Ce jeudi 4 décembre, le quotidien flamand publie gratuitement, sur son site web, une version française de ses 20 meilleurs articles. Beaucoup plus qu’un simple coup de pub, ‘‘De Standaard’’ en français veut non seulement secouer le cocotier du paysage médiatique belge, mais surtout élargir l’audience du journal flamand.
Grosse surprise ce matin à la une du journal De Standaard. Sous le titre du célèbre quotidien flamand apparaît un bandeau mauve et blanc avec la mention ‘‘en français’’ dans le texte. A côté, quelques mots en néerlandais apportent cette précision: ‘‘A partir d’aujourd’hui, De Standaard est également publié en français, avec une édition numérique quotidienne disponible sur www.standaard.be/fr. Car nous pensons qu’il est essentiel, d’un point de vue journalistique et démocratique, d’être accessible à tous les Belges.’’
Sur le site en question, le rédacteur en chef Karel Verhoeven précise sa pensée, cette fois en français, en déclarant que le monde a changé: ‘‘Depuis un certain temps déjà, les défis viennent principalement de l’extérieur de la Belgique: les discussions sur les milliards pour la défense, Euroclear, les barrières commerciales ou l’attitude à l’égard de Gaza et d’Israël… Les décisions touchant à ces sujets sont souvent prises au niveau européen et surtout au niveau fédéral, où ont lieu des débats acharnés sur le budget, les réformes des pensions et des allocations de chômage, sur la Sécurité sociale, la justice ou encore l’immigration. Dans tous ces débats, il n’y a pas de lignes de fracture claires entre les intérêts et les préoccupations des Flamands et des francophones. Le journalisme proposé par De Standaard sur ces questions n’est donc pas pertinent pour les Flamands seulement.’’
Élargir l’audience
L’objectif n’est pas ‘‘que’’ idéologique, bien évidemment. Il est aussi commercial dans un paysage médiatique où les ventes des quotidiens papier ne cessent de s’éroder. Le rédacteur en chef du journal flamand ne s’en cache d’ailleurs pas: ‘‘Nous lançons De Standaard en français pour développer notre lectorat, détaille Karel Verhoeven. Le paysage médiatique belge est caractérisé par une stricte séparation linguistique des médias. En raison du déclin de la connaissance de nos langues respectives et de la montée en puissance de l’anglais, de moins en moins de lecteurs consultent les journaux et les sites d’information des deux communautés linguistiques. (…) Le fait que, dans ce contexte national et international pressant, il n’y ait pas de médias accessibles à tous les Belges nous apparaît comme un déficit démocratique croissant.’’
Avant d’interpeller directement le lecteur francophone: ‘‘Si vous nous laissez votre courriel, nous vous enverrons chaque matin notre sélection d’articles dans votre boîte de messagerie, enchaîne Karel Verhoeven. Et pour mieux faire connaissance, vous pourrez découvrir notre offre gratuitement durant les trois premiers mois.’’
Ensuite, l’abonnement sera évidemment payant. Mais, entretemps, De Standaard aura recueilli vos données pour mieux vous relancer…
Avec la complicité de l’IA
Pour mener à bien son projet, le quotidien flamand a recruté une équipe de journalistes bilingues afin de traduire De Standaard à l’aide de l’intelligence artificielle. ‘‘Leur mission est de restituer fidèlement l’original dans une langue française naturelle et de qualité, explique Karel Verhoeven. L’édition francophone est clôturée en même temps que l’édition néerlandophone.’’
Avec un risque d’être critiqué au nord du pays pour cette démarche francophile? ‘‘Nous sommes conscients que l’évolution de De Standaard vers le bilinguisme prête le flanc à des interprétations politiques, répond le rédacteur en chef. Or, nous n’avons pas d’objectif politique, nous fournissons des informations. Nous comblons une lacune manifeste dans le tissu médiatique belge. N’est-il d’ailleurs pas ironique que ce soit un gouvernement fédéral dirigé par le nationaliste flamand le plus important de l’histoire récente de ce mouvement qui accélère la détente communautaire des dix dernières années? Les résultats du dernier scrutin fédéral, la composition et les attributions du gouvernement illustrent parfaitement le fait que nous nous dirigeons vers la phase suivante, plus naturelle, du fédéralisme. En tant que rédaction, nous avons pour mission de rendre compte le plus fidèlement possible de ces mouvements et du monde. En proposant désormais notre journalisme aux lecteurs francophones également, nous avons d’autant plus ce défi à l’esprit.’’
À voir si cette tendance émergente sera bientôt reprise par les quotidiens francophones du pays…