Comment les Pays-Bas ont transformé leur pays en royaume de la voiture électrique

PRÈS D'UN TIERS des bornes de recharge de l'Union européenne sont installées aux Pays-Bas. © PHOTOS RVA
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les Pays-Bas ont plusieurs années d’avance sur la Belgique en matière de voiture électrique, grâce à une politique coordonnée entre le public et le privé. Il y a quelques leçons intéressantes à en tirer.

Pour savoir à quoi ressemblera la Belgique lorsque se multiplieront les voitures électriques, il suffit de traverser la frontière néerlandaise. Nos voisins du nord ont mis le paquet pour encourager ce type de véhicule à coup de primes, de bornes et de réglementations. Le parc électrique y frôle les 300.000 autos contre 74.135 chez nous, plus 170.000 hybrides rechargeables. Dans les concessions, une voiture neuve achetée sur cinq est désormais 100% électrique, contre moins d’une sur 10 en Belgique. “Les Pays-Bas ont au moins deux ans d’avance”, estime Vincent Hancart, CEO d’AutoScout24, le premier site de voiture de seconde main en Belgique.

Fin du carburant en 2030

L’objectif fixé par la Commission européenne de n’autoriser que la vente d’automobiles zéro émission à partir de 2035 est considéré chez nos voisins comme trop timide. Le gouvernement de La Haye a décidé depuis plusieurs années d’interdire la vente de voitures neuves à carburant à partir de 2030.

C’est le résultat d’une politique volontariste coordonnée. Les pouvoirs publics nationaux et locaux, les universités, les énergéticiens, les opérateurs de réseaux, des ONG environnementales et l’ANWB (le Touring Club néerlandais) se sont mis autour de la table en 2010, créant une plateforme intitulée Formule E-Team afin de développer un éventail de mesures d’encouragement à l’électrification.

La situation tranche avec la Belgique où les initiatives sont prises de manière séparée et dans une grande cacophonie par le fédéral et les Régions, où la Flandre multiplie les bornes tandis que la Wallonie prend son temps, et où les fiscalités de roulage sont différentes selon les entités. Le tout au grand regret des fédérations comme la Febiac (importateurs de voitures) ou de Touring Club, qui s’inquiètent de ces disparités qui freinent l’adoption de ce type de véhicule et du manque de bornes.

Les pouvoirs publics ont développé des incitants qui rendent la charge en rue souvent moins chère qu'en Belgique.
Les pouvoirs publics ont développé des incitants qui rendent la charge en rue souvent moins chère qu’en Belgique.

Il suffit d’aller aux Pays-Bas avec une voiture électrique pour mesurer le fossé qui nous sépare de nos voisins. Outre-Moerdijk, nul besoin de jongler avec une application pour repérer les points de charge: des bornes ont été installées partout dans les villes. Et sur les autoroutes, on trouve des charges rapides à intervalle rapproché. En fait, près d’un tiers des bornes de l’Union européenne sont installées aux Pays-Bas. Il y en avait actuellement 105.808 à la fin août, 10 fois plus qu’en Belgique, qui n’est pourtant pas le pays le moins pourvu de l’UE.

Un nid de start-up électriques

C’est un choc pour les Néerlandais qui partent en vacances dans le sud en voiture électrique et traversent inévitablement la Belgique pour se rendre en France. “Les zones les plus difficiles pour la recharge rapide sont le sud de la Belgique et le nord de la France”, témoigne Marco van Eenennaam, le Monsieur voitures électriques de l’ANWB, le Touring Club néerlandais. Il roule dans une MG ZS EV, une voiture chinoise qui a 265 km d’autonomie. “J’ai pris un modèle avec ‘petite’ batterie, car il suffit largement pour les besoins habituels et coûte 5.000 euros de moins que celui à grande autonomie (400 km, Ndlr). Cela ne me pose un problème que 10 fois par an quand je dois recourir à des chargeurs rapides, sur de longs parcours.”

Les particuliers bénéficient d’une prime à l’achat de 3.350 euros pour une voiture électrique neuve, 2.000 euros pour une occasion.

Que la densité des bornes soit telle aux Pays-Bas qu’il n’est pas nécessaire d’acheter une voiture à forte autonomie, c’est le résultat du travail effectué par la task force Formule E-Team, matérialisée par un site web très informatif (www.nederlandelektrisch.nl) nourri par les partenaires, dont l’ANWB. “La transition est tellement complexe qu’il était utile de créer une plateforme pour mettre en place un programme sur 20 à 30 ans, continue Marco van Eenennaam. Le focus a été porté sur la mise en place de réseaux de recharge avec des prises standardisées et interopérables, via une seule carte. Cette approche a suscité la création de nombreuses start-up qui sont à présent des acteurs globaux.” C’est par exemple le cas de Fastned, une société qui conçoit et exploite des stations de recharge rapide, très présente aux Pays-Bas, et qui se développe aussi en Belgique, en France et en Allemagne. Même chose pour EV Box, un fabricant de bornes, ou Allego. Les pouvoirs publics néerlandais estiment que le secteur représentera 13.500 emplois en 2025.

