Le robot devient assistant marketing
Les grandes entreprises technologiques se disputent de nouveaux algorithmes. Il en résulte une intelligence artificielle toujours plus performante pour les spécialistes en marketing. Sont-ils prêts pour cela ?
Lorsqu’ils parlent de l’industrie des taxis ou des voyages, les marketeurs aiment utiliser le mot à la mode “disruption” (autrement dit “perturbation”). Mais lorsqu’il s’agit des perturbations dans leur secteur, le phénomène est baptisé autrement : intelligence artificielle. C’est là aussi un concept passe-partout : le terme désigne un logiciel qui reprend les tâches de l’homme et devient progressivement meilleur que l’homme dans leur réalisation. Si l’on transpose cela dans le domaine du marketing, il s’agit de processus qui automatisent et optimisent l’exécution des décisions en matière de marketing.
La marque américaine de lingerie Cosabella en est un exemple : elle a cessé de travailler avec son agence de publicité numérique fin 2016 et, depuis lors, recourt à l’intelligence artificielle. Elle a opté pour l’algorithme Albert d’Adgorithms. Celui-ci surveille notamment le marketing sur les réseaux sociaux et investit dans des campagnes de recherche payantes. Ce sont des tâches répétitives (“Ne vous souciez pas de la tambouille technique“, dit-on dans la vidéo promotionnelle d’Adgorithms), mais Albert analyse et apprend vite, puis rectifie ses activités judicieusement. L’algorithme ne se contente pas d’appuyer sur la touche “paiement” : il décale les budgets, compare les promotions des concurrents et détermine les créations publicitaires les plus performantes. Au cours du premier mois qui a suivi la mise au travail d’Albert, le rendement de ses investissements a augmenté de moitié.
La course aux algorithmes
Adgorithms n’est évidemment pas seul. N’importe quel géant technologique digne de ce nom a déjà fait au moins un investissement important dans l’intelligence artificielle. Souvent, ce sont des acteurs plus petits qui créent de nouveaux algorithmes. Il en a résulté un vaste marché d’acquisition. Le bureau de recherche CB Insights a réalisé 200 acquisitions depuis 2012, dont 77 en 2016 et 30 au premier trimestre de cette année. C’est Google qui est en tête dans cette course aux rachats – devant Apple, Intel, Microsoft et Facebook. IBM, Yahoo!, Twitter, Salesforce, Ford, Samsung, GE et Uber ne sont pas en reste. En 2014 déjà, Google déboursait 600 millions de dollars pour l’entreprise britannique DeepMind Technologies Limited. L’intelligence artificielle a récemment fait la une des journaux, quand DeepMind a réussi à vaincre le champion du monde au célèbre jeu de société Go. Les acquisitions ont également permis de renforcer les produits commerciaux, et à cet égard les marketeurs sont explicitement dans le collimateur.
C’est l’homme et la machine, pas l’homme contre la machine
Il n’est pas un seul grand nom qui ne travaille sur une application en marketing basée sur l’intelligence artificielle. Jeremy Waite, évangéliste d’IBM à Londres, a montré aux spécialistes du marketing belges début juin sur Web Tomorrow à Gand comment se présente le Watson Marketing Assistant d’IBM. “Nous préférons parler d’intelligence ajoutée plutôt que d’intelligence artificielle”, explique-t-il. “L’intelligence artificielle signifie que la machine fait tout, mais nous croyons plus en un rôle d’assistant. C’est l’homme et la machine, pas l’homme contre la machine. Le marketeur a en quelque sorte constamment à ses côtés le meilleur expert en marketing du monde.
C’est déjà possible avec la plupart des fournisseurs : tous ceux qui veulent seulement une assistance pour améliorer une simple campagne de marketing par e-mail peuvent utiliser l’intelligence artificielle à cette fin. “Cela va vous sembler familier”, dit Waite. Supposons que vous ayez une mauvaise campagne d’e-mailing. Avec votre intuition et certaines données, vous pouvez vous adresser à des bureaux et à des analystes, mais Watson peut très rapidement expliquer où le bât blesse.”
