La fiscalité bruxelloise met à mal la reconversion d’Audi Forest : “La complexité fiscale et immobilière multiplient les taxes”

La chute d'Audi Brussels, plus qu'un symbole. © getty
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le Voka Metropolitan publie une étude démontrant que les coûts sont nettement plus élevés pour les entreprises dans la capitale, en comparaison avec la périphérie. Une difficulté de taille pour ces deux sites industriels en quête d’avenir : Audi Forest et Bruxelles Formation.

Quel avenir pour l’industrie en Région bruxelloise? La question est brûlante après la fermeture d’Audi à Forest et alors que le secteur secondaire se cherche une nouvelle jeunesse en Europe. Le site forestois est, avec celui de Schaerbeek Formation, un des endroits où la capitale espère recréer des pôles pour accueillir des entreprises actives dans la logistique, la défense ou les technologies. Il y a pourtant un obstacle de taille: la fiscalité! 

Le Voka Metropolitan, représentant le patronat flamand à Bruxelles, tire la sonnette d’alarme dans une étude réalisée par le bureau de consultance Ayming, qui analyse les charges fiscales susceptibles de peser sur une entreprise choisissant l’un des deux sites, en comparaison avec la périphérie proche. 

“Nous avons analysé le coût fiscal et l’attractivité de Forest, comparée à Drogenbos et à Sint-Pieters-Leeuw, deux communes limitrophes, explique René Konings, directeur du Voka Metropolitan. Le site d’Audi touche littéralement ces deux territoires. Nous avons effectué le même exercice pour Schaerbeek-Formation, en la comparant cette fois avec Vilvorde et Machelen. La conclusion est particulièrement sévère pour le site d’Audi: la facture fiscale y est trois fois plus élevée que celle de Drogenbos et Sint-Pieters-Leeuw, situées à seulement quelques dizaines de mètres.  Schaerbeek-Formation présente également un coût supérieur à celui de Vilvorde et Machelen, mais l’écart y est plus limité — un peu moins de 50 % plus cher.” 

En tout état de cause, dans les deux cas, ce constat pourrait s’avérer prohibitif pour les industries désireuses de s’y installer. 

Une lame de fond 

Ce n’est pas la première fois que le Voka Metropolitan et Ayming mettent le doigt sur le désavantage concurrentiel de la capitale par rapport à son hinterland.  

“Nous avions déjà travaillé ensemble sur la fiscalité pesant sur les bureaux, explique René Konings. Jusqu’il y a une dizaine d’années, un grand nombre de multinationales s’étaient installées le long des boulevards entre la place Meiser et l’aéroport de Bruxelles National, par exemple. La plupart se sont délocalisées vers Machelen, Diegem ou Zaventem. La raison principale, c’était déjà la fiscalité. Pour une entreprise de bureau moyenne, là où cela coûte 65000 euros à Zaventem, contre 280 000 euros à Schaerbeek ou Evere. C’est trois à quatre fois plus cher!” 

Face à l’ambition exprimée par le politique, notamment en lien avec les sites d’Audi Forest et de Schaerbeek Formation, il était naturel de procéder à la même comparaison, cette fois en lien avec la fiscalité ad hoc pour l’industrie et la logistique. 

“Nous avons comparé des entreprises similaires”, explique Dorian Clémant, conseiller chez Ayming. À Bruxelles, la complexité fiscale et immobilière multiplient les taxes. Chaque commune, en vertu de son autonomie fiscale, peut décider d’une série de prélèvements. Au niveau régional, il y a la fameuse taxe sur les surfaces non affectées à la résidence qui n’est pas applicable en périphérie. À cela s’ajoute le précompte immobilier d’application sur tout le territoire, avec des centimes additionnels qui varient d’une commune à l’autre. Cet amoncellement est préjudiciable par rapport à des communes voisines où, parfois, seul le précompte s’applique.” 

Une base fiscale en chute 

Le surendettement des pouvoirs publics et la complexité institutionnelle de la Région jouent donc un rôle majeur dans ce constat. 

“Bien sûr, la situation budgétaire des pouvoirs publics n’est pas bonne à Bruxelles”, acquiesce René Konings. Mais le point de départ, c’est que la base fiscale a tendance à se réduire. Or, en haussant les taxes, on risque de diminuer encore cette base fiscale. Quelle sera la réaction des entreprises? Elles déménageront encore, parfois à quelques centaines de mètres de la Région. Les entreprises qui resteront risquent, quant à elles, de recruter moins de travailleurs.” 

Des sites à haut potentiel industriel comme les deux qui sont étudiés représentent pourtant un atout majeur pour la ville. “Cela offre l’opportunité de garder des industries dans la Région ou d’en réinstaller, acquiesce le directeur de Voka Metropolitan. Or, le taux de chômage est important et cela peut créer des emplois moins qualifiés, le long du canal. Des techniciens d’ascenseurs, des chauffagistes, que sais-je… Pour cela, il faut l’envie d’attirer des investisseurs.” 

Quand Renault a fermé sa giga-entreprise de Vilvorde, le site avait été réinventé. Il pourrait en aller de même pour Audi à Forest. “Des noms ont été cités pour reprendre le site, des acheteurs ont déjà été cités, cela prendra quelques années pour dépolluer, mais il faudrait être prêt, y compris au niveau de la fiscalité. On en est loin…” 

Y’a-t-il un “coupable parfait” ?

Y’a-t-il un “coupable parfait” à cet état de fait? “De façon neutre et objective, on peut constater que les communes vont mener des politiques spécifiques sur leur territoire, qui représentent un montant plus ou moins important, répond Dorian Clément. Il n’y a pas de ‘coupable idéal’, c’est au cas par cas. Le constat que l’on pose, c’est vraiment l’amoncellement des taxes et des décisions. Chaque niveau de pouvoir est concerné.” 

Qui, au fond, pourrait décider de baisser cette fiscalité pour de tels lieux stratégiques? “Il faut avoir une ambition commune au niveau bruxellois, prolonge René Konings. Ce ne devrait pas être impossible: ce sont pratiquement les mêmes partis politiques que l’on retrouve à tous les niveaux de pouvoir. Ils pourraient s’entendre au niveau de la conférence des bourgmestres sur le fait que la fiscalité est primordiale pour développer la Région. Premièrement, on pourrait uniformiser cela entre les entités: il n’est pas normal que l’on ne paie pas la même chose selon le code postal. Ensuite, on pourrait réduire le handicap par rapport au Brabant flamand et au Brabant wallon. Trop d’impôts tue l’impôt.” Si un écart entre la ville, qui offre bien des services, et la périphérie peut se justifier, il ne peut pas être à ce point important. 

Le patronat flamand, version bruxelloise, ne se prononce pas sur une fusion des communes, mais plaide pour un projet économique harmonieux. Deux constats, encore. Pour prendre des mesures, encore faudrait-il avoir un gouvernement régional de plein exercice, alors que le blocage persiste. Enfin, certaines communes sont dirigées par une alliance entre le PS, Ecolo et le PTB, ce qui n’aide pas à favoriser une approche fiscale accueillante pour les entreprises. C’est le cas… de Forest.  

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