Couper dans les dépenses publiques : idolâtrie ou nécessité ?
Charles Picqué a dénoncé, jeudi soir sur la RTBF, “l’idolâtrie de la limitation des dépenses publiques”, impliquant donc la responsabilité d’une certaine droite libérale dans les récents attentats. Mais où en est réellement la Belgique en matière de dépenses publiques ? Et le souci de les diminuer est-il réellement réservé à la droite ?
Charles Picqué, président (PS) du Parlement bruxellois et bourgmestre de Saint-Gilles, a plaidé jeudi soir au cours de l’émission “Jeudi en prime” (RTBF), pour que l’on mette un terme “à l’idolâtrie de la limitation des dépenses publiques” et que l’on réinvestisse dans le renseignement et dans la police, après la baisse de 2% de la dotation aux zones de police par l’actuel gouvernement. Dans l’immédiat, il a demandé le maintien d’effectifs de sécurité significatifs à Bruxelles, en dépit de la baisse du niveau de la menace de quatre à trois.
Les dépenses publiques… Voilà bien un thème qui oppose les politiques. Le message (plus ou moins) implicite de cet ancien ministre fédéral de l’Économie : la droite veut idéologiquement (ou de façon “idolâtrique”) tailler dans les dépenses publiques, quand la gauche vise (de façon tout aussi “idolâtrique” ?) à dépenser plus pour mieux servir le citoyen. Qu’en est-il de la réalité ?
Quand le salarié belge travaille jusqu’au 8 août pour payer les dépenses publiques…
Petit travail de mémoire. En 2013, l’Institut économique Molinari, un think tank (certes libéral) bruxellois, se basait sur des données d’Ernst & Young notamment pour conclure que le salarié belge moyen travaillerait, cette année-là, jusqu’au 8 août pour financer les dépenses publiques (obligations fiscales et sociales). La Belgique était loin des “champions de la libération fiscale et sociale”, à savoir Chypre (14 mars), l’Irlande (24 avril) et Malte (29 avril). A contrario, notre pays était celui de l’UE qui taxait le plus ses salariés, devant la France (26 juillet) et l’Autriche (23 juillet).
Le même Institut Molinari vient tout juste de calculer le jour où les États de l’Union européenne ont ou auront dépensé la totalité de leurs recettes annuelles en 2015. Conclusion ? La Belgique sera à sec dès le 1er décembre, en même temps que la Roumanie. C’est certes beaucoup mieux que Chypre ou le Portugal (qui ont les poches vides depuis la mi-octobre), mais moins bien que l’Allemagne et le Danemark notamment, qui disposent encore de cash jusqu’au 9 et au 12 janvier respectivement.
“Parmi les 28 administrations centrales de l’UE, quatre sont en situation excédentaire”, observe l’Institut Molinari, soit l’Estonie et la Lituanie en plus des deux pays déjà cités. “Leurs recettes de l’année leur permettent de financer toutes les dépenses de l’année en cours et de se désendetter. Les 24 autres administrations centrales dépensent la totalité de leurs recettes avant la fin de l’année. Agrégé au niveau global, tous types d’administrations confondus, les administrations publiques de l’UE avaient consommé la totalité de leurs recettes 23 jours avant la fin de l’année.” Et de noter que “la France est l’un des rares pays, aux côtés de la Belgique, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Slovaquie, à cumuler des déficits au niveau des trois administrations (centrale, collectivités locales et sécurité sociale)”.
Belgique : des dépenses publiques en dents de scie… mais une dette qui explose
Difficile, face à ce type de constatation, de ne pas conclure à la nécessité de réduire les dépenses publiques. D’autant que les statistiques d’Eurostat sont particulièrement cruelles pour notre pays en la matière. Début juillet, l’office statistique européen révélait ainsi que la Belgique se classait en 4e position des pays aux administrations publiques les plus dépensières : 53,4% de son PIB en 2014, contre une moyenne de 48,1% au niveau de l’UE et de 49% pour la zone euro. Nous sommes battus à plate couture par la Lituanie et la Roumanie (34,9%), même si nous pouvons (à peine) nous consoler des 58,7% finlandais.
Les dépenses publiques belges n’ont que peu évolué par rapport à 2013 : -0,1% seulement. Le Plat Pays pointe ainsi à la 7e place de l’UE pour le montant total de ces dépenses publiques (218,6 milliards d’euros), et à la 5e place lorsqu’on rapporte ce montant au nombre d’habitant (19.600 euros/habitant).
