Paul Vacca

Les “fake news”, héroïsme à la portée de n’importe qui

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Les quatre années passées par Donald Trump à la tête des Etats-Unis auront constitué un formidable laboratoire en matière de production de “vérités alternatives”. Les caractéristiques d’une affabulation réussie? Son ton purement déclaratif et sa haute teneur en absurdités.

Soyons positifs. Les quatre années passées par Donald Trump à la tête des Etats-Unis auront constitué un formidable laboratoire en matière de production de “vérités alternatives”. Comme on parle de fab lab, on pourrait évoquer au sujet de cette période un “affab lab“, laboratoire d’affabulations, collaboratif et ouvert 24 heures sur 24 sur Twitter. Ce laboratoire se distingue tant par sa remarquable productivité – plus de 20.000 mensonges, selon le décompte du Washington Post – que par la diversité de ses livraisons, car on y trouve absolument de tout: approximations, omissions, exagérations, contre-vérités, mensonges purs et simples, contradictions, dénis, fake news, accusations de complotisme…

Ce n’est pas en dépit de son côté absurde que les gens adhèrent à une “fake news”, mais en raison même de son absurdité.

Sa dernière production en date concerne les allégations de fraude dont se seraient rendus coupables les démocrates lors du scrutin du 6 novembre: l’élection de Joe Biden n’aurait pas eu lieu. Cette pépite d’affabulation est l’occasion de mettre en lumière quelques secrets de fabrication.

Première caractéristique d’une affabulation réussie: son ton purement déclaratif. Le message est percutant… mais sans l’ombre d’un fondement. Une preuve, ça peut se réfuter, alors qu’en l’absence de preuve, le discours devient magiquement irrécusable. Affirmer sans preuves, c’est la force de tout discours complotiste: si vous objectez que le phénomène n’existe pas, on vous répondra que cela montre, précisément, qu’il a été soigneusement dissimulé. Ainsi, au lieu d’agir comme des réfutations, les démentis officiels et les arguments adverses rationnels deviennent-ils des confirmations. Que les sources officielles ou les médias cherchent à couvrir le phénomène n’est-il pas, du reste, un aveu de la manoeuvre? Imparable.

Autre caractéristique d’une affabulation réussie: sa haute teneur en absurdités. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus la chimère défie la logique, plus elle est efficace. L’idéal, en ce sens, est qu’elle n’ait pas le moindre lien avec la rationalité. C’est le cas ici: les cas d’élections truquées existent bel et bien mais ils sont généralement le fait d’un parti en place, comme dans les dictatures. Or, aux Etats-Unis, ce sont les républicains qui tiennent les cordons du pouvoir. A ce titre, se faire voler les élections, alors même que le soupçon de fraude massive a été proclamé très en amont, serait doublement absurde: sur le plan logistique, mais aussi dans l’esprit car se faire voler les élections quand on tient le pays est une belle marque d’incompétence…

Contre-productif? Que nenni. Car ce n’est pas en dépit de son côté absurde que les gens adhèrent à une fake news mais en raison même de son absurdité. Ce qu’a parfaitement résumé Mencius Moldbug, blogueur de la droite alternative américaine: ” N’importe qui peut croire à la vérité. Alors que croire en l’absurde, en l’incroyable, c’est un véritable acte de loyauté “.

Et c’est là qu’il faut bien s’entendre à propos du verbe “croire”: croire ne signifie pas croire qu’une affirmation est vraie, mais croire qu’elle pourrait devenir vraie. Il y a un côté participatif – comme dans un fab lab – dans le fait de partager une affabulation: être des millions à s’associer à un déni du réel confère à l’affirmation la force du réel. Mais également un côté performatif, comme dans un mantra – c’est la dynamique même des récits alternatifs. Les Américains ont d’ailleurs un adage qui désigne cette opération: Fake it until you make it (“Simule jusqu’à ce que ça devienne vrai”). A la base de nombreuses success stories, cet adage porte aussi celui ou celle qui partage l’affabulation, qui peut alors se rêver en chevalier terrassant le réel. Les fake news, c’est l’héroïsme à la portée de n’importe qui.

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