Notre troisième place, nous la devons aussi à Jean-Marc Bosman

Amid Faljaoui, Rédacteur en chef de Trends-Tendances

Le monde entier le sait maintenant : tout en étant un petit pays de 11 millions d’habitants, la Belgique s’est hissée à la troisième place de la dernière Coupe du Monde de football. Question pub, difficile de faire mieux. La Belgique n’a plié que devant la France, pays plus grand, plus riche et six fois plus peuplé. Mais par ailleurs, la même Belgique a réussi l’exploit d’éliminer le Brésil, un géant économique et démographique avec une population de 200 millions d’habitants. Et si on regarde les finalistes de cette Coupe du Monde, on voit que la Croatie, pays encore plus petit que la Belgique avec 4 millions d’habitants a réussi un score tout aussi fantastique.

La leçon finale de cette Coupe du monde est assez simple même si elle n’apparaît pas au premier coup d’oeil : c’est l’inégalité absolue du football professionnel qui nourrit l’égalité étonnante de cette compétition.

Mes confrères du journal Le Monde se sont posé la question de savoir comment expliquer ces résultats ? Comment dire, après cela, que le football n’est pas un sport qui donne sa chance à tout le monde, pour les petits comme pour les grands ? Mais reste surtout à expliquer cette démocratie au niveau des nations alors qu’entre les clubs professionnels, c’est l’inégalité la plus complète. Après tout, la Belgique (pas plus que la Croatie) n’a pas de club de haut niveau. Le Monde remarque que le plus titré des clubs belges – le Sporting d’Anderlecht – a quitté depuis longtemps le sommet européen et qu’un seul de ses joueurs figurait dans notre sélection nationale lors de la Coupe du Monde.

Alors, comment expliquer l’inégalité qui existe entre les clubs et l’égalité qui prévaut – du moins en apparence – entre les nations ? La réponse tient, selon Branko Milanovic, un économiste qui s’est penché sur ce sujet, à un arrêt. Le fameux ” arrêt Bosman ” rendu par la Cour de justice européenne en 1995 (*). Avant cet arrêt, la plupart des joueurs exerçaient leurs talents dans un club de leur pays qui ne pouvait recruter que deux ou trois joueurs internationaux. En clair, ” les petits clubs comme les gros pouvaient se servir dans un vivier limité et la qualité des équipes était donc assez proche “, selon Le Monde.

Mais depuis la publication de l’arrêt Bosman, les clubs peuvent recruter autant de joueurs étrangers qu’ils le souhaitent. Et voilà comment cet arrêt Bosman, couplé avec la hausse des droits de retransmission à la télévision, a permis aux salaires des meilleurs joueurs d’exploser. Voilà aussi pourquoi aujourd’hui, les clubs les plus riches attirent les joueurs les plus doués. En quelque sorte, l’arrêt Bosman a été le véritable point de départ de la marchandisation des joueurs de foot. En effet, cette libre circulation des joueurs a permis aux plus talentueux de changer librement de club et de s’enrichir au passage.

L’arrêt Bosman explique pourquoi les clubs les plus riches sont toujours au top des classements. Au niveau de la Coupe du Monde, cet avantage n’existe évidemment pas : un joueur doit toujours détenir la nationalité du pays pour lequel il joue. Mieux encore : sauf exception, il ne peut représenter qu’un seul pays au cours de sa carrière et doit prouver ” un lien évident ” avec son nouveau pays en cas de naturalisation. Ceci afin d’éviter les naturalisations de complaisance. Le résultat est visible : sur les 23 joueurs sélectionnés de l’équipe nationale belge, 13 évoluent dans des clubs britanniques !

Au final, notre magnifique petit pays peut faire évoluer des stars du foot international sans devoir les payer des sommes astronomiques. Pas mal, non ? Le Monde a donc raison de souligner que ce système de la Coupe du Monde imposant d’avoir la nationalité du pays est en fait très avantageux pour les petits pays car il permet à ses joueurs nationaux de se perfectionner à l’étranger, dans les meilleurs clubs du monde. Bref, c’est la mondialisation économique au service de la nation.

La leçon finale de cette coupe du Monde est assez simple même si elle n’apparaît pas au premier coup d’oeil : c’est l’inégalité absolue du football professionnel qui nourrit l’égalité étonnante de la Coupe du Monde. Le seul bémol, c’est que cela condamne un petit pays comme la Belgique à ne vibrer qu’une fois tous les quatre ans, indique encore Le Monde. Mais bon, nous n’allons pas bouder notre plaisir avec cette troisième place largement méritée et qui a permis de faire renaître un peu notre fibre nationale. z

(*) L’arrêt Bosman tire son nom du joueur belge Jean-Marc Bosman qui évoluait au RFC Liège. Il avait saisi la Cour de justice européenne car son club s’opposait à son souhait de rejoindre Dunkerque en D2 française. La Cour lui avait donné raison et les clubs durent ensuite se conformer à cette jurisprudence qui stipule qu’un joueur peut mener sa carrière là où il le souhaite.

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