En termes d’affectation de ses dépenses publiques, la Belgique consacre davantage cet argent, par rapport à la moyenne de l’UE, aux affaires économiques (12,2% du total, contre 8,8% de moyenne européenne) et à l’enseignement (11,8% contre 10,3%), mais moins à la protection sociale (36,1% contre 40,2%) et à la vieillesse (16,2% contre 21,4%).
Quant à l’évolution des dépenses publiques belges, on observe une avancée en dents de scie, mais avec une vraie tendance à l’augmentation (voir graphique ci-dessous). Après un appréciable 50,7% en 2003, elles ont connu un plafond récent en 2012, à 55,8%, avant de lentement redescendre au taux actuel de 54,3%, son niveau de 2011 environ.
De son côté, cependant, la dette publique ne cesse d’augmenter. Depuis son plancher absolu sur 20 ans (86,9% du PIB en 2007), on la voit grimper chaque année jusqu’à atteindre 106,7% du PIB l’an dernier. Certes loin d’un certain record de 1995 (130,7%), mais pas de quoi indiquer un assainissement durable de nos dépenses. En 2011, le Conseil supérieur des finances visait un effort cumulé pour la période 2010-2015 à 4,5% du PIB, soit 18 milliards d’euros, ce qui aurait permis à la dette publique de redescendre à 88% du PIB cette année, “son niveau d’avant la crise”. Raté.
Tailler dans les dépenses publiques : une obsession de droite, vraiment ?
Quant à la dénonciation d’une “idolâtrie de la limitation des dépenses publiques”, forcément classée “à droite” sur l’échiquier politique, se justifie-t-elle ? Non, si l’on en croit des calculs du Bureau du plan datant de 2014, un peu avant la fin du gouvernement Di Rupo. Le Bureau du plan prévoyait alors que les prélèvements publics diminueraient de 1,4% avant la fin de la législature, donc sous l’égide d’un Premier ministre socialiste. Selon le CD&V, cette baisse serait réalisée grâce notamment à une diminution des dépenses en personnel, ainsi qu’aux coupes au sein de la Défense et du budget de fonctionnement des administrations.
Si l’on regarde à nouveau les chiffres d’Eurostat, on ne peut que constater que, durant les quelque trois années (2012-2014) qu’aura durées le gouvernement fédéral dirigé par le socialiste montois, le niveau des dépenses publiques n’aura fait que baisser (bien qu’assez légèrement), passant de 55,8% du PIB en 2012 à 55,1% en 2014.
Enfin, faut-il vraiment s’inquiéter d’un fort taux de dépenses publiques ? “Il n’y a pas de seuil fatidique !”, prévenait en 2013 l’économiste Etienne de Callataÿ, interrogé par nos confrères du Vif/L’Express. “C’est un autre travers que l’on constate souvent dans l’utilisation des statistiques. Un exemple ? L’euro franchi la barre des 1,40 face au dollar : comme si cela allait changer la face du monde par rapport au niveau précédent de 1,39… Avec des dépenses publiques au-delà des 50% du PIB, nous ne sommes pas nécessairement dans une zone dangereuse. La meilleure preuve, c’est qu’il vaut peut-être mieux vivre au Danemark ou en Finlande qu’en Grèce. A priori, un tel niveau est plutôt un signe de développement que de sous-développement !”
Cette question se posait alors suite au discours de Bart De Wever pour la fête de la Communauté flamande, le 11 juillet 2013. Discours dans lequel il déplorait que les dépenses publiques eussent “augmenté jusqu’au niveau indécent de 55% du PIB.” Cette expression s’inscrivait (déjà) dans une vision idéologique très libérale, qui veut couper les dépenses publiques. En outre, ajoutait Etienne de Callataÿ, cette donnée est relative, car tout dépend des politiques menées : “Les allocations familiales sont enregistrées dans les dépenses publiques, les cadeaux fiscaux aux familles sont considérés comme des non-recettes. Or, l’effet est le même.”
Gauche-droite, Flandre-francophonie… Les clivages, et c’est logique, réapparaissent autour d’un sujet aussi délicat que les dépenses publiques. Même s’il est possible de dépasser les oppositions binaires. Ainsi Michel Delbaere, ex-président du Voka (le syndicat patronal flamand), devant un parterre d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs francophones, plaidait-il tout récemment pour un modèle germanique ou nord-européen : “Je n’aime pas et ne veux pas parler de modèle flamand.” À ses yeux, la voie à suivre pour les trois régions est un “modèle de société qui se rapproche en effet du nord de l’Europe” : moins d’impôts et une fiscalité “qui soutient la croissance”, moins de dépenses publiques et des fonds de pension qui contribuent aux investissements. Dont acte.
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