Netflix en Belgique: le bilan des six mois
En septembre dernier, l’arrivée de Netflix en Belgique avait été annoncée comme “un véritable séisme audiovisuel”. Six mois plus tard, force est de constater que le géant américain n’a pas vraiment bousculé les habitudes de consommation des téléspectateurs belges. Explications.
Dans quelques jours, Netflix fêtera les six premiers mois de son existence sur le territoire belge. Fêter est un bien grand mot. Car le spécialiste américain de la diffusion de films et de séries en streaming se montre réservé, pour ne pas dire hermétique à la presse. Zéro communication. Pas de chiffres. Pas l’ombre d’une estimation quant au nombre de ses abonnés belges. Interpellant, ce mutisme zélé laisse évidemment la porte ouverte à toutes les interprétations. Le géant américain aurait-il raté son lancement en Belgique ? Son réservoir de clients serait-il à ce point décevant que Netflix préfère jouer la carte du silence médiatique ? Ou s’agit-il, tout simplement, d’une politique maison consistant à ne communiquer des statistiques qu’en temps réellement utile ?
L’entreprise, il est vrai, n’est pas présente en Europe depuis très longtemps. Lancé aux Etats-Unis en 2010, son service de vidéos accessible sur Internet via un concept d’abonnement (8 dollars par mois pour un accès illimité à son vaste catalogue) n’a débarqué en Grande-Bretagne qu’en 2012, puis au compte-gouttes dans une douzaine de pays européens dont la Belgique en septembre dernier. Egalement présent en Amérique du Sud et bientôt en Asie, Netflix ne communique pas sur le nombre de ses abonnés par pays. Tout au plus le géant du streaming consent-il à avancer un chiffre scindé sur le nombre de ses clients aux Etats-Unis (39 millions) et à l’étranger (18 millions), soit 57 millions au total au 31 décembre 2014.
30.000 Belges ? 80.000 ?
Récemment le New York Times a toutefois vendu la mèche, affirmant que la société comptait notamment 1,1 million d’abonnés en Suède, près de 950.000 aux Pays-Bas (où le service a été lancé il y a un an et demi déjà) et 510.000 en France. Des chiffres que “Netflix refuse de commenter” (sic) et où n’apparaît malheureusement pas la Belgique dans la liste des pays repris. Difficile donc de se lancer dans une estimation, même si certaines sources avançaient le nombre de 30.000 abonnés belges un mois après le lancement. Toutefois, en s’inspirant de la France (où Netflix s’est implanté en même temps que chez nous) et en appliquant une (très) hasardeuse règle de trois, on pourrait émettre l’hypothèse selon laquelle le géant américain aurait pu séduire jusqu’ici quelque 80.000 Belges…
Quoi qu’il en soit, il est sans doute beaucoup plus pertinent d’en revenir au postulat de base : l’arrivée de Netflix en Belgique a-t-elle porté préjudice à la bonne vieille “télé de papa”, comme annoncé de manière catastrophique par certains ? Autrement dit, les chaînes de la RTBF et du groupe RTL ont-elles réellement souffert d’une baisse d’audience avec ce nouvel acteur qui propose l’accès illimité à un catalogue de plus de 2.000 titres en streaming pour seulement 7,99 euros par mois ? “Netflix est pour le moment un pétard mouillé dans notre pays, tranche d’emblée Vincent Pelerin, research manager à l’agence média Space. Son influence sur l’audience des chaînes nationales francophones est pour l’instant absolument nulle”.
Cela a le mérite d’être clair et ce ne sont pas des paroles en l’air. Si l’on examine de près les chiffres d’audience télé du dernier quadrimestre 2014 (qui correspond aux trois premiers mois et demi d’activité de Netflix en Belgique), on constate en effet que l’émergence de ce nouveau service de streaming n’a eu aucun impact sur la consommation de télévision classique chez nous : “Pour la période ayant suivi le lancement de ce service, il n’y a pas de diminution marquée du nombre de minutes de télévision consommées au cours de cette période en glissement annuel, détaille un rapport de l’agence Omnicom Media Group . La consommation TV demeure assez stable au Sud et elle a même plutôt tendance à augmenter au Nord”.
