-t-il pas entendre que si nous avons réussi à échapper à cinq extinctions, il existe un espoir que nous puissions échapper à une sixième?
Alors faut-il préférer la “façon positive”, qui consiste à dessiner un chemin pour sortir du pire, préconisée par d’autres? Une démarche des petits pas qui évite le rejet et permet de mettre un pied devant l’autre pour avancer vers le but? Mais cette méthode soft comporte au moins deux défauts. D’une part, elle fait perdre de vue le sentiment d’urgence et l’ampleur des changements à effectuer. A trop vouloir ménager sa monture, il risque d’être trop tard. Et d’autre part, une telle approche finit également par déresponsabiliser les acteurs. S’il existe un chemin, c’est qu’on va y arriver. Alors donc, pourquoi changer? On provoque un évitement non pas par le déni ou le rejet, mais par la procrastination. Si le pire n’est pas en jeu, pourquoi changer aujourd’hui ce que l’on pourra faire demain?
Alors que faire? Quelle démarche préférer? Pour éviter l’inertie sociale, il semble que nous soyons condamnés à préférer… les deux. Alerter de façon abrupte tout en ouvrant le chemin. Les Latins avaient déjà une formule pour résumer ce casse-tête: Festina lente, disaient-ils. Il faut se dépêcher lentement.
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