Le gouvernement est parvenu à un accord fin novembre, mais le chemin de la rédemption budgétaire est encore long. Et pour le franchir, il faudra la confiance des entreprises et des consommateurs, et un alignement des planètes.
À quoi faudra-t-il faire attention en Belgique en 2026 ? Si l’on excepte les cygnes noirs qui, par définition, sont imprévisibles, voici les points qui mériteront une attention spéciale : les finances publiques, la croissance, la consommation et le marché de l’emploi.
Les quatre points sont liés. Voici quelques semaines, la Commission européenne jetait un froid en assombrissant ses perspectives budgétaires pour notre pays. Elle prévoyait un déficit public de 5,3% du PIB en 2025, 5,5% en 2026 et 5,9% en 2027. Mais peu après, à la surprise générale, les divers partenaires du gouvernement concluaient un accord budgétaire.
Une trajectoire tracée, mais pas certaine
C’est donc une première étape, mais le problème n’est pas résolu pour autant : encore faut-il que les hypothèses couchées sur papier se concrétisent. Dans les mois qui viennent, la trajectoire des finances publiques restera donc un sujet de préoccupation majeur. Car de nombreuses inconnues peuvent venir flouter le tableau, sur le plan international ou national. Les consommateurs resteront-ils aussi confiants que ces derniers mois ? Les entreprises embaucheront-elles ? L’objectif d’atteindre un taux d’emploi de 80% est-il réalisable ? Une hausse des taux ne risque-t-elle pas de réduire les efforts à néant ?
Si l’on compare les situations de la Belgique et de la France, les deux cancres budgétaires de l’Europe, notre situation est toutefois un peu plus enviable. “La Belgique bénéficie d’un avantage comparatif : l’existence d’un gouvernement de plein exercice, capable de mettre des réformes en œuvre s’il le veut, ce qui n’est pas le cas en France”, rappelle Charlotte de Montpellier, économiste senior chez ING Belgique. Cette crédibilité a toutefois failli être entamée lorsque les négociations ont patiné et que le Premier ministre Bart De Wever s’est rendu chez le Roi. Mais l’accord finalement intervenu montre qu’au moins, au niveau des partenaires du gouvernement fédéral, le message sur la crédibilité a été entendu.
9,2 milliards d’euros d’efforts
Le plan gouvernemental prévoit, rappelons-le, un effort de 9,2 milliards d’euros, étalé jusqu’en 2029. Un effort méritoire, mais qui ne suffira pas, avertit Philippe Ledent, économiste senior chez ING Belgique. “Ensemble, ces mesures devraient générer des économies budgétaires de 2,1 milliards d’euros en 2026, 4 milliards en 2027, 4,7 milliards en 2028 et plus de 9 milliards en 2029, note-t-il. La majeure partie des gains à court terme proviendra de la hausse de la fiscalité, tandis que les réformes structurelles auront un impact plus progressif.”
Résultat : le déficit baissera très lentement et n’atteindra 4 à 4,5% qu’en 2029, ce qui est encore loin de l’objectif ultime des 3%.
Stabiliser la dette publique requerra donc un effort supplémentaire de l’équivalent de 1% du PIB, estime Philippe Ledent. Il faudra encore d’autres conclaves budgétaires.
Le déficit baissera très lentement et n’atteindra 4 à 4,5% qu’en 2029, ce qui est encore loin de l’objectif ultime des 3%.
Une performance réalisable
Un effort aujourd’hui et un autre supplémentaire demain… L’économie belge pourra-t-elle le supporter ? “C’est réalisable, répond Koen De Leus, l’économiste en chef de BNP Paribas Fortis. On nous demande au niveau européen de réduire notre déficit primaire (donc hors charge d’intérêt) de 0,7 point de PIB si l’on désire étaler notre effort sur quatre ans, ou de 0,5 point si l’on veut l’étaler sur sept ans. Ce sont des efforts importants, mais pas impossibles à réaliser si l’on se reporte à ceux qui ont été effectués dans le passé.”
Koen De Leus rappelle que notre pays a en effet connu dans l’histoire récente deux périodes de sérieux assainissement budgétaire : celle de 1982-1987 et celle de 1992-1998. “Entre 1982 et 1987, dit-il, nous avons assisté chaque année à une diminution de la balance primaire de 1,2 point de pourcentage, ce qui est énorme. Pour les six années comprises entre 1992-98, l’effort a été de 0,7 point de PIB par an.”

Or, si nous voulons remettre nos finances publiques sur les rails sur une période de sept ans, un délai que permet la Commission européenne, nous devrons réaliser un effort équivalent à 0,5% du PIB.
