Deliveroo: “Nos coursiers veulent rester indépendants, la volonté politique est idéologique”
Le porte-parole de la plateforme de livraison de repas insiste: les coursiers ne veulent pas du salariat dont rêvent certains politiques. Il regrette le manque de prise en compte de la réalité du terrain.
Rodolphe Van Nuffel, porte-parole de Deliveroo, la plateforme de livraison de repas, exprime sa “préoccupation” alors qu’un Conseil des ministres va se pencher sur un projet de loi susceptible d’imposer une forme de salariat à ses coursiers.
Vous dites être inquiets des mesures en gestation dans le cadre du projet de loi “travail” du gouvernement fédéral. En quoi?
Nous sommes préoccupés par les débats politiques et médiatiques récents autour de l’accord fédéral sur le travail, l’e-commerce et l’économie de plateforme dans notre pays, ainsi que les réunions gouvernementales cruciales sur ces questions cette semaine. Nous sommes ouverts au débat sur une plus grande amélioration de la protection des coursiers de Deliveroo. Par contre, quand on parle de “présomption de salariat” voire de “salariat imposé”, cela nous préoccupe et cela préoccupe les coursiers qui travaillent pour nous. Notre volonté n’est pas entendue.
N’y a-t-il pas eu une consultation?
En novembre, le ministre Pierre-Yves Dermagne (PS, Economie et Travail) avait annoncé au parlement qu’il mènerait une consultation avant de trancher sur le sujet. Mais les premiers textes datent de décembre, déjà. Or, le même mois, pourtant, un jugement du tribunal de première instance avait jugé que les coursiers sont bel et bien des indépendants, ce qui est notre souhait par ailleurs.
En précipitant sa décision, le gouvernement ne tiendrait pas compte de l’Europe: il y a une proposition de la Commission, mais le débat ne fait que commencer. Il ne tiendrait pas compte de l’avis du Conseil national du travail et des partenaires sociaux. Et il ne tiendrait pas compte de la consultation publique qui a été organisée, dont les résultats n’ont pas encore été dévoilés.
Le statut de salarié ne protège-t-il pas mieux les travailleurs?
Mais les coursiers de Deliveroo sont déjà protégés aujourd’hui! Ils disposent des assurances nécessaires: accident, responsabilité civile… Et ils sont demandeurs, en majorité, d’un statut qui leur permette d’avoir une plus grande flexibilité pour travailler quand ils veulent et s’ils le veulent. C’est un choix.
Certains s’inscrivent pour faire du sport, d’autres sont indépendants à titre complémentaire pour compléter leurs revenus, d’autres ont charge de famille et préfèrent travailler à certains moments… Ils sont nombreux à travailler pour plusieurs employeurs, ce que le statut de salarié ne permet pas. Nous avons même le témoignage d’un coursier autiste pour lequel il s’agit d’une rare possibilité de travailler. En moins de cinq jours, 550 coursiers ont signé une pétition pour demander qu’on préserve ce statut : elle a été transmise cette semaine au gouvernement fédéral.
Nous ne nions pas les avantages du statut de salarié – moi-même, je le suis… -, mais les coursiers nous contactent précisément en nombre pour être indépendants.
Combien sont-ils, précisément?
Nous recevons environ 3000 demandes par mois pour devenir coursier, un job qui demande peu de qualifications. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas accepter tout le monde. Il y a environ 3000 coursiers actifs par semaine, certains pour trois heures par semaine, d’autres pour quarante.
Le problème du salariat n’est-il pas qu’il remettrait votre modèle d’entreprise en question?
Nous avons besoin de flexibilité, c’est vrai, mais les coursiers sont en demande de la même chose. Nos pics de livraisons sont les vendredi soir, samedi soir et dimanche soir et c’est à ces moments que certains souhaitent travailler pour un complément de revenus. C’est du win win.
Avez-vous le sentiment que certains responsables politiques caricaturent le statut d’indépendant en le qualifiant de précaire?
Complètement. C’est faire preuve de peu de respect par rapport aux gens qui pratiquent ces métiers et qui aiment cette flexibilité. Cela dérange sans doute parce que c’est nouveau et disruptif.
Notre société est très spécifique dans ces demandes, mais comme je l’ai dit, nous sommes en ordre au niveau des protections et nous sommes prêts à développer cela, encore : si le gouvernement nous impose d’autres protections sociales, on le fera. Si on nous demande de travailler avec le VDAB, Actiris ou le Forem pour aider les coursiers qui le souhaitent à trouver un autre travail, one le fera ! Mais si le but est de nous imposer la présomption de salariat, on se demande comment cela fonctionnera, dans la pratique.
Les propos de Paul Magnette, président du PS, au sujet de la Belgique sans e-commerce participent-ils à cette caricature?
Il est déjà revenu sur ses propos… Mais de façon générale, il y a un manque de considération des politiques pour la réalité du terrain. Les décisions sont prises pour des raisons idéologiques, pas par pragmatisme, et nous craignons que ce soit le cas de la part du gouvernement fédéral.
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