Cocaïne : enquête au pays de l’or blanc
Le journaliste italien Roberto Saviano sort un livre coup de poing sur le trafic mondial de cocaïne. Un business estimé à 352 milliards de dollars.
“Ecrire à propos de la cocaïne, c’est comme en prendre. On veut plus de données, plus d’informations, et celles qu’on trouve sont si bonnes qu’on ne peut plus s’arrêter. On est accro.” Cette addiction, Roberto Saviano la partage avec ses lecteurs dans son nouveau livre choc, Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne (éditions Gallimard). Durant plus de cinq ans, le journaliste a enquêté sur le trafic de la drogue la plus populaire de la planète : la coke.
L’enquête, très fouillée, est en elle- même une véritable performance. Roberto Saviano est en effet traqué par la mafia et vit sous protection policière permanente depuis la publication de Gomorra (Gallimard, 2007). Cet ouvrage vendu à plus de 5 millions d’exemplaires dévoilait les pratiques de la Camorra, organisation mafieuse du sud de l’Italie, dans laquelle le journaliste s’était infiltré. Pour avoir révélé les noms des “capo” du clan, la tête de Roberto Saviano et celles de membres de sa famille ont été mises à prix. Depuis lors, les déplacements de l’auteur sont étroitement surveillés. Mais pour son enquête, il a bénéficié du soutien de nombreux services de police et magistrats, qui lui ont ouvert leurs dossiers et l’ont mis en contact avec des personnes clés.
Le résultat de cette immersion forme un récit nerveux, dense, parsemé d’anecdotes et de portraits hauts en couleur de ces narcotrafiquants qui dominent le commerce mondial de poudre blanche. Le business de la cocaïne a atteint une taille faramineuse. D’après des estimations citées par Roberto Saviano, le trafic annuel de coke pèse 352 milliards de dollars. Entre 788 et 1.060 tonnes de cocaïne sont produites chaque année. La baisse des prix de détail a soutenu la demande, en provenance d’abord des Etats-Unis et de l’Europe. “La cocaïne se vend plus facilement que l’or et ses bénéfices peuvent dépasser ceux du pétrole”, écrit Roberto Saviano.
En Colombie, qui reste l’un des principaux pays producteurs, le kilo de cocaïne est vendu 1.500 dollars, explique le journaliste. Lorsqu’il arrive au Mexique, plaque tournante du trafic en Amérique centrale, son prix atteint 12.000 à 16.000 dollars. Passé la frontière avec les Etats-Unis, le tarif grimpe à 27.000 dollars. Quand il débarque par bateau en Espagne, principale porte d’entrée européenne du trafic, le kilo de cocaïne se vend 46.000 dollars. Aux Pays-Bas : 47.000 dollars. Au Royaume-Uni : 77.000 dollars. La poudre est ensuite coupée : un kilo de cocaïne pure se transforme facilement en trois kilos de poudre blanche. Aux quatre coins de l’Europe, les dealers écoulent alors le produit à un tarif variant entre 60 et 100 dollars le gramme. “Celui qui contrôle toute la filière est l’homme le plus riche du monde”, conclut Roberto Saviano.
Les nouveaux maîtres de l’or blanc sont les narcotrafiquants mexicains. Après la chute des cartels de Medellin et de Cali, la Colombie a perdu son statut de leader mondial du trafic de coke. Les clans mexicains ont mis la main sur les circuits globaux de distribution de la précieuse marchandise. Particulièrement sanguinaires, les associations criminelles locales font régner la terreur dans la région, comme l’a encore révélé la disparition fin septembre de 43 étudiants mexicains, probablement assassinés par des policiers liés aux narcotrafiquants. Ils sont prêts à tout pour garder le contrôle du business de la coke. “C’est la guerre de la poudre blanche, une marchandise qui rapporte tellement d’argent qu’elle est plus dangereuse que les puits de pétrole”, souligne l’écrivain.
Economie souterraine pesant plusieurs centaines de milliards de dollars, le trafic de cocaïne a besoin des circuits économiques classiques pour écouler les sommes astronomiques brassées par les barons de la drogue. Suite à son enquête, Roberto Saviano conclut que les banques font office de gigantesques blanchisseuses d’argent sale. En toute impunité, ou presque, puisque les condamnations sont rares et les amendes loin d’être à la hauteur des montants en jeu. La Wachovia Bank est ainsi condamnée en 2011 à verser 160 millions de dollars au Trésor public américain pour avoir autorisé des transactions liées au trafic de drogue… alors que des enquêteurs ont découvert que plusieurs milliards de dollars ont transité par les caisses du cartel du Sinaloa (le plus important cartel mexicain) vers des comptes de la banque.
La thèse de Roberto Saviano va plus loin encore : selon le journaliste, l’argent de la drogue est en fait devenu un véritable soutien de la finance mondiale, particulièrement durant cette période de crise. “Les liquidités des mafias peuvent faire la différence et permettre au système financier de rester debout”, avance-t-il. Selon une étude universitaire citée par l’auteur, 97,4 % des profits générés par le trafic de drogue en Colombie sont injectés dans le circuit bancaire américain et européen. “Les prêts interbancaires ont systématiquement été financés par l’argent provenant du trafic de drogue et par d’autres activités illégales, pointe Roberto Saviano. Certaines banques ne doivent leur salut qu’à cet argent. Une grande partie des 352 milliards de narcodollars estimés a été absorbée par l’économie légale et donc parfaitement blanchie.”
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