A vélo au boulot, le succès grandissant du vélo de société

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Enfourcher son vélo pour aller travailler est de plus en plus fréquent. La croissance est surtout forte à Bruxelles. Ce mode de transport est poussé par un cadre fiscal et réglementaire généreux. Pour les cyclistes réguliers, en combinant les avantages, il y a même moyen de bénéficier d’un vélo gratuit.

Si la voiture de société fait toujours beaucoup parler d’elle, qu’en est-il du vélo de société? Il existe bel et bien, et est même de plus en plus présent dans les entreprises. Celles-ci peuvent proposer des bicyclettes à leurs collaborateurs, en leasing ou à travers un plan cafétéria. Le coût pour l’utilisateur sera moins de la moitié du prix réel car il est décompté du salaire brut, cotisations patronales incluses. C’est très appréciable pour les vélos à assistance électrique, dont le prix dépasse vite les 2.000 euros et se rapproche même d’une moyenne de 4.000 euros.

“Ce qui n’est pas encore très connu, c’est que vous pouvez couvrir le coût de ce vélo à travers les indemnités kilométriques, qui vont passer de 0,27 à 0,35 euro le kilomètre”, avance Karl Lechat, CEO de la chaîne de magasins Lucien, une filiale du groupe D’Ieteren qui se développe sur le marché de ce vélo de société, en majorité électrifié. Proportionnellement, le vélo d’entreprise est plus attractif que la voiture de société, puisqu’il peut être remboursé via les kilomètres effectués, pour autant que l’utilisateur atteste qu’il utilise la bicyclette régulièrement pour se rendre au travail. “Et de plus, cela n’exclut pas de continuer à bénéficier d’une voiture de société”, poursuit le patron de Lucien.

Paradoxe: l’usage accru de la bicyclette n’a pas empêché le parc automobile de continuer à grandir.

A Louvain-la-Neuve, IBA est un excellent exemple des entreprises encourageant ce mode de transport. “Environ 20% du personnel (qui compte 900 personnes sur le site néo-louvaniste) a choisi le deux-roues dans le cadre d’un ‘plan vélo’ et un leasing auprès de la société Ubike, indique Thomas Canon, le directeur du programme durabilité d’IBA. Tous ceux qui l’ont choisi ne l’utilisent pas nécessairement pour le trajet domicile-bureau. Ce type de pratique concerne 70 à 100 personnes, qui généralement habitent à 15 km des bureaux au maximum. Mais nous constatons, à travers les kilomètres-vélo remboursés, que l’usage est en forte progression. Nous étions à environ 100.000 km en 2022 ; ce chiffre devrait doubler en 2023.”

Vélo électrique, ordinateur portable, jours de congés, etc.: ces dernières années, les plans cafétéria ont gagné en popularité. © GETTY IMAGES

Les salariés cyclistes d’IBA ont adopté des engins très différents. Parfois des modèles cargos – “certains déposent leurs enfants à vélo avant de venir au travail”, explique Thomas Canon – ou des speed pedelecs, ces vélos électriques qui peuvent atteindre 45 km/h: “Il y a quelques employés qui effectuent de longs déplacements, depuis Bruxelles, Waterloo ou Nivelles.”

Back to the future

L’assistance électrique, les mesures fiscales et réglementaires encourageant l’usage régulier du deux-roues ne font que renforcer une tendance forte, celle du retour de la bicyclette comme véhicule au quotidien, ce qu’il était jusque dans les années 1950.

Les statistiques publiées par le SPF Mobilité et Transports sur les déplacements domicile-travail publiées en février dernier sont claires: “Le vélo est le mode de déplacement dont l’utilisation a connu la plus forte augmentation dans toutes les Régions au fil des ans, indique le document. En 2021, 14,1% des travailleurs belges ayant participé à l’enquête utilisaient le vélo comme mode de déplacement principal (contre 7,8% en 2005 et 11,1% en 2017). Cela représente 20,8% des travailleurs en Flandre, 7,2% à Bruxelles et 2,4% en Wallonie.”

