Paul Vacca
Le streaming a sauvé l’industrie musicale (mais pas les musiciens)
Le streaming enrichit un nombre toujours plus réduit d’artistes et en paupérise un nombre toujours plus grand.
Depuis l’arrivée des plateformes de streaming musicales comme Spotify, Apple Music, Deezer, Tidal, Qobuz et consorts, la musique enregistrée se porte mieux. L’industrie musicale pousse même un énorme soupir de soulagement. Ces applications ont réussi le tour de force de faire revenir dans la légalité les amateurs de musique qui furent un temps séduits par le piratage au tournant des années 2000, à l’époque de Napster. Artistes et producteurs de musique crurent vivre leur derniers jours comme s’ils jouaient sur le Titanic bientôt englouti par internet et la spirale sans fin de la gratuité.
Le streaming enrichit un nombre toujours plus réduit d’artistes et en paupérise un nombre toujours plus grand.
Mais le paquebot évita l’iceberg. Au prix d’un tour de passe-passe: avec les plateformes nous n’achetons plus la musique, nous la consommons mensuellement comme une commodité ou notre forfait téléphonique illimité. Pour 9,99 euros par mois, c’est le prix de notre tranquillité: toute les musiques du monde partout tout le temps à portée de clic.
De ce système, les plateformes de streaming et les majors sortent clairement gagnantes. Non seulement, elles voient les liquidités revenir (on parle d’un million de dollars par heure que se partagent les majors) mais leur situation est encore plus confortable qu’avant, l’économie du streaming leur apportant ce qu’elles n’avaient jamais connu jusqu’alors: des revenus mensuels réguliers.
Et les perdants alors, qui sont-ils? Les artistes. Pas tous, bien sûr. Seulement “les 99% des artistes qui n’atteignent pas le niveau de célébrité de Beyoncé”, comme le dit Ben Sisario, journaliste au New York Times. Car si le ruissellement n’a jamais fonctionné (comme l’a même reconnu Joe Biden dans le monde économique en général), il opère encore moins dans le monde du streaming. Certes, l’industrie musicale a toujours rétribué de façon inégalitaire les artistes, c’est un fait. Comme le sport ou l’ entertainment en général, c’est une économie de superstars avec beaucoup d’appelés et peu d’élus. Mais le streaming, sous couvert d’ouverture et d’accessibilité pour tous les artistes, ne contribue en réalité qu’à creuser le fossé entre les superstars et les autres.
La “blockbustérisation” en ressort renforcée. D’abord parce que le paramètre a changé par rapport aux ventes physiques: ce n’est plus la vente des disques qui compte mais le nombre d’écoutes. Ensuite, parce que les fonctionnalités telles que les sélections dans des playlists – qui sont très suivies et promues par les plateformes remplaçant l’écoute d'”albums” – et les recommandations algorithmiques contribuent également à un effet de réseau dans lequel la popularité entraîne une plus grande popularité encore. Et enfin, parce que le modèle sur lequel repose ce système est que, plus il y a de musiciens, plus les parts du gâteau diminuent. Dans un business of pennies – et même de fractions de pennies – puisque chaque clic est rémunéré moins que la moitié d’un centime, il faut arriver à une certaine taille critique pour espérer recevoir une rémunération décente. Et de fait, le seuil à atteindre est toujours plus élevé. Bref le streaming enrichit un nombre toujours plus réduit d’artistes et en paupérise un nombre toujours plus grand.
Spotify s’est donné pour mission de “permettre à 1 million d’artistes de vivre de leur art”. Sachant qu’ils sont près de 7 millions sur la plateforme et que seuls 13.000 ont généré plus de 50.000 dollars l’an dernier, cela semble mission impossible. Mais après tout, pour 9,99 euros par mois pour toutes les musiques du monde en illimité, il fallait bien qu’il y ait quelque chose derrière ce tour de passe-passe: quand c’est si peu cher, c’est que quelqu’un – forcément – en paie le prix.
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