Les primes à l’achat

Outres les bornes, le pouvoirs publics ont aussi développé des incitants. Les particuliers bénéficient d’une prime à l’achat de 3.350 euros pour une voiture électrique neuve, 2.000 euros pour une occasion. Les entreprises ou le non-marchand peuvent recevoir jusqu’à 5.000 euros par exemplaire. Jusqu’en 2024, il n’y a pas de taxe de mise en circulation (BPM) ni de taxe de circulation. Et les bénéficiaires d’une voiture de société sont moins taxés sur l’avantage en nature jusqu’en 2026. La charge en rue est par ailleurs souvent moins chère qu’en Belgique. A La Haye, le kWh est distribué à 33 cents contre 51,6 cents à Bruxelles (ChargeBrussels), comme nous avons pu le constater en allant à un rendez-vous dans la capitale politique des Pays-Bas. Les bornes y sont bien plus nombreuses que dans la capitale belge, qui pourtant connaît une bonne évolution sur ce point. Un désavantage, toutefois: si à Bruxelles, dès que le véhicule est en charge sur une borne publique, il n’est pas nécessaire d’alimenter un parcmètre ou de sortir le disque ou une carte de riverain là où c’est obligatoire, à La Haye, par contre, cette exception n’existe pas.

Comment les Pays-Bas ont transformé leur pays en royaume de la voiture électrique

Mais en Belgique, aucune prime n’est accordée pour l’achat d’une voiture électrique. Et les incitants ciblent d’abord les voitures de société, qui devront obligatoirement être zéro émission en 2026 et sont déjà déductibles à 100% (vs 67,5% en moyenne pour une automobile à carburant), avec des taxes de roulage nulles en Flandre et minimales à Bruxelles et en Wallonie. Tout cela fait de la voiture électrique, chez nous, un enjeu qui concerne surtout les sociétés, les particuliers ne représentant que 10% des achats.

Aux Pays-Bas, ces multiples incitants vont-ils aider à réaliser l’objectif 2030, où 100% des automobiles neuves seront zéro émission, essentiellement électriques? “C’est un objectif ambitieux, reconnaît Marco van Eenennaam. Si l’on fait les comptes, le coût total d’utilisation (total cost of ownership) était, jusqu’à cet été, égal ou inférieur à celui d’une automobile à carburant, dans tous les segments. Actuellement, les prix élevés de l’énergie font grimper ce coût, le soutien du gouvernement sera donc critique pour les années à venir, afin d’atteindre l’objectif 2030.” L’adviseur public affairs d’ANWB fait allusion ici au caractère dégressif des aides ou incitants. “En moyenne, un véhicule électrique reste 10.000 euros plus cher qu’un modèle équivalent à carburant, 15.000 euros pour les modèles petits ou moyens.” En plus, les primes relèvent d’un budget plafonné. “Cette année, pour les voitures neuves, ce budget a été consommé en quatre mois. Il faudra donc attendre 2023 pour à nouveau en bénéficier.”

ANWB fournisseur d’énergie

L’ANWB, le Touring Club néerlandais, encourage activement l’électrification. Il commercialise une carte de recharge sur les bornes situées partout en Europe, propose sur son site unrouteplannerqui aide à organiser les longs trajets et des vidéos d’essais de modèles électriques, y compris quand il s’agit de tracter une remorque. Il est aussi fournisseur d’énergie. “Nous proposons une formule adaptée à la recharge, avec un tarif qui change d’heure en heure, précise Marco van Eenennaam. Cela permet de gérer les charges et de profiter des heures les moins chères. Il arrive que cela soit même gratuit, le dimanche après-midi par exemple, quand il y a beaucoup de vent et de soleil et peu de demande. Sur le marché de gros, les prix changent tout le temps. Les clients sont informés la veille du tarif heure par heure pour le lendemain.” L’adviseur public affairsde l’ANWB y voit des perspectives intéressantes si le chargement des véhicules devait un jour être bidirectionnel. “Vous pourriez alimenter la maison et le réseau (grid) avec le courant acheté aux heures de faible demande.

