La Flandre critique les subsides wallons… mais entretient un aéroport presque fantôme à Anvers

L’aéroport d’Anvers est pénalisé par sa piste trop courte et sa localisation en zone densément peuplée. © BELGAIMAGE

Les aéroports régionaux semblent avoir leur propre logique. La Flandre arrose l’aéroport presque “fantôme” d’Anvers, quand la Wallonie s’apprête à serrer la vis à Charleroi et Liège. Le gouvernement wallon vient en effet d’annoncer qu’il baisserait ses subsides aux aéroports de 7 millions en 2026.

Les chiffres d’Antwerp City Airport (Deurne) ne sont pas reluisants. L’entreprise enregistre des pertes depuis plusieurs années. Sans les subsides, qui représentaient l’an dernier la moitié de ses revenus d’exploitation, les résultats seraient encore plus mauvais. Il s’agit donc d’un aéroport structurellement déficitaire qui, contre toute logique économique ou administrative, continuerait à siphonner les fonds publics.

Liège en tête des subsides

Mais Deurne n’est pas la seule à bénéficier de subsides : tous les aéroports régionaux du pays reçoivent des fonds publics. Wevelgem en reçoit le moins, suivi de Deurne, Ostende et Charleroi. Mais la grande gagnante est la plateforme liégeoise, spécialisée dans le transport de fret.

Selon Wouter Dewulf, professeur d’économie aérienne à l’Université d’Anvers : « Les subventions wallonnes ont pour objectif explicite de stimuler la croissance économique et l’emploi. La valeur ajoutée et l’emploi générés par les aéroports de Liège et Charleroi sont significativement plus élevés qu’à Ostende et Anvers. Les subsides flamands, eux, n’ont pas conduit à davantage d’emplois ni de croissance économique. »

Les aides flamandes à Deurne s’élèveraient à 5,4 millions d’euros en 2024 alors que  l’aéroport de Deurne serait virtuellement en faillite et cumuleraient déjà 10 millions d’euros de dettes, tandis que le nombre de passagers et de vols diminue depuis plusieurs années. Sur les 32 979 vols recensés à Deurne l’an dernier, la majorité concerne la formation et les loisirs aériens. Les jets privés représentent environ 20 % des mouvements, loin devant les lignes commerciales de TUI Fly ou SkyAlps, désormais réduites à la portion congrue.

TUI clouée au sol

La politique commerciale d’Antwerp City Airport, exploitée par Egis (propriétaire de la société d’exploitation LEM Antwerpen) au cœur des critiques. En 2024, le nombre de passagers y a chuté de près de 20 %, alors que le trafic aérien repartait ailleurs.

Une grande partie de cette baisse s’explique par un coup du sort : TUI devait opérer depuis Deurne des vols vers Tenerife et Gran Canaria avec de nouveaux Embraer 190 E2 écologiques. Malgré sa courte piste (environ 1 500 mètres), Deurne reste appréciée des compagnies : embarquement rapide, accès direct au tarmac, et proximité immédiate pour les voyageurs d’Anvers et de sa région.

Mais les nouveaux appareils Embraer n’ont jamais vraiment décollé. « À mesure que la haute saison approchait, de plus en plus d’avions ont été immobilisés pour des pannes techniques », précise le rapport annuel de LEM Antwerpen. TUI a dû suspendre ses activités pendant plusieurs semaines au cœur de la saison estivale, entraînant une forte perte de revenus. Sur l’ensemble de l’exercice, TUI Airlines Belgium a affiché une perte d’exploitation de 90 millions d’euros, portant les pertes cumulées à 643 millions. Plus de 10 millions sont directement liés aux problèmes de moteurs des Embraer. TUI a dû affréter en urgence d’autres avions et déplacer des capacités vers Zaventem.

“Deurne ne paie pas trop de taxes”

Selon le rapport de gestion, les mauvaises performances d’Antwerp City Airport s’expliquent aussi par la hausse des coûts liés aux études environnementales et à la renouvellement du permis d’environnement, et par des taxes locales et régionales jugées disproportionnées par rapport aux autres aéroports belges. Pour 2025, un nouveau déficit est déjà anticipé.

Mais pour le professeur Wouter Dewulf, le problème ne réside pas dans les coûts : « Je ne pense pas que l’aéroport d’Anvers paie tant que ça en taxes. Elle verse davantage de précompte immobilier que les aéroports wallons, qui sont exemptés pour leurs services publics (police, douane, pompiers, sécurité aérienne…). Mais les parties commerciales (magasins, parkings, horeca…) restent taxées. Le vrai problème, ce n’est pas les coûts, mais le manque de revenus. »

Pour l’instant, la structure financière de LEM Antwerpen reste saine, notamment grâce aux prêts subordonnés et à l’aide de son actionnaire, le groupe Egis. Mais selon Dewulf : « La trésorerie opérationnelle est négative. La liquidité reste correcte, mais à long terme, la survie dépend d’un retour rapide à la rentabilité et à un cashflow positif. »

“Un potentiel sous-exploité”

Seule éclaircie dans ce qui ressemble à un marrasme, les vols en jets privés sont en hausse, selon les chiffres de l’European Business Aviation Association (EBAA), la fédération de l’aviation d’affaires européenne. En 2024, Deurne a compté 6.444 vols d’affaires (arrivées et départs confondus), soit une hausse de 2 % par rapport à 2023.

Bernard Van Milders, CEO de The Flying Group (spécialisé dans les vols d’affaires à Anvers et ailleurs), estime aussi qu’Egis manque de dynamisme : « Egis n’a pas encore réussi à rendre l’aéroport rentable. Il faut attirer plus de trafic et de vols réguliers : le potentiel est là. Sans cela, l’exploitant restera déficitaire. » The Flying Group a réalisé 160 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1,1 million d’euros de bénéfice opérationnel en 2024.

Ses activités à Anvers — vols d’affaires et maintenance — sont rentables, et les redevances aéroportuaires sont comparables à celles d’autres aéroports d’Europe de l’Ouest. Même constat chez The Aviation Factory, qui organise des vols sur mesure partout dans le monde. Son chiffre d’affaires s’élève à 40 millions d’euros, pour un bénéfice opérationnel de 134 000 euros. Enfin, Sky Alps, compagnie italienne du Tyrol du Sud, est le seul opérateur de vols réguliers à Deurne, avec trois vols par semaine vers Bolzano.

Il n’empêche que celui qui fut longtemps appelé “l’aéroport le plus calme du monde”, l’est encore. Aujourd’hui, un quart des jets privés qui décollent ou atterrissent à Deurne volent sans passagers. Beaucoup en Flandre se demande si une ville comme Anvers a vraiment besoin d’un aéroport et si l’argent et l’espace ne ferait pas mieux d’être utilisé de façon plus judicieuse en cette période de disette budgétaire.

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