Nous avions déjà fait davantage au début dans les années 1980 et les années 1990. Mais nous partons aujourd’hui avec quelques handicaps par rapport au passé. Puisque nous sommes désormais membres d’une union monétaire, nous ne pouvons plus faire jouer la dévaluation, comme en 1982. Et les paramètres se sont aggravés et exercent une pression supplémentaire tant au niveau des dépenses que des recettes. Côté dépenses, il y a le vieillissement de la population et les nécessités de la défense. Côté recette, la pression fiscale belge semble avoir atteint un plafond.
Réduire le déficit par une diminution des dépenses
Mais là encore, ce n’est pas insurmontable. En étudiant les redressements budgétaires entrepris par les pays de l’OCDE entre 2000 et 2020, “ce qui est remarquable, c’est que, dans la plupart des cas, la réduction du déficit a été réalisée par une diminution des dépenses, non par une augmentation des revenus”, précise Koen De Leus.
La question est d’autant plus sensible si l’on prend en considération l’évolution à la hausse des taux d’intérêt. Les estimations tablent sur une montée importante de la charge pour le trésor public, avec une charge doublant entre 2023 et 2032, pour passer de 1,8 à 3,6% du PIB (avec des taux longs stables tournant autour de 3,5%).
Cela signifie qu’en termes budgétaires, nous n’avons pas droit à l’erreur. “Aujourd’hui, rappelle Charlotte de Montpellier, nous sommes dans une situation où même si nous ne tenons pas compte des intérêts, nous sommes en déficit. Si nous devons faire face à une telle charge d’intérêt dans le futur, nous ne pouvons pas creuser d’autres trous.” Le chemin budgétaire est donc balisé, mais il sera semé d’embûches.
Des interrogations sur la croissance
Cette austérité budgétaire aura un impact sur l’économie réelle. “Soyons clairs, poursuit Charlotte de Montpellier, cela veut dire que la politique budgétaire devra devenir plus restrictive d’une façon ou d’une autre. Et ça va avoir un impact économique : cela ralentira le dynamisme.”
Déjà, les prévisions de croissance pour notre pays tournent autour de 1,1% l’an prochain, alors que la moyenne de la zone euro devrait afficher une performance un brin supérieure, de 1,4% selon de nombreux observateurs.
Mais ces estimations sont réalisées au doigt mouillé. “Il y a beaucoup d’incertitudes au niveau de la croissance”, observe Koen De Leus. Un grand point d’interrogation concerne la poursuite ou non de la politique tarifaire de Donald Trump, parce que la Cour suprême américaine se penche sur le sujet. Un autre concerne la mise en œuvre du gigantesque plan d’investissement allemand. “C’est un plan dont l’ampleur dépasse celui du plan Marshall, souligne Koen De Leus. Mais on ne sait pas très bien s’il sera implémenté en 2026.”
De toute façon, même si l’Allemagne lançait vraiment son plan l’an prochain, il faudrait encore un peu de temps avant que ses effets se fassent sentir chez nous. “On estime qu’effectivement l’impact sera positif pour l’économie belge en 2027, mais pas avant, parce qu’il y a une certaine inertie, on le voit bien dans la mise en place de ce plan aujourd’hui”, affirme Bernard Keppenne, le chief economist de CBC Banque.

Un taux d’emploi de 80% ?
Deux grandes inconnues au niveau belge pèseront en outre sur la croissance l’an prochain, poursuit-il. “La première concerne l’impact sur la croissance des dernières mesures du gouvernement, impact sur lequel il est évidemment trop tôt pour se prononcer, poursuit l’économiste. Mais cela pourrait avoir un effet négatif. Très clairement, le gouvernement a décidé d’une augmentation des impôts plutôt que d’une réduction des dépenses. Or, on sait, qu’une politique d’austérité tournée vers une augmentation des impôts, engendre un effet négatif sur la croissance. La seconde inconnue concerne la réforme du marché de l’emploi. On sait qu’elle aura un impact négatif et qu’elle touchera davantage la Wallonie que la Flandre.”
“Une politique d’austérité tournée vers une augmentation des impôts, engendre un effet négatif sur la croissance.” – Bernard Keppenne (CBC Banque)
Mais on ignore l’ampleur du choc qui consiste à désormais limiter la durée des allocations de chômage dans le temps, ce qui devrait toucher, selon les chiffres de l’Onem, 185.000 personnes, dont plus de 100.000 en Wallonie.
