Le grand saut en avant
Comment BYD, société chinoise dans laquelle Warren Buffet a investi, pourrait réussir une percée mondiale sur le marché des véhicules électriques notamment grâce à sa technologie de batteries sans nickel ni cobalt.
Cet été, le constructeur chinois de véhicules électriques BYD a livré ses SUV Tang rouges en Norvège, le pays ayant connu l’adoption la plus rapide des voitures à batterie. Baptisées en hommage à la dynastie chinoise du même nom, ces voitures sont alimentées par des batteries au lithium fabriquées par BYD elle-même.
Aux dires du tout premier client norvégien de BYD, Per Lian (un vendeur dans une entreprise de ventilation de bâtiments ), les Norvégiens ne devraient avoir aucun scrupule à acheter des voitures chinoises, compte tenu de leur coût abordable et de leur autonomie correcte.
“Nous nous attendons à ce que les Chinois viennent conquérir une grande portion du marché automobile en Norvège, déclare Per Lian, qui parcourt environ 4.000 kilomètres par an dans le cadre de son travail. J’ai le sentiment que la voiture est de bonne qualité. Le plus important, ce sont les prix – une Tesla coûterait le double.”
Fondé en 1995 pour produire des batteries au lithium pour des appareils électroménagers, BYD est devenu l’un des plus grands fabricants de batteries pour véhicules électriques. Ces dernières années, il a également conçu ses propres véhicules qui ont connu un franc succès sur le marché chinois. BYD est désormais le deuxième producteur mondial d’autobus électriques et le quatrième constructeur de véhicules électriques.
“50% d’énergie en plus”
La réussite de BYD repose sur sa technologie de batteries, qui permet de faire passer le coût des voitures électriques sous le prix des voitures à carburants, accélérant ainsi la transformation de l’industrie automobile mondiale. Appelées blades (lames) en raison de leur format allongé et mince, les batteries de BYD utilisent certains des matériaux les plus abondants dans le monde, tels que le lithium et le fer, tout en faisant l’économie de métaux controversés, comme le cobalt et le nickel, utilisés par nombre de ses concurrents. Selon BYD, à encombrement égal, la batterie-lame contient 50% d’énergie de plus que les compositions chimiques des batteries semblables.
Les consommateurs privilégient désormais l’autonomie de la voiture au détriment de l’adhésion à un modèle.
La percée de BYD sur les marchés étrangers est un essai fascinant de l’évolution potentielle du nouveau secteur des véhicules électriques – un essai qui pourrait signifier de gros avantages pour la Chine. Pendant une grande partie du siècle dernier, les plus grands constructeurs automobiles se sont appuyés sur les prouesses de leurs moteurs à combustion. Ainsi, la réussite de Mercedes-Benz et Daimler est due aux premiers moteurs qu’ils ont conçus, et Volkswagen a utilisé pendant des années le slogan “la puissance de l’ingénierie allemande”.
Les entreprises chinoises dominent désormais la production des batteries utilisées dans les véhicules électriques, BYD étant l’un des fabricants les plus influents. La question est de savoir s’ils peuvent transformer leur position dominante dans le secteur des batteries en une part importante du marché mondial de l’automobile.
“Les fabricants chinois de voitures électriques auront plus de chances de réussir que leurs homologues nationaux qui produisent des voitures à moteur thermique, car les constructeurs automobiles européens et américains ont un ancrage historique dans ce domaine. Les constructeurs chinois ne peuvent rattraper ce retard du jour au lendemain, déclare Ji Shi, analyste pour la société de courtage Haitong International Securities à Hong Kong. La situation des véhicules électriques est tout à fait différente, car ils sont plus simples sur le plan structurel et les constructeurs chinois disposent de meilleures chaînes d’approvisionnement pour les batteries.”
Investissement judicieux
A ce jour, le parcours de BYD a déjà généré une fortune pour son fondateur, Wang Chuanfu et Warren Buffett, l’un de ses premiers bailleurs de fonds. Depuis que Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett, a acheté 10% des parts de BYD pour 200 millions d’euros en 2008, ses actions ont augmenté de plus de 3.000%. La participation de Warren Buffett vaut désormais 6 milliards d’euros et constitue l’un de ses investissements les plus fructueux après Apple.
