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Le cadeau empoisonné de François Mitterrand

Comment diable le prolétariat français ose-t-il afficher son égoïsme avec autant d’impudeur ? Il ne s’agit pas ici de la forme, mais du fond.

Comment diable le prolétariat français ose-t-il afficher son égoïsme avec autant d’impudeur ? Il ne s’agit pas ici de la forme, mais du fond. Il est choquant, certes, qu’un héraut de la lutte des classes brandisse, du haut de sa barricade, le droit de grève comme finalité autorisant tout, de l’enquiquinement des citoyens à l’étranglement de l’économie. Mais ce n’est finalement là que l’avatar d’un milieu nourri à l’image subliminale du grand soir. Par contre, comment imaginer un tel aveuglement face à la pyramide des âges et au principe de répartition qui préside au paiement des retraites, en France comme chez nous ? Comment peut-on, avec autant de désinvolture, faire fi des générations suivantes, qui régleront inévitablement l’ardoise ? Car si les lycéens sont eux aussi descendus dans la rue, ce n’est pas en affirmant leur volonté de payer pour les aînés. Leur égarement dans cette galère tient sans doute d’un besoin de défoulement couplé à la volonté de s’affirmer en défendant une cause, fût-elle erronée. C’est une constante à cet âge ; les cadres d’aujourd’hui peuvent bien le reconnaître, n’est-ce pas ?

On peut contester la manière dont le camp politique en place présente la question, voire mettre en doute certains chiffres. On peut aussi se rebiffer face au diktat du pouvoir, une tradition bien ancrée outre-Quiévrain, où l’on conçoit mal l’évolution sans mini-révolutions. En Suède, la réforme des retraites de 1998 fut précédée par 14 ans de négociations ! Il est par contre des réalités qui s’imposent d’autant plus qu’elles se vérifient dans la vie de tous les jours. La première, c’est le nombre d’actifs face au nombre de retraités. En France, le ratio était de 5 à 1 en 1950 ; il est aujourd’hui de 3,5 à 1, en attendant 2 à 1 en 2040. Quand les actifs paient pour les retraités, principe de la répartition, il est clair que la situation devient intenable.

L’allongement de la durée de vie est une autre facette de cette réalité, bien plus tangible encore. En 1910, lorsque la France fixa pour la première fois l’âge de la retraite à 65 ans pour certaines catégories professionnelles, on pouvait à juste titre la qualifier de “retraite des morts”, puisque l’espérance de vie moyenne était à l’époque inférieure à 50 ans. En un siècle, elle a toutefois progressé de 30 ans ! Elle est aujourd’hui de près de 78 ans pour les hommes et de 84,5 ans pour les femmes. Résultat : une retraite de 24,5 ans en moyenne pour les Français et de 28,2 ans pour les Françaises, d’après l’OCDE. Ces chiffres sont de 22,4 et 27,8 ans en Belgique, de 19,8 et 24,5 ans dans l’Union européenne à 19, ou encore de 17,6 et 21,1 ans aux Etats-Unis.

Ce sont là des réalités incontestables… qui ne doivent pas en occulter une autre : l’espérance de vie n’est pas la même pour tous. En France toujours, il semble que celle des ouvriers est inférieure de sept ans à celle des cadres. Et si l’on retient la notion d'”espérance de vie en bonne santé”, qualifiée plus scientifiquement de “sans incapacité”, la différence atteindrait 10 ans. Mais comment prendre cette réalité en compte ? La question paraît quasiment insoluble. Autre question : en décidant d’abaisser l’âge de la retraite de 65 à 60 ans à dater du 1er avril 1983, François Mitterrand réalisait-il qu’il faisait à ses successeurs un fameux cadeau empoisonné ? Qui sait…

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