Les professions créatives se retrouvent dans le viseur du gouvernement fédéral. Dans son accord budgétaire, le gouvernement envisage de supprimer les frais forfaitaires appliqués aux droits d’auteur, un avantage fiscal dont bénéficient artistes, auteurs, journalistes ou encore designers. Une mesure qui, si elle était confirmée, entrerait en vigueur en 2026 et pourrait entraîner des pertes allant jusqu’à 2.162 euros par contribuable, selon les calculs de L’Echo.
Aujourd’hui, les revenus de droits d’auteur sont taxés à 15 %, avec la possibilité d’opter pour des frais forfaitaires plutôt que réels. Le système prévoit un abattement de 50 % sur la première tranche de revenus (0 à 19.480 euros) et de 25 % entre 19.480 et 38.970 euros. Une mécanique pensée, rappelle Le Soir, pour compenser le décalage temporel entre les dépenses de création et la perception des revenus.
Si la suppression pure et simple de cet abattement forfaitaire se concrétise, l’ensemble des revenus serait imposé à 15 %, doublant de facto la charge fiscale pour ceux qui n’opteront pas pour les frais réels. Mais pour nombre de créateurs, ces dépenses sont diffuses, irrégulières et difficiles à documenter, rendant cette option peu praticable – autant pour eux que pour l’administration.
Concrètement, un artiste déclarant 10.000 euros de droits d’auteur paie aujourd’hui 750 euros d’impôts, puisqu’il n’est taxé que sur la moitié de ce montant (15%). En 2026, il devrait s’acquitter de 750 euros supplémentaires, l’intégralité du revenu étant soumise au taux de 15 %.
À 20.000 euros de revenus, la perte grimperait à 1.481 euros et continuera de grimper au fur et à mesure, jusqu’à atteindre le plafond de 2.162 euros, au-delà de 38.970 euros.
Un secteur qui se sent ciblé
Les réactions n’ont pas tardé. À la Sabam, qui représente les auteurs musicaux, on dénonce une mesure qui « mettrait davantage sous pression la situation déjà fragile des créateurs et créatrices ». L’organisation rappelle dans un communiqué que « les droits d’auteur ne sont pas une optimisation salariale ». Et pour 95 % de ses membres, qui perçoivent moins de 10.000 euros par an en droits d’auteur, la voie des frais réels n’est tout simplement « pas praticable », avec à la clé une baisse sensible du revenu net.
Même son de cloche à la Scam, Société civile des auteurs multimédia, et à la SACD, Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, qui parlent d’« effets indésirables, potentiellement désastreux » pour les auteurs de l’écrit et de l’audiovisuel. L’Association des Journalistes Professionnels (AJP), elle, demande explicitement au gouvernement et au Parlement fédéral de « ne PAS procéder à cette réforme », dans un communiqué.
Un cadeau aux programmeurs IT ?
Les sociétés d’auteurs voient également dans cette suppression un moyen de financer la réintroduction du régime favorable des droits d’auteur pour les programmeurs IT – développeurs et créateurs de logiciels – exclus du dispositif sous la coalition Vivaldi. Un retour qui devrait coûter plusieurs centaines de millions d’euros au gouvernement.
Dès lors, la SACD s’interroge : le gouvernement cherche-t-il à « limiter l’impact budgétaire » de ce cadeau fiscal en le compensant… sur le dos des artistes ?
Pourtant, le Conseil constitutionnel rappelait encore en mai 2024 la spécificité du « risque de précarité et des aléas » propres aux métiers artistiques, justifiant un traitement différencié.
En coulisses, une piste circule pour éviter une trop grande casse sociale : préserver au moins la première tranche d’abattement forfaitaire, celle qui concerne l’immense majorité des artistes. Reste à voir si, dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, cette solution survivra aux arbitrages finaux.