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Ce retour du deux-roues ne se limite pas à la Belgique. Il a démarré dans le nord de l’Europe et s’est généralisé sur le continent dans des proportions variables selon les pays. Les incitants jouent un rôle mais selon Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste à l’Université de Lille 1 (*), le facteur essentiel, c’est la modération de la circulation: “Quand des aménagements cyclables reprennent de la place à la voiture, on joue sur deux tableaux: on modère la circulation en sécurisant davantage les cyclistes. Cette politique a commencé aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en Flandre et enfin en France.” Elle est également d’application à Bruxelles, où de nouvelles pistes cyclables ont été installées et où la circulation automobile a été limitée à 30 km/h.

L’enquête du SPF Mobilité indique une croissance de presque 500% des déplacements domicile-travail dans la capitale entre 2006 et 2021. Et les années covid ont encore donné un coup d’accélérateur. Cette tendance lourde est soutenue par l’amélioration des infrastructures, entre autres les cyclostrades, équivalents des autoroutes pour les voitures, qui sont fort développées en Flandre et arrivent en Wallonie et à Bruxelles.

Un décalage temporel, social et spatial

Karl Lechat (Lucien)
Karl Lechat (Lucien) © PG

Cette croissance se fait surtout au détriment de la moto et du covoiturage (enfants conduits à l’école, conjoint déposant l’autre au travail, par exemple). Avec ce paradoxe: globalement, l’usage accru de la bicyclette n’a pas empêché le parc automobile de continuer à grandir (5,9 millions de voitures en 2022, contre 4,9 millions en 2005).

Cette contradiction apparente s’explique: “Il y a un décalage temporel dans l’évolution de la pratique. Il n’y a jamais de hausse uniforme pour tous les usagers et dans toutes les villes. Le vélo a d’abord fait son retour aux Pays-Bas car c’est le pays le plus densément peuplé d’Europe, où la voiture causait le plus de problèmes ; la circulation y a été modérée très tôt. Deuxième décalage: le retour du vélo commence toujours par les grandes villes, puis les moyennes, puis les plus petites. Pour les mêmes raisons: la circulation automobile est d’abord modérée là où elles provoquent le plus de nuisances, c’est-à-dire dans les grandes villes. Ce décalage fait qu’on peut assister à une hausse du trafic vélo en centre-ville et à un recul en zone rurale”.

Il y a aussi un décalage entre les populations, comme lors de l’émergence de la télévision: à ses débuts, elle était achetée par les ménages aux revenus plutôt élevés, avant de vraiment devenir populaire. C’est la même chose avec le vélo. “Cela commence par des populations plutôt éduquées, aisées, sensibles à l’argument santé du vélo, puis cela continue par les classes moyennes, et enfin cela atteint les classes populaires, qui s’y remettent à leur façon, parfois en réparant des vélos d’occasion.” Les usages évoluent également. “Les gens commencent souvent par plaisir, ensuite pour se rendre au travail quand il fait beau. Enfin, ils s’aperçoivent qu’un vélo ne fond pas et ils apprennent à se protéger sous la pluie, explique avec humour Frédéric Héran. Et puis, on l’utilise aussi pour les livraisons de repas.”

Le vélo d’entreprise est plus attractif que la voiture de société puisqu’il peut être remboursé via les kilomètres effectués.” – Karl Lechat (Lucien)

Entre la Wallonie et le reste du pays, le décalage est très clair: la part du vélo pour se rendre au travail y est d’à peine 2,5% (contre 14% en moyenne pour le pays), en croissance toutefois. Pourquoi? Pour Luc Goffinet, chargé de la politique wallonne et fédérale au Gracq (Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens), association défendant l’usage des deux-roues, l’argument géographique ne compte plus guère. “Avec le vélo à assistance électrique, ce n’est plus un frein, estime-t-il. La vraie différence est qu’il existe une politique du vélo en Flandre et à Bruxelles, alors qu’en Wallonie, elle reste balbutiante. Il n’y a pas assez d’infrastructures spécifiques.”