Outre ses projets d’exportation de voitures, BYD a conduit des négociations pour fournir des batteries à Tesla – selon deux personnes au fait du dossier – et créé une coentreprise avec Toyota. BYD pourrait ainsi devenir l’un des plus importants fournisseurs de batteries et renforcer la domination chinoise sur le secteur des voitures électriques. “Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la domination chinoise sur le marché de l’exportation de voitures et la vente de voitures à l’étranger, en particulier celle des voitures électriques, déclare Sam Jaffe, directeur général du bureau d’analyse spécialisé Cairn Energy Research Advisors. Et BYD est très bien positionné. Grâce à ces batteries, les véhicules électriques destinés au marché de masse approchent beaucoup plus vite du point de maturité.”
Il y a 10 ans, rien ne présageait que la Chine ou BYD réussiraient dans le domaine des batteries et des voitures électriques. En effet, la Toyota Prius hybride était en plein essor et la société japonaise Panasonic dominait le secteur mondial des batteries. Les centaines de fabricants chinois de batteries répartis dans le pays étaient considérés, au mieux, comme capables de fournir des batteries de moindre qualité destinées aux téléphones mobiles et ordinateurs portables.
Pourtant, Warren Buffett a fait partie des rares personnes à croire au potentiel de l’entreprise, en faisant confiance à Wang Chuanfu, le fondateur de BYD, que Charlie Munger – le bras droit de Warren Buffett – décrit comme un mélange entre Thomas Edison et Jack Welch, l’ancien président de General Electric.
Charlie Munger entendit parler de BYD pour la première fois grâce à Li Lu, un gestionnaire de fonds spéculatifs d’origine chinoise. Li Lu était un ancien leader des manifestations étudiantes de 1989 sur la place Tian’anmen. Il fut inscrit sur la liste des personnes les plus recherchées par Pékin suite à la répression militaire. Il s’enfuit ensuite en France, puis aux Etats-Unis, et finit par entamer des études à l’université de Columbia. Li Lu devint un investisseur engagé dans des titres de valeur après avoir suivi un cours donné par Warren Buffett à Columbia et se lia d’amitié avec Charlie Munger, avant de créer son propre fonds. Charlie Munger investit d’abord dans BYD via le fonds de Li Lu, qui détient encore 6% des actions de BYD cotées à la Bourse de Hong Kong, selon l’agence Refinitiv.
Eviter les problèmes d’approvisionnement
En dehors de la Chine, la plupart des batteries de voitures électriques utilisent du cobalt et du nickel dans leurs cellules, ce qui suscite des inquiétudes quant à la pénurie de matières premières. En effet, plus de 60% du cobalt mondial provient de la République démocratique du Congo et le nickel est principalement extrait en Indonésie, où les mines détruisent la forêt vierge, riche en biodiversité, et où les usines de transformation tournent au charbon. Les prix du nickel ont augmenté de 25% au cours de l’année passée et les prix du cobalt ont augmenté de 59%, ce qui accroît la pression sur les coûts des constructeurs automobiles.
Les batteries de BYD permettent de surmonter l’un des problèmes d’approvisionnement auquel sont confrontés nombreux de ses rivaux. L’entreprise a réussi à maîtriser la technologie lithium-ion qui a été inventée sur la base de concepts découverts par le lauréat du prix Nobel John Goodenough et le scientifique d’origine indienne Arumugam Manthiram dans les universités d’Oxford et du Texas, à la fin des années 1980. Il est important de noter que ces batteries “LFP” n’utilisent que du lithium, du fer et du phosphate, des matériaux abondants dans la croûte terrestre ; elles ne nécessitent ni nickel ni cobalt.