Marché de l’occasion insuffisant

L’homme voit un autre sérieux obstacle à une transition complète du parc. “La majorité des particuliers achètent des véhicules de seconde main. Mais les modèles disponibles sont souvent d’anciennes voitures de société, plus grandes que celles généralement recherchées en occasion. Des automobiles style Tesla vendues à 50.000 euros après 200.000 km, loin du modèle à 20.000 euros que recherche l’acheteur moyen”, analyse Marco van Eenennaam. La voiture la plus fréquente dans le parc néerlandais est une Tesla Model 3, vendue neuve 51.990 euros. “Nous ne sommes pas inquiets sur l’offre d’automobiles neuves. Mais pour réussir la transition, il faudra plus de modèles moyens sur le marché de l’occasion.” Un problème identique en Belgique.

Comment les Pays-Bas ont transformé leur pays en royaume de la voiture électrique

Le neuf actuel alimentant l’occasion demain, les quasi 300.000 exemplaires électriques déjà immatriculés suffiront-ils pour alimenter le marché d’ici quatre ou cinq ans? “De notre point de vue, c’est trop bas, estime Marco van Eenennaam. Le parc total fait 9 millions de véhicules.”

Le prix de l’occasion est aussi un problème. Mais pas pour le vendeur… “La valeur résiduelle est élevée, parfois plus élevée que pour un modèle à carburant, rappelle-t-il. Certes, il y a 10 ans, elle était de zéro après cinq ans. Mais la technologie est devenue très fiable et la dégradation des batteries moindre que ce qu’on pensait, même si elle reste difficile à vérifier. C’est d’ailleurs un souci, l’acheteur n’a pas la possibilité de vérifier la qualité d’une batterie d’une voiture de seconde main. Nous discutons avec le gouvernement pour qu’il mette en place un check standardisé de la batterie, garanti par un institut national. Cela se discute au niveau européen.” En attendant, ANWB vient de lancer son propre service en la matière, Accucheck, qui coûte 99 euros.

Les citadins plus réticents

On l’a dit, les Néerlandais sont donc plutôt favorables à l’auto électrique, malgré quelques réticences (lire l’encadré “Qu’en pensent les Néerlandais?” ci-dessous), le tarif élevé des véhicules, même subsidiés, et les incertitudes sur le coût des recharges. Mais la situation personnelle des utilisateurs, aussi, influence les opinions. “Nous pensions que la voiture électrique était surtout idéale en ville. Mais nous observons que ce sont ceux qui disposent d’une place de parking et peuvent recharger chez eux avec des panneaux solaires qui en tirent le plus grand bénéfice. Plus de 11% de ceux qui relèvent de cette catégorie ont une voiture électrique, alors que la moyenne est de 2%”, note Marco van Eenennaam. Pour eux, rouler électrique est vraiment intéressant, “car les recharges sont gratuites et il n’y a quasi pas de coût de maintenance, hormis quelques pièces d’usure”.

Nous avons pu, par hasard, vérifier cette remarque en visitant des amis aux Pays-Bas, à Roodeschool, dans la province de Groningue, dans l’extrême nord du pays. Rogier y habite avec son épouse, gère une petite entreprise de vente de thé sur internet, et roule en Renault Zoe ZE40 avec 300 km d’autonomie, ce qui lui suffit amplement pour circuler aux Pays-Bas. En outre, des panneaux solaires rechargent le véhicule durant la journée. La Zoe est sa deuxième électrique. “Il y a six ans, nous avions une Nissan Leaf et étions allés en France”, se souvient Rogier. Une galère, car le pays était alors fort peu équipé. “Nous avions rechargé sur des parkings de magasins, d’Ikea en Ikea”. Une expérience un peu stressante, mais qui ne l’a visiblement pas découragé.

Qu’en pensent les Néerlandais?

“Nous réalisons tous les ans une étude baptiséeElektrisch Rijden Monitor, qui montre que la grande majorité des particuliers estiment que l’auto électrique est le futur”, déclare Marco van Eenennaam, de l’ANWB. D’après la dernière édition (2021), l’enthousiasme n’est toutefois pas unanime, loin s’en faut. La part des personnes favorables à la voiture électrique (ceux qui ont envie d’en conduire une) a reculé de 38% à 36% entre 2017 et 2021. Mais elle reste plus élevée que la proportion des personnes qui s’y opposent, laquelle grimpe de 21% à 30%. La part des personnes neutres a, elle, diminué, de 41% à 34%, au profit des avis critiques. “Un avis de plus en plus clair se forme donc, mais pas en faveur de la conduite électrique. Le prix d’achat encore élevé contribue à cette attitude négative”, commente l’étude. La tendance est exactement la même en Belgique. Une récente étude de l’association Mobia, publiée le 21 septembre dernier, indique que “le nombre de personnes n’envisageant pas d’acheter une voiture électrique est passé de 49% à 60% en un an”. L’augmentation des prix explique en partie cette évolution préoccupante. Les incertitudes actuelles sur le coût de l’énergie n’arrangent rien.

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