Covid: la bataille des factures impayées commence
Bientôt, les mesures de soutien censées atténuer les conséquences financières de la pandémie prendront fin. Une vague de factures impayées se rapproche. Les huissiers et les agences de recouvrement se battent pour une part du gâteau. Le gouvernement essaie de limiter les coûts.
Bientôt, les mesures de soutien aux entreprises expireront. Les aides fédérales, telles que le chômage temporaire, disparaîtront. Fin juin, le moratoire sur les dettes fiscales a déjà expiré, ce qui signifie que nous revenons à un rythme normal.
“De nombreuses dettes impayées vont refaire surface”, prédit Guy Colpaert, membre du conseil d’administration du groupe suédois de recouvrement de créances Intrum. La centrale des crédits aux particuliers de la Banque Nationale de Belgique compte 452 890 créances impayées.
“Ce nombre ne va faire qu’augmenter. La pandémie a mis les citoyens dans la misère”, déclare Bart Vandesompele, directeur de Socrem, une A.S.B.L. créée par des agences de recouvrement de créances. “Les tribunaux seront débordés. L’accord gouvernemental veut rendre la coûteuse procédure de recouvrement plus humaine pour les personnes en situation précaire. Toutefois, l’industrie de l’endettement tournera probablement déjà à plein régime avant que la modification de la loi ne soit approuvée.”
Frais considérables
Socrem veut encourager le recouvrement à l’amiable. Un débiteur ayant des problèmes financiers temporaires convient alors avec un ou plusieurs créanciers d’étaler le remboursement de la dette. Le recouvrement judiciaire implique l’intervention d’un huissier, qui peut exiger une saisie. Cela n’est possible que par le biais d’un “titre exécutoire, comme la décision d’un juge de paix, par exemple.
Une procédure devant le juge de paix pour une dette de 50 euros fait grimper le montant à payer à 320 euros en raison des frais juridiques et autres frais supplémentaires. “Ce n’est pas raisonnable”, explique Dirk De Groote, juge de paix à Audenarde. “Ni pour le débiteur, ni pour le créancier. L’huissier avance ces frais, et s’il ne peut pas les récupérer auprès du débiteur, le créancier doit les payer. Lors des audiences, je vois parfois des parties abasourdies par le montant de l’addition.”
“La seule personne à qui profite un recouvrement judiciaire, c’est l’huissier”, affirme Guy Colpaert. “Il a tout intérêt à ce que le tribunal soit impliqué le plus rapidement possible. Chaque visite sur place, chaque lettre de rappel et chaque vente publique lui garantissent des revenus à des taux fixes basés sur un arrêté royal de 1976, à l’époque où les lettres étaient encore traitées manuellement.”
Selon Kris Slabbaert, d’Agerant Gerechtsdeurwaarders et de la Chambre nationale des huissiers de justice, les huissiers ne sont pas si pressés d’aller au tribunal : “Les huissiers commencent toujours par un recouvrement à l’amiable, ce qui est également leur obligation en vertu de la loi. Nous ne pouvons pas entamer de procédure judiciaire sans un mandat explicite du créancier. Et si nous savons que cela ne sert à rien, parce que le débiteur n’a tout simplement pas les moyens, nous déconseillons d’aller au tribunal. Il est de notre devoir légal de limiter les coûts. Nous sommes par ailleurs d’accord que les taux doivent être modifiés.”
“Pousser les débiteurs ou leurs clients à la dépense est au coeur du modèle économique des huissiers”, répond Bart Vandesompele. “Les grandes agences gagnent des millions en augmentant les coûts sur le montant de base de la dette par le biais du recouvrement judiciaire” (voir encadré Un beau rendement). Bart Vandesompele plaide pour l’obligation du recouvrement à l’amiable, avant de pouvoir faire appel au tribunal. “Il est parfois préférable de proposer un report au débiteur face à un problème financier temporaire. Lorsque le tribunal entre en jeu, les créanciers privilégiés, tels que la banque, se retrouvent de toute façon avec la majeure partie de l’argent. Ne vous y méprenez pas : toute personne qui ne veut pas payer doit pouvoir être envoyée au tribunal.”