A Liège, par exemple, on trouve de belles pistes cyclables le long de la Meuse, mais sans continuité. “Même chose pour les gares, poursuit le spécialiste: elles comportent des parkings à vélos mais les voies d’accès sont rarement sécurisées. Pourtant, 60% des Wallons sont à maximum 15 minutes d’une gare, c’est un fameux potentiel.”

A Diegem, la Flandre a construit une passerelle pour la nouvelle “cyclostrade” qui enjambe le ring de Bruxelles.
A Diegem, la Flandre a construit une passerelle pour la nouvelle “cyclostrade” qui enjambe le ring de Bruxelles. © RVA

Les clients viennent tout seuls

Si Bruxelles pousse davantage le vélo, la Flandre va encore plus loin, et pas seulement pour l’infrastructure. “Le leasing, disponible pour les entreprises, ne l’est pas pour le public sauf en Flandre où une formule a été mise au point”, note Alice de Walque, chargée de projets à l’ASBL Pro Velo. Cette association propose des services pour encourager l’usage de la bicyclette, notamment avec de la location et de la réparation, et en initiant des salariés et fonctionnaires pour le compte de Bruxelles Environnement (Bike Project). Le Gracq, lui, est davantage militant et défend la place du vélo sur les routes. Mais ces deux organisations sont bien évidemment ravies du retour du vélo en ville.

Tout comme le secteur commercial, qui se réinvente entre autres avec de nouvelles chaînes de magasins spécialement dédiées à la petite reine (Bike Republic, Julien, etc.). Les sociétés de leasing automobile s’intéressent aussi au vélo, en particulier KBC Autolease. “En tant que pionnier de la multimobilité, nous sommes aussi fortement engagés en faveur des modes de transport alternatifs. KBC Autolease a par exemple aussi plus de 17.000 vélos en leasing”, peut-on lire sur son site. Quelques autres acteurs spécialisés se sont également développés dans le leasing, comme Ubik à Bruxelles et Kameo Bikes à Liège. Ce dernier propose à la fois du leasing et tient un magasin pour tous les publics. “Nous ne devons guère démarcher pour avoir des clients. Ils viennent tout seuls. Nous n’avons même pas eu besoin d’engager de commercial”, se réjouit Julien Jamar, le gérant de Kameo Bike, qui travaille en direct avec les entreprises ou via des secrétariats sociaux.

Une petite poussette pour aider à démarrer?
•Le plan vélo: plan de leasing organisé par l’entreprise. Le coût du leasing est réduit car les mensualité sont déduites du brut, cotisations patronales incluses. Ce plan peut être appliqué par les entreprises privées, donc hors secteur public sauf en Flandre. Des loueurs spécialisés comme Ubike ou Kameo et les acteurs du leasing auto s’y sont mis. Le contrat comprend généralement la maintenance et l’assistance.
•Les plans cafétéria de l’entreprise. Même approche que le plan vélo, mais étendue à d’autres produits et services.
•Les vélos partagés. Une entreprise peut mettre en place un parc de vélos partagés, par exemple pour relier des sites ou effectuer de petits déplacements.
•Les indemnités vélo. Adoptées par beaucoup d’entreprises privées, au tarif maximum de 0,27 euro par kilomètre (non imposable), et par certaines entreprises publiques.
•Le budget mobilité. Les entreprises peuvent mettre en place ce type de budget grâce auquel le salarié peut remplacer sa voiture par différents éléments de mobilité (vélo, transports en commun). Le dispositif est surtout utilisé pour financer un logement.
•Le Bike Project. Accompagnement gratuit pour les entreprises qui souhaitent développer la pratique du vélo à Bruxelles. Soutenu par Bruxelles Environnement et organisé par l’association Pro Velo. En développement en Wallonie. Premier projet: Go Velo, en Brabant wallon.

(*) Frédéric Héran a aussi écrit “Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe de 1887 à 2050”, éd. La Découverte, 2015.

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