“Une étude est souvent citée, observe Charlotte de Montpellier, selon laquelle, dans des cas similaires, un tiers des chômeurs] retourne vers le marché du travail, un tiers se retrouve dans des situations où ils font appel à l’aide sociale. Quant au dernier tiers, on ne sait pas très bien ce qu’il devient, certains disparaissent des statistiques parce qu’ils considéraient ces allocations plutôt comme un confort. Il n’y a pas de raison de penser que ces trois tiers ne se retrouvent pas aujourd’hui dans les personnes concernées par la mesure .”
Remettre au travail 100.000 malades de longue durée
Parallèlement, le gouvernement veut également remettre au travail 100.000 des 550.000 malades de longue durée que compte le pays.
C’est donc à une démarche très volontariste pour secouer le marché de l’emploi à laquelle nous allons assister. Et les institutions internationales, OCDE en tête, nous la demandaient depuis longtemps.
Et cela se comprend : “Le problème de notre faible taux d’emploi n’est pas seulement son coût en allocations de chômage, c’est aussi que ces gens ne participent pas à la génération d’activité et à la génération de revenus pour l’État. C’est donc une double voire une triple peine”, explique Charlotte de Montpellier.
Mais l’objectif du gouvernement est très, très ambitieux. “Par le passé, sur une période de quatre ans, la Belgique n’a jamais réussi à dépasser 300.000 créations d’emplois, rappelle Koen De Leus. Or, pour arriver à l’objectif du gouvernement, un taux d’emploi de 80% d’ici 2030, nous devons créer 500.000 emplois.” Il sera très difficile d’atteindre cet objectif. On scrutera donc avec attention le marché de l’emploi en 2026.
Les ménages resteront-ils confiants ?
Et puis, il faudra aussi tenir à l’œil un autre indice dans les mois qui viennent : celui de la confiance des consommateurs. Une des questions qui taraudent aujourd’hui les économistes est en effet celle-ci : mais pourquoi donc le taux de confiance des ménages est-il particulièrement élevé ces derniers mois ? Car dans une situation où la guerre se trouve aux portes de l’Union européenne, où la guerre commerciale est déclarée par les États-Unis, où les dépenses publiques font des embardées inquiétantes, il est étonnant de voir, selon le baromètre de la Banque nationale, des consommateurs belges affichant une confiance supérieure à la moyenne historique et tirée spécialement par le fait que les Belges espèrent pouvoir épargner davantage.

“C’est difficile à comprendre, observe Charlotte de Montpellier, mais je pense qu’un élément qui joue est la baisse des prix de l’énergie. Le fait de voir diminuer ses factures de chauffage et de carburant tend à rendre les gens plus optimistes. Malgré les alertes, l’économie belge continue d’afficher une surprenante solidité, portée notamment par la consommation : depuis la deuxième moitié de 2024, chaque trimestre, la consommation des ménages croît de manière très dynamique, de l’ordre de 2,5 à 3% en glissement annuel. Et c’est énorme.”
“Malgré les alertes, l’économie belge continue d’afficher une surprenante solidité, portée notamment par la consommation.” – Charlotte de Montpellier (ING)
Enormément d’inconnues sur les impacts réels
Toutefois, comme tout est dans tout, les dernières mesures de l’Arizona ne risquent-t-elle pas de plomber cet optimisme ? “Il y a énormément d’inconnues sur les impacts réels des mesures du gouvernement, observe Bernard Keppenne. Il y a notamment cette interrogation sur l’effet du saut d’index sur les salaires de plus de 4.000 euros bruts. Ne risque-t-il pas de peser sur la consommation, donc sur la croissance, et de réduire les recettes de la TVA pour l’État ? Nous sommes dans le flou total.”
L’économiste poursuit : “Je pense que c’est un élément qui pourrait peser effectivement sur la consommation. Nous avons des taux d’épargne qui ont tendance, globalement, à augmenter en Europe. Les ménages sont très optimistes quant à leur capacité à épargner. Si le taux d’épargne des Belges continue à augmenter, cela pourrait être un frein à la consommation. Et donc, inéluctablement, ça va peser sur l’activité économique.” Car la consommation représente plus de la moitié du PIB du pays.
Les perspectives belges pour l’année qui débute sont donc nébuleuses, et l’on s’apprête à avoir l’œil rivé aux cadrans reflétant l’état de l’économie. Car aujourd’hui, personne ne sait avec certitude où iront les taux, quel sera le déficit public, le moral des ménages et des entreprises, ni comment se comportera le marché de l’emploi.
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