Une étude de l’ULB révèle des convergences inattendues entre patronat, syndicats, administrations bruxelloises et tissu associatif. Au-delà des clivages idéologiques, des priorités communes émergent.
Alors que Bruxelles entame 2026 sans gouvernement de plein exercice, une enquête académique menée par Marek Hudon et Sandrine Meyer (Solvay Brussels School, ULB) auprès de 45 décideurs économiques bruxellois apporte un éclairage inattendu : malgré leurs divergences, les différents acteurs présents à Bruxelles s’accordent sur plusieurs priorités essentielles.
Trois visions, mais des points d’ancrage communs
L’étude, réalisée en décembre, a sollicité 17 administrations, huit fédérations d’entreprises, six syndicats et divers représentants de l’économie sociale et associative. Chaque répondant a dû se prononcer sur 49 affirmations économiques volontairement clivantes.
L’analyse de leurs réponses a identifié trois visions distinctes.
Le premier groupe, qualifié d'”économie systémique”, privilégie l’articulation entre objectifs sociaux et environnementaux. Il fédère 17 personnes, essentiellement issues des administrations publiques, de l’économie sociale et du monde associatif.
Le deuxième courant s’organise autour du marché et de l’entreprise privée. Une dizaine de répondants s’y reconnaissent, principalement des représentants patronaux, auxquels s’ajoutent quelques administratifs.
Enfin, la troisième orientation, baptisée “redistributive”, compte une quinzaine d’adhérents, dominée par les organisations syndicales et certaines administrations.
Des agendas qui divergent fortement
Ces trois familles n’affichent pas du tout les mêmes priorités d’action. Le camp systémique place en tête trois exigences : subordonner les aides publiques aux entreprises à des critères de durabilité, renforcer le soutien régional à l’économie sociale, et obtenir une contribution fédérale accrue pour compenser les charges de capitale.
De leur côté, les tenants du marché inscrivent en première urgence le désendettement accéléré de la Région. Suivent deux autres objectifs : améliorer le taux d’emploi des Bruxellois et alléger les procédures administratives. Ce groupe plaide également pour une réduction des coûts de fonctionnement des structures publiques afin d’assainir les comptes régionaux.
Les redistributifs, eux, établissent une hiérarchie différente : créer un nouveau système de redistribution des richesses générées dans la capitale figure en tête, suivi d’une meilleure participation financière de l’État fédéral. Viennent ensuite la régulation renforcée des plateformes numériques (Airbnb, Uber…) jugées déstabilisantes pour le tissu économique local, l’instauration d’un mécanisme de retour financier pour les entreprises prospères ayant bénéficié de fonds publics, et l’introduction de nouvelles taxes visant les utilisateurs non-résidents de la Région.
Mais au-delà de ces clivages, des convergences solides émergent.
Unis dans le rejet de certaines mesures
L’intérêt majeur de l’enquête réside en effet dans l’identification des consensus. Et ils sont plus nombreux qu’attendu.
Les trois courants se rejoignent d’abord dans leur opposition nette à quatre propositions. Aucun ne considère l’économie sociale comme une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des acteurs économiques traditionnels. Tous rejettent l’idée d’accorder davantage d’espace à l’automobile dans la stratégie de mobilité régionale. Le développement d’un secteur industriel de défense à Bruxelles ne suscite l’enthousiasme d’aucun groupe. Enfin, l’achèvement du prolongement du métro ne fait pas figure de priorité budgétaire incontournable.
Et des priorités partagées
Au-delà de ces refus communs, plusieurs orientations positives recueillent un large soutien. L’amélioration du taux d’emploi des Bruxellois figure en tête des préoccupations transversales. Le renforcement des liaisons de transport public avec la périphérie fait également consensus.
D’autres convergences émergent, même si elles génèrent des adhésions statistiquement moins marquées. Le soutien aux PME doit primer sur celui accordé aux grandes structures – une position qui s’explique, selon Marek Hudon, par la vulnérabilité accrue de ces entreprises dans le contexte d’incertitude économique actuel.
La fiscalité communale et régionale devrait favoriser les activités génératrices d’emploi local. La simplification des permis de travail pour les travailleurs étrangers apparaît également comme un levier d’action souhaitable. Enfin, l’attraction d’entreprises internationales et la garantie de qualité des travaux de rénovation via la labellisation des professionnels recueillent un soutien appréciable.
Un message clair au formateur
On le constate, les divergences n’empêchent pas l’existence d’un socle commun substantiel. “Il existe déjà des points d’appui solides pour construire des compromis économiques à Bruxelles”, insistent les auteurs. Un signal politique clair envoyé au formateur Yvan Verougstraete, mais aussi un message d’espoir. L’accord est peut-être plus proche qu’on ne le pense.