Bruno Colmant: “Les prochains gouvernements devront immanquablement lever des impôts”
L’économiste Bruno Colmant s’étonne d’une campagne électorale curieuse et met en garde contre l’accélération des crises, dans un contexte budgétaire difficile. La fiscalité sera une clé. “On paye quatre ans d’immobilisme”, dit-il.
Dans le prolongement du livre “La Belgique de demain” (éd. Mardaga), nous jetons un regard avec l’économiste Bruno Colmant sur la campagne électorale qui a débuté. “Non seulement les prochains gouvernements seront compliqués à mettre en oeuvre, mais ils devront en outre prendre des mesures très impopulaires”, prévient-il.
La campagne électorale, qui vient de débuter, est étrange. Les extrêmes droite et gauche progressent fortement dans les sondages. Leur discours dominent le débat public en évoquant un prétendu “grand remplacement” ou un “grand déclassement”, comme si notre modèle était forcément en déclin. Bien sûr, il y a des défis énormes, mais ils forcent le trait, non? Percevez-vous cela comme ça?
Oui, je perçois que cette progression des deux partis extrémistes, combiné au cordon sanitaire, annoncent le choix d’un gouvernement par défaut, qui sera peut-être même minoritaire. La question que je me pose, dès lors, c’est comment ce gouvernement pourrait faire mieux que celui qui n’a rien fait, ou peu de choses, pendant quatre ans. Cela m’oriente vers l’idée que la clé de cette élection, c’est la N-VA, qui devra soit trahir la Belgique en s’alliant avec le Vlaams Belang en Flandre, soit trahir la Flandre en faisant un gouvernement idéologique de droite au fédéral. En tout état de cause, ce sera compliqué pour Bart De Wever.
Plus le Vlaams Belang sera haut, plus la pression sera forte.
Plus il sera haut, plus on rappelera à la N-VA qu’elle a un projet confédéral fort, c’est évident. Ce sera une situation schizophrénique pour le parti.
En tout état de cause, si on ne se réveille pas, on risque d’avoir un gouvernement qui manque de clarté ou d’ambition, non?
Oui, vous avez raison. Les programmes des partis n’abordent pas assez les immenses défis que l’on devra affronter. Une réforme fiscale s’imposera et rien ne dit que le projet du ministre Van Peteghem en sera la base de départ. Une réforme de pensions devra être menée, plutôt dans le but d’une plus grand égalité et de revalorisation des petites pensions. Une réforme du marché du travail, enfin, sera compliquée parce que les différences sont importantes entre la Flandre, Bruxelles et la Wallonie. Ce sera très compliqué.
Sachant que la question budgétaire revient à l’avant-plan. Alexia Betrand, secrétaire d’Etat au budget, rappelait ce week-end encore qu’il faudrait trouver 5 à 6 milliards chaque année. Or, les partis continuent à faire des promesses à coups de milliards…
Les prochains gouvernement devront immanquablement lever de nouveaux impôts, je le dis depuis des mois. C’est l’évidence, si on ne veut pas réduire drastiquement les dépenses sociales. La fiscalité sur le capital va augmenter, c’est certain.
Qui que ce soit à la manoeuvre?
Oui, ils devront le faire, qui que ce soit. On donne l’impression que c’est lointain en affirmant que l’on taxerait les gens disposant de plus de 5 millions d’euros – je n’en connais pas beaucoup… A mon sens, ce sera une taxation avec un seuil beaucoup plus bas que cela, sur les revenus du capital ou sur le capital lui-même. La fiscalité sur le travail ne peut pas bouger beaucoup, a fortiori dans une Flandre quasiment au plein emploi. Si l’on ajoute à cela un retournement économique, notamment lié à ce qui se passe aux Etats-Unis, tout va être fortement compliqué. On devra augmenter des impôts sur une base fiscale en baisse. Pas simple, hein…
On paye la générosité du Covid?
Il y a de cela, oui. Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie, le dit aussi: on doit arrêter de signer des chèques en blanc parce qu’il n’y a plus d’argent pour les payer. Mais chez nous, on paye aussi quatre ans d’immobilisme. Une réforme de la fisalité, cela prend du temps à faire, c’est un long mouvement, il faut que les comportements s’adaptent. Même la préparation n’a pas été suffisante: ce n’est pas comme si les arrêtés royaux étaient prêts à être signés, cela reste très théorique.
Non seulement les prochains gouvernements seront compliqués à mettre en oeuvre, mais ils devront en outre prendre des mesures très impopulaires.
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