La magie de la coopération
Celui qui continue à fonctionner comme si nous étions encore en 2012 est à terme condamné à disparaître
L’assistant de marketing intelligent n’assume pas le rôle de responsable marketing, mais peut-être celui de tierces parties telles que des bureaux de recherche ou de médias. Si on le lui fait remarquer, Jeremy Waite compare le phénomène à la révolution industrielle. “À cette époque, les gens craignaient aussi pour leur emploi, mais en fin de compte la révolution a apporté la prospérité. Les prestataires de services de marketing qui se sentent menacés doivent se rendre compte que toutes les tâches qui peuvent être automatisées au moyen de l’intelligence artificielle disparaîtront de leur offre. Ils devront se demander quelles nouvelles possibilités naissent de l’intelligence artificielle. Celui qui continue à fonctionner comme si nous étions encore en 2012 devra à terme jeter l’éponge.”
Le plus souvent, les spécialistes en marketing se tournent alors vers la créativité. La machine fournit les données, l’être humain prend en charge la grande idée et sa concrétisation originale. Mais en est-il vraiment ainsi ? Si nous regardons les réalisations en dehors du marketing, Watson a déjà conçu des oeuvres d’art, une chanson pop et une bande-annonce de film. “C’est vrai, mais il a tout simplement facilité la créativité”, confirme Waite. “Il a fourni des données sur ce qui plaît aux gens, mais c’est l’équipe humaine qui a dû travailler avec ces outils. La magie de l’intelligence artificielle réside dans cette collaboration, y compris pour le marketing.”
Le modèle est clair, mais l’intégration de l’intelligence artificielle dans un processus de marketing s’avère souvent difficile. Non seulement parce que le service marketing doit l’accepter, mais aussi parce que techniquement cela nécessite beaucoup de ressources. L’intelligence artificielle fonctionne seulement aussi bien que les données que vous injectez dans le système, et il ne s’agit pas de petites capacités. Sentient Technologies, la société d’intelligence artificielle la plus capitalisée au monde, s’adresse au commerce de détail et opère avec une plate-forme construite sur un réseau de 2 millions de processeurs. Les données qui y sont introduites aident les détaillants à optimiser l’expérience d’achat de leurs clients.
Cela aboutit, par exemple, au produit de marketing Sentient Ascend, qui permet aux entreprises d’effectuer des tests à grande échelle. “En utilisant un autre type d’algorithme, les spécialistes du marketing peuvent tester dix, vingt ou trente variantes en même temps”, explique Jon Epstein, directeur marketing de Sentient. “La machine vous indique non seulement ce que vous devez changer, mais aussi quelles combinaisons de changements produiront les meilleurs résultats.
Epstein illustre cela par un test pour la conception d’un formulaire que les clients peuvent remplir s’ils sont intéressés par un produit. L’un des clients de Sentient a traité 380 000 possibilités avec la plate-forme et a ensuite augmenté de 45 pour cent le taux de conversion du formulaire à remplir. “Le fait que vous puissiez réaliser ce gain avec une telle intervention est fondamental. Nous croyons que les entreprises de marketing mettront beaucoup d’argent sur la table pour l’application de l’intelligence artificielle”, conclut Epstein.
Répercussions sociales
Cependant, les entreprises de marketing ont encore des doutes. Tout d’abord, l’intelligence artificielle est encore trop méconnue de nombreux marketeurs. Actuellement, l’application la plus connue opère dans le domaine de la communication client, par exemple à travers des chatbots qui aident les entreprises à déléguer une partie des conversations à une machine. Placer carrément la machine aux commandes du management en marketing, c’est encore aller beaucoup plus loin.
De plus, on sait que l’intelligence artificielle fait encore ses maladies infantiles. C’est dans les chatbots que celles-ci sont les plus visibles. Un exemple frappant en est Tay, le chatbot de Microsoft, qui a démontré ce qui se passe lorsque l’intelligence artificielle, sous l’impulsion de l’interaction avec les clients, dérape. Tay avait été programmé pour apprendre à partir des messages qu’il recevait des clients, mais il a inopinément commencé à faire des remarques racistes. Il a également nié l’Holocauste et a annoncé qu’un mur serait érigé à la frontière américano-mexicaine, pour lequel le Mexique paierait. Face à de telles défaillances, on ne peut pas décemment reprocher aux responsables marketing de procéder par étapes pour introduire le marketing basé sur l’intelligence artificielle.
Cela leur donne aussi le temps de réfléchir aux conséquences sociales. Le marketing est déjà en train de se casser la tête sur la façon de gérer les cookies, mais l’intelligence artificielle est encore une autre paire de manches. Pour le moment, nous nous demandons encore, surtout, si l’intelligence artificielle est suffisamment mûre pour le marketing, mais bientôt, nous risquons de nous casser la tête sur la question de savoir si le monde du marketing est suffisamment mûr pour les débats éthiques qu’entraînera l’intelligence artificielle.
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