Bientôt la fin du monopole d’Eurostar ?

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Depuis 1994, l’Eurostar bénéficie d’un monopole pour le transport de voyageurs par train entre le Royaume-Uni et le continent. Mais celui-ci est menacé par pas moins de cinq entreprises qui envisagent de faire circuler des trains dans le tunnel sous la Manche.

Depuis trente ans, l’Eurostar règne sans partage sur le transport ferroviaire entre le continent et le Royaume-Uni. C’est l’une des lignes ferroviaires les plus lucratives d’Europe. L’opérateur de trains à grande vitesse a transporté 18,6 millions de passagers, soit plus d’un cinquième de plus qu’en 2022. Et même s’il a fallu 15 ans pour que le tunnel soit rentable et qu’il a fortement souffert de la pandémie, en 2023 l’activité transmanche d’Eurostar a réalisé un chiffre d’affaires record de 2 milliards d’euros. Un succès qui attise les convoitises et dont d’autres voudraient bien profiter. D’autant plus que la marge existe puisque le tunnel ne fonctionne qu’à moitié de sa capacité, selon HS1 et Getlink, les opérateurs du tunnel sous la Manche. Selon Getlink, il y a même une demande pour 4 millions de trajets de passagers ferroviaires par an entre l’Allemagne et la Suisse et Londres. La demande serait donc au rendez-vous.

Des difficultés financières et techniques

Mais la tâche ne sera pas simple pour autant puisque les difficultés financières et techniques sont, elles, restées les mêmes. Par exemple, il faut des trains compatibles. Des trains qui sont très coûteux à produire (40 millions d’euros) et dont la liste d’attente est longue. Il faut aussi obtenir l’accès aux infrastructures. Guère simple lorsqu’on sait que l’Eurostar circule dans cinq pays avec quatre systèmes de traction différents et huit systèmes de signalisation, précise le Financial Times. Et si le tunnel n’est pas à pleine capacité, ce n’est pas le cas de toutes les gares, dont certaines sont déjà particulièrement congestionnées. À ces contraintes techniques s’ajoutent les frais très élevés demandés par HS1 et Getlink. Le premier demande 119,95 £ (environ 140 euros) par train et par minute pour circuler sur sa ligne. On estime ainsi qu’il faut compter 25 000 euros par passage de train.

A cet accès qui fait l’objet d’âpres négociations, on peut aussi rajouter le Brexit et ses conséquences. Les contrôles de passeport ont entraîné des pertes de temps, voire des embouteillages. Un problème qui ne risque pas de s’amoindrir puisqu’un nouveau système d’entrée-sortie de l’UE (EES) doit entrer en vigueur en octobre et qui prévoit des contrôles biométriques pour les citoyens non européens. De quoi entraîner une nouvelle réduction des services et du nombre de passagers.

Enfin, si tout cela ne suffisait pas, il y a la concurrence des avions low cost. Un voyage en train vers Londres coûte facilement plus de 300 euros, alors qu’il est déjà possible de voler pour moins de 50 euros.

Un monopole qui vacille

L’UE, en libéralisant ses services ferroviaires transfrontaliers, souhaite également encourager la concurrence pour que le train puisse justement grignoter le marché des vols low cost. Un switch encore encouragé par une prise de conscience collective des consommateurs. Et puis de nouveaux TGV plus polyvalents sont aujourd’hui développés et vendus. Des trains qui peuvent circuler partout et éventuellement s’engager dans le tunnel. Plus besoin donc, en théorie, d’acheter des trains uniquement pour cet axe. Autant de coups de pouce qui auraient diminué de moitié le temps qu’aurait besoin un nouveau concurrent pour se lancer sur ce marché. De quoi aussi changer la donne et faire vaciller le monopole de trente ans d’Eurostar.

5 concurrents potentiels

La preuve, 5 concurrents sérieux sont sortis ces derniers mois du bois et ont annoncé qu’ils voulaient faire circuler des trains dans le tunnel sous la Manche. Parmi eux, il y a le Virgin Group (de Richard Branson), Evolyn (un consortium espagnol) et la start-up néerlandaise Heuro. Deux autres candidats, encore anonymes, seraient aussi sur les rangs.

Sentant leur souffle dans sa nuque, Eurostar ne s’endort pas sur ses lauriers. La compagnie détenue majoritairement par SNCF Voyageurs (avec notamment des participations de la SNCB), se développe à son tour à grande vitesse. Gwendoline Cazenave, la CEO d’Eurostar depuis 2022, a fait de l’expansion sa priorité. Elle vise 30 millions de passagers annuels d’ici 2030. En mai, elle a annoncé qu’elle comptait acheter 50 trains supplémentaires et explorer de nouvelles routes depuis Londres.

Cette concurrence fera-t-elle baisser les prix ?

Le tunnel sous la Manche ne fait que suivre une tendance remarquée dans le reste de l’Europe où, depuis 10 ans, on assiste à une ouverture du marché du chemin de fer. Trenitalia, par exemple, fait circuler des trains entre Milan et Paris et laisse entendre qu’il envisagerait des liaisons avec Bruxelles, Amsterdam ou encore Berlin.

Toujours en Italie, Italo concurrence les trains à grande vitesse de Trenitalia depuis 2012 et les prix ont chuté. En Espagne aussi, on a libéralisé le marché. Cela a permis au prix d’un trajet entre Madrid et Barcelone d’être réduit de moitié.

Sauf que la libéralisation n’est pas la garantie d’une baisse des prix systématique. Il est parfois difficile pour un nouvel arrivant de remettre en cause les anciens modèles économiques, révèle une enquête de La Tribune. L’effet prix est en effet d’une grande variabilité en raison de ce que l’on appelle le yield management (faire varier les prix en fonction du comportement de la demande, soit concrètement en fonction du remplissage des trains).

Et puis les exemples italiens ou espagnols ne sont pas forcément duplicables ailleurs. Ainsi, la fusion entre Thalys et Eurostar l’automne dernier a rendu les choses encore plus difficiles pour les nouveaux entrants sur cette ligne. Et depuis que Thalys a arrêté le train low cost Izy en 2022, il semble que l’époque où l’on pouvait se rendre à Paris en train à grande vitesse pour moins de 20 euros ne soit plus qu’un souvenir. En sachant tout cela et en admettant que les prix risquent in fine de baisser, ce ne sera quoi qu’il en soit pas à court terme. D’autant plus qu’en Belgique, la SNCB va conserver son monopole national pour le transport de passagers jusqu’en 2032.

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