Lorsque la chimie à l’origine de ces batteries fut découverte, Arumugam Manthiram explique que l’on pensait que les applications pratiques seraient limitées, en raison de leur moindre conductivité et de leur faible capacité à stocker de l’énergie. La première batterie lithium-ion, commercialisée par Sony en 1991 et destinée à ses caméscopes, était composée de lithium et de cobalt. Plus tard, du nickel a été ajouté aux batteries lithium-ion pour en augmenter la puissance, notamment pour les voitures.
Batteries plus sûres
Mais BYD a augmenté la quantité d’énergie pouvant être stockée par ces batteries grâce à une refonte intégrale de leur conception. Si la plupart des batteries de voiture contiennent des cellules réunies dans un module puis dans un pack, BYD a fabriqué des cellules de batterie simples, longues et fines, et les a placées directement dans un pack de batteries.
Avec une longueur de 96 cm et une largeur de neuf centimètres, BYD peut intégrer 50% de cellules en plus dans le pack de batteries par rapport aux batteries LFP classiques, selon l’entreprise. En conséquence, BYD affirme que son véhicule électrique Tang en Norvège peut atteindre une autonomie de 400 km en une seule charge, comme c’est le cas pour la Tesla Model 3 dotée d’une autonomie standard.
Les batteries peuvent également être recyclées facilement et assurer une durée de vie de plus d’un million de kilomètres de conduite, selon BYD. “C’est le même matériau. BYD a réussi à l’optimiser et à l’utiliser dans de très grandes cellules, ce qui est possible grâce à son niveau de sûreté”, explique Jerry Barker, cofondateur et scientifique en chef de Faradion, une entreprise britannique spécialisée dans les batteries. “Même s’il s’agit d’un matériau cathodique de densité énergétique inférieure, le pack final ne peut être que compétitif. Si vous avez une plus grande cellule, vous avez de meilleures performances à moindre coût.”
Ces batteries sont également plus sûres, un critère essentiel pour les constructeurs automobiles, car la moindre défaillance peut entraîner des rappels coûteux. Cette année, General Motors a dû rappeler plus de 140.000 Chevrolet Bolt vendues depuis 2016 en raison du risque d’incendie lié aux batteries. Le mois dernier, GM a demandé aux propriétaires des voitures qui n’avaient pas encore été rappelées de se garer à plus de 50 mètres des autres véhicules.
Selon les déclarations de l’entreprise, dans le cadre d’un test standard au cours duquel un clou a été enfoncé dans la batterie, la batterie-lame n’a pas émis de fumée ni de feu, atteignant une température comprise entre 30 et 60 °C, tandis que les autres batteries de voitures électriques ont atteint des températures de 500 °C et brûlé.
“La sécurité est le plus grand luxe d’une voiture électrique”, a affirmé le mois dernier Wang Chuanfu, qui était allé jusqu’à boire publiquement du liquide de batterie pour prouver son innocuité.
BYD se prépare à introduire en Bourse son activité de batteries en tant que société distincte. Les analystes de la Bank of America s’attendent à ce que le chiffre d’affaires de BYD dans le domaine des batteries pour véhicules électriques augmente à un taux de croissance annuel de 66% entre 2020 et 2023. BYD vise à produire 100 gigawattheures de batteries d’ici à 2025, ainsi que 1,5 million de véhicules.
“La batterie-lame est destinée à être installée par la suite sur des modèles de véhicules électriques de grandes marques, en Chine et ailleurs, a déclaré BYD dans une réponse envoyée par e-mail à nos questions. Actuellement, presque toutes les marques automobiles auxquelles vous pouvez penser discutent avec nous d’une coopération autour de la technologie des batteries-lames.”
Selon Arumugam Manthiram, au fur et à mesure que les infrastructures de recharge se développent dans le monde, les conducteurs en Inde, en Europe et même aux Etats-Unis n’auront plus besoin de parcourir d’aussi longues distances en une seule charge, et le phénomène de l’ “angoisse de l’autonomie” s’atténuera. Cela pourrait accélérer l’adoption des batteries LFP, plus respectueuses de l’environnement, utilisées par BYD.
