C’était une mesure phare du gouvernement de Bart De Wever : la limitation dans le temps des allocations de chômage. Cette mesure commence à être appliquée ces jours-ci.
La loi a été publiée au Moniteur belge du 29 juillet, et les premières lettres vont être envoyées à partir du 15 septembre. D’ici quelques jours, environ 28.000 chômeurs de longue durée recevront une première lettre les avertissant qu’ils risquent de perdre leur droit au chômage. Trois questions se posent autour de cette mesure phare.
Combien d’exclus?
Selon L’Echo, l’Office national de l’emploi (Onem), se prépare à envoyer en tout 231.000 courriers, postaux ou digitaux (via l’ebox Citoyen), à partir de la mi-septembre. Confirmation auprès du cabinet de David Clarinval, le vice- Premier en charge de l’Emploi : “Effectivement, on parle de 231.000 courriers. Ce chiffre correspond au nombre de lettres qui seront envoyées afin d’informer les chômeurs que leur droit prendra fin à une date déterminée dans le futur. Il concerne donc l’ensemble des chômeurs bénéficiant d’allocations dans un système limité dans le temps.”
Ces 231.000 lettres ne signifient pas que l’Onem aurait revu ses estimations, car certains de ces plis toucheront des chômeurs qui auront repris un travail entre-temps ou entamé une formation, ou encore d’autres qui seront partis à la pension. L’Onem table toujours sur 180.000 à 190.000 personnes qui seront effectivement exclues du chômage d’ici à la fin du premier semestre de 2027. Le porte-parole de David Clarinval précise que “l’estimation (quelque 180.000 personnes, ndlr) concerne le nombre de personnes dont l’Onem estime qu’elles atteindront effectivement la fin de leur droit. Pour cette estimation, l’Onem ne tient compte que des schémas historiques normaux de sortie vers l’emploi, vers la pension, etc. Aucun effet positif éventuel lié à une reprise d’emploi, qui serait une conséquence de la réforme, n’a donc été pris en considération”.
Y a-t-il un aspect communautaire ?

Sur la VRT, en février, en présentant son programme gouvernemental, le Premier ministre Bart De Wever avait indiqué que “la réforme la plus communautaire que vous puissiez faire est de limiter le chômage dans le temps”. Une observation qu’il s’est gardé de répéter face aux médias francophones.
Que la réforme touche davantage les francophones, c’est un fait : selon une étude réalisée en juin par la FGTB, sur les 250 communes les plus touchées par les expulsions (au travers du pourcentage de la population totale de la commune qui serait affectée), seules six sont flamandes. À Bruxelles, Liège, Molenbeek, Saint-Gilles et Saint-Josse, on parle de 4%, voire plus, de la population qui serait ainsi exclue.
“L’analyse et la ventilation communale des données relatives aux futures exclusions du chômage démontrent une ‘hyper-surreprésentation’ des communes wallonnes et bruxelloises dans les communes les plus touchées, souligne le syndicat, qui se défend cependant de vouloir “établir une quelconque hiérarchie régionale”. “Le poids de l’exclusion est aussi lourd à porter que l’on vive au nord, au centre ou au sud du pays”, dit la FGTB.
Cette surreprésentation francophone se confirme d’ailleurs dans la première vague d’envois qui va partir ces jours-ci : sur les 28.000 premiers courriers, 23.000 environ seront envoyés à Bruxelles ou en Wallonie.
Le communautaire est partout
Que les Régions wallonne et bruxelloise soient les plus touchées n’est pas une surprise. La Flandre, avec un taux de chômage de 4,2% au premier trimestre, se trouve pratiquement au plein emploi. La Wallonie, avec 7,5% de chômage, n’y est évidemment pas. Et à Bruxelles, où l’on est à environ 14,5%, le problème est critique.
Cette différence communautaire n’est pas unique, souligne Philippe Ledent, senior economist chez ING Belgique. “D’un simple point de vue économique, il existe des différences importantes entre Régions dans de nombreux domaines, comme le marché du travail, le commerce extérieur ou le patrimoine, souligne notre interlocuteur. Toute politique économique aura donc un aspect communautaire. En raison de la distribution du patrimoine, la taxe sur les plus-values touchera davantage la Flandre. Tout changement en matière de voitures de société aura aussi plus d’impact en Flandre qu’en Wallonie. Cette différence n’est en rien un argument pour ne pas mener la politique en question. Mais cela montre à quel point, effectivement, certaines Régions sont marquées par un problème structurel”.

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Juger en fonction de sa pertinence
Étienne de Callataÿ, cofondateur et chief economist du gestionnaire d’actifs Orcadia, se trouve sur la même longueur d’onde : “La grille de lecture communautaire ne peut pas être appliquée ici. Je ne suis pas naïf. Une partie de l’électorat flamand, qui vote pour la N-VA ou qui est peut-être partie au Vlaams Belang, y sera sûrement sensible. Mais nous devons juger la mesure non en fonction de ses conséquences sur telle Région ou telle ville, mais en fonction de ce que nous pensons : est-ce une bonne ou une mauvaise mesure ? Dans d’autres domaines, comme le statut de chômeur pour les artistes, la situation profite davantage aux francophones.”
“Nous devons juger cette mesure non en fonction de ses conséquences sur telle Région ou telle ville, mais en fonction de sa pertinence.” – Étienne de Callataÿ (Orcadia)
Il pourrait y avoir un problème communautaire si l’on observait des passagers clandestins flamands dans les mesures d’accompagnement, ajoute Philippe Ledent. “Si la manne de compensation pour les CPAS (qui devront prendre en charge les exclus, ndlr) n’était pas répartie au regard de l’existence ou non de chômeurs de longue durée, il y aurait un problème. Par exemple, si le CPAS de Laethem-Saint-Martin, où il n’y a probablement aucun chômeur de longue durée, recevait des fonds de compensation.”
Alors, est-ce une bonne mesure ?
Pour nos deux économistes, cette limitation est une bonne mesure, même si elle doit être assortie d’autres décisions pour fluidifier le marché du travail et ne réglera pas à elle seule le problème des chômeurs sans qualification.
Le chômage n’a pas vocation à verser des allocations illimitées dans le temps, observe Étienne de Callataÿ : “Le chômeur, dit-il, est la personne qui est effectivement en recherche d’un travail. Ça ne veut pas dire qu’il faut abandonner la personne qui n’est pas en état de travailler, mais gardons le sens des mots. Le chômage, c’est pour la personne qui navigue entre deux boulots. Ce n’est pas un système conçu pour une indemnisation dans la durée.”
Philippe Ledent abonde dans le même sens. “Le chômage est une assurance et peut s’accompagner de ce qu’on appelle l’aléa moral : si l’on détient une assurance à vie, on est poussé à ne pas faire d’efforts. Pour les personnes qui sont aptes à être sur le marché du travail, qui constituent peut-être seulement un tiers des chômeurs, la limitation dans le temps devrait stimuler l’effort de recherche d’emploi. Si certaines communes sont davantage touchées, les mesures d’accompagnement doivent donc en tenir compte. Mais en aucun cas cela ne peut être un argument pour ne pas les prendre.”
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