Bien sûr, les agences de recouvrement préconisent le recouvrement à l’amiable obligatoire, répond Kris Slabbaert : “Elles en vivent. Toutefois, ces recouvrements ne sont soumis à aucun contrôle. En cas de recouvrement judiciaire, le juge de paix vérifie s’il n’y a pas d’usure ou de compensation excessive. Lors d’un recouvrement à l’amiable, les petits caractères du contrat permettent au créancier de s’enrichir au détriment du débiteur. Nous plaidons pour des maximums légaux pour les coûts supplémentaires en cas de recouvrement à l’amiable.”
Socrem est également en faveur de ces maximums. “Je sais qu’il existe des sociétés de recouvrement qui survivent grâce à l’usure des créances” déclare Bart Vandesompele. Cependant, depuis que la loi de 2002 réglemente notre secteur, il y a un contrôle strict des mauvaises pratiques. Les cowboys disparaissent peu à peu ;”
Un poids pour la Justice
Le juge De Groote souligne que les procédures judiciaires coûtent également de l’argent au gouvernement. “Je passe beaucoup de temps à traiter des factures impayées, qui seraient mieux gérées en dehors du tribunal”, témoigne-t-il. “Dans des milliers d’affaires portant sur des dettes de moins de 100 euros, aucune autre partie adverse ne comparaît devant le tribunal. Chaque jugement augmente la dette.”
Un beau rendement
Modero, le plus grand réseau d’huissiers, nie vouloir faire payer les débiteurs en ayant recours au recouvrement judiciaire. Il souligne que 85 % de ses dossiers sont résolus à l’amiable, c’est-à-dire sans frais de justice. Sur ses 332 collaborateurs, un sur trois travaille sur le développement de solutions extrajudiciaires.
Le bureau le plus important, Modero Antwerp, réalise un bénéfice net de 1,3 million d’euros sur un chiffre d’affaires de 21 millions d’euros. “Cette rentabilité est nécessaire pour garantir la qualité de nos services et permettre une innovation permanente”, déclare son CEO, Jan De Meuter. Intrum, leader du marché en Belgique et présente dans 29 pays, fait encore mieux avec un bénéfice net de 20 % sur un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros.
L’Union royale des juges de paix et de police, au sein de laquelle Dirk De Groote est actif, avance une proposition. À la demande d’un débiteur privé ou du CPAS, l’huissier de justice centralise toutes les créances et propose un plan de remboursement à toutes les parties. Le juge de paix doit l’approuver. En cas de non-respect, sa décision constitue un titre qui permet aux créanciers d’agir immédiatement. Le débiteur paie les honoraires de l’huissier : un montant unique de 150 euros et un maximum de 50 euros par versement.
Le titre d’exécution gratuit réduirait sérieusement le coût pour les créanciers. “Un avantage qui peut les convaincre d’approuver le plan de remboursement”, déclare Dirk De Groote. “Pour l’instant, les juges de paix traitent les premiers dossiers dans le cadre de cette procédure sur base volontaire du débiteur et de l’huissier. Nous avons également reçu une réponse positive sur le plan politique.”
Le ministre de la Justice Vincent van Quickenborne (Open Vld) a qualifié la proposition au Parlement de “piste de réflexion intéressante”. Il a également fait référence à l’initiative de la Chambre nationale des huissiers de justice et de l’échevin anversois des affaires sociales Tom Meeuws (Vooruit). La Chambre lancera prochainement une plateforme numérique permettant au CPAS d’Anvers de signaler l’insolvabilité d’un débiteur à l’huissier de justice à un stade précoce du processus de recouvrement. “Nous évitons ainsi des coûts inutiles pour le débiteur”, déclare Kris Slabbaert. “Le CPAS peut alors travailler avec le débiteur sur d’autres solutions, comme le règlement collectif des dettes. Nous souhaitons déployer ce projet pilote à l’échelle nationale à une date ultérieure. Cette plateforme pourrait permettre d’éviter beaucoup de frustrations dans tous les camps.”
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