L’essor de BYD a contribué à la domination de la Chine dans le secteur des batteries destinées aux voitures électriques. Son plus grand rival, CATL, basé dans la ville côtière de Ningde, est le plus grand fabricant de batteries au monde et fournit des batteries à la quasi-totalité de l’industrie automobile mondiale, notamment Tesla, Daimler et Volkswagen. Il produit également des batteries LFP.
Selon Benchmark Mineral Intelligence, 77% de la capacité mondiale de production de lithium-ion sera basée en Chine d’ici la fin de l’année.
Politiques proactives
Ce succès est le fruit de politiques gouvernementales proactives, d’investissements conséquents et d’améliorations techniques. Pendant une partie de la dernière décennie, les constructeurs automobiles chinois se sont vu interdire l’utilisation de batteries étrangères sur le marché national, ce qui a permis de faire émerger de véritables champions locaux. “Lorsque vous commencez à utiliser un fabricant de batteries, vous ne le changez que rarement”, explique Ji de Haitong.
Disposer d’une batterie compétitive est une chose ; l’utiliser pour lancer un véhicule qui se vend bien en est une autre.
Depuis plus de 10 ans, les constructeurs automobiles chinois tentent d’exporter leurs véhicules en dehors du pays, le plus souvent sans grand succès. Le fait de proposer une voiture relativement bon marché ne permet pas à une entreprise de s’épanouir sur des marchés qui valorisent la fiabilité et le service à la clientèle et où les marques chinoises sont peu ou pas connues.
“Ils ont encore des progrès à accomplir pour gagner la confiance des consommateurs européens et américains, déclare Tu Le, fondateur du cabinet de conseil Sino Auto Insights. Ils doivent encore prendre le temps – la marque BYD n’est pas encore connue du consommateur moyen américain, européen ou britannique. Ils doivent investir en temps, capital et sensibilisation pour attirer leur attention et instaurer de la confiance.”
BYD démarre en Norvège où les ventes de véhicules électriques ont explosé: l’an dernier, près des trois quarts des ventes de voitures neuves concernaient des voitures à batterie. Mais BYD n’entre pas uniquement en concurrence avec Tesla et les nouveaux modèles des constructeurs automobiles traditionnels. Il est également confronté à un groupe composé d’autres entreprises chinoises. Ces concurrents chinois comprennent notamment Nio, qui a commencé à vendre ses voitures électriques dans le pays le mois dernier. Même la marque de voiture préférée du président Mao, Hongqi (“le drapeau rouge”), commence à exporter ses SUV électriques en Norvège et MG, filiale du constructeur chinois SAIC, vend déjà des voitures dans le pays. Nio, qui a mis au point un système permettant aux propriétaires d’échanger leurs batteries plutôt que de les recharger, souhaite construire 20 stations d’échange de batteries en Norvège d’ici la fin de l’année prochaine.
“En Norvège, la concurrence est rude, car c’est le pays avec la plus grande variété de modèles de véhicules électriques, déclare Christina Bu, secrétaire générale de l’association norvégienne du secteur. Traditionnellement, les marques allemandes ont toujours été très populaires en Norvège. Mais il semblerait que les consommateurs privilégient désormais l’autonomie de la voiture au détriment de l’adhésion à un modèle.”
“La moins chère du marché”
BYD pourrait de toute façon devenir un vendeur de voitures électriques en Chine et dominer l’approvisionnement en batteries en dehors du pays, selon Taylor Ogan, directeur général de Snow Bull Capital, un fonds spéculatif américain. La batterie de BYD est “de loin la moins chère du marché”, avec un coût d’environ 69 euros/kWh au niveau du pack, voire moins, par rapport aux prix moyens de 119 euros/kWh de l’année dernière, dit-il. BYD s’est refusé à commenter les coûts.
BYD déclare se préparer à construire une usine de batteries en Europe pour “fournir des installations auxiliaires aux clients automobiles européens”, dans le cadre de son expansion mondiale. CATL construit également une usine européenne de batteries en Allemagne.
Selon les déclarations de Michael Dunne, directeur général du groupe consultatif sectoriel ZoZo Go, qui a vécu en Chine: “BYD est le prototype de ce que [le président] Xi Jinping rêve pour la Chine”.
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