Même pas peur !
“Je suis formel : l’arrivée de Netflix en Belgique n’a eu aucun impact sur nos audiences, ajoute Stéphane Rosenblatt, directeur de la télévision et de l’information chez RTL Belgium. Certains avaient annoncé l’apocalypse et Netflix a d’ailleurs bénéficié d’une publicité gratuite énorme à ce sujet, mais malgré les nouveaux modes de consommation et le succès de la télé différée, la télévision dite traditionnelle reste toujours le média le plus consommé”. Du côté de la Cité Reyers, en revanche, c’est motus et bouche cousue. Est-ce du snobisme, de l’indifférence ou du dédain ? Difficile de trancher, mais ni Jean-Paul Philippot ni François Tron, respectivement administrateur général et directeur des télévisions de la RTBF, n’ont souhaité se prononcer sur le sujet.
Si Netflix n’a pas encore eu d’impact sur les audiences de la télévision classique en Belgique, en a-t-il eu pour autant sur des chaînes à péage comme Be tv dont l’abonnement mensuel en formule “premium” s’affiche à 42,50 euros ? “C’est comme si nous étions BMW et que l’on nous demandait si l’arrivée de Dacia sur notre marché avait eu une quelconque influence après six mois, tacle d’emblée Christian Loiseau, directeur des programmes de Be tv. Je ne veux pas être dévalorisant, mais ce n’est pas du tout le même contenu. Netflix, c’est du low-cost avec des films qui ont déjà été essorés sur toutes les chaînes de télé. Nous, c’est du haut-de-gamme. L’offre n’est pas comparable, ce n’est pas le même segment. Voilà pourquoi nous n’avons ressenti aucun impact en termes de désabonnement”.
Se disant également “outré et horripilé par la couverture médiatique gratuite accordée à Netflix en septembre dernier” (sic), Christian Loiseau certifie que Be tv a conservé la masse de ses 120.000 abonnés, tout en justifiant au passage la campagne de pub de sa chaîne contre le géant américain lors de son débarquement sur notre territoire (l’ironique “Regardez aujourd’hui sur Be tv Go ce que Netflix proposera peut-être dans 2 ans” signée par l’agence Air).
Un impact sur l’écosystème
L’arrivée de Netflix aurait-elle vraiment fait “Pschiiiit” en Belgique comme aiment à le souligner le directeur des programmes de Be tv et d’autres acteurs du monde audiovisuel ? Administrateur délégué de la société de consultance Divedia, Thierry Tacheny ne partage pas vraiment cette analyse. Car même si l’érosion sur les audiences de la télé classique est quasi inexistante, il n’en va pas de même de l’impact économique sur le paysage belge : “Le récent démarrage de Netflix dans six pays européens dont la Belgique a été plus poussif que prévu, mais je ne parlerais pas de pétard mouillé, rétorque l’ancien patron de SBS Belgium. Si 30.000 personnes se sont déjà abonnées chez nous et que toutes ces personnes paient 8 euros par mois, cela signifie que près de 3 millions d’euros vont quitter chaque année l’écosystème audiovisuel belge pour nourrir un groupe américain. Et si Netflix atteint un jour 100.000 clients en Belgique, cela représentera alors 10 millions d’euros de valeur économique perdue annuellement”.
L’analyse est d’autant plus cinglante que Netflix est loin d’avoir dit son dernier mot. Dans sa lettre aux actionnaires du 20 janvier dernier, le CEO de l’entreprise Reed Hastings plante le décor de ses ambitions internationales (passer d’une cinquantaine de pays actuellement à 200 marchés à l’horizon 2017) et expose surtout son projet stratégique qui vise à augmenter sa production propre (Netflix produit déjà les séries Marco Polo, House of Cards, Orange is the new black et bientôt Marseille sur le marché français) pour truffer à l’avenir son catalogue de vraies nouveautés. Objectif : 5 milliards de dollars d’investissements dans les programmes en 2016. Et c’est à ce moment-là peut-être que le géant américain pourrait alors bousculer la chronologie des médias et, qui sait, la bonne vieille